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– Je m'appelle Katniss Everdeen. Je viens du District 12. Je me suis portée volontaire pour remplacer ma petite sœur Prim aux Hunger Games. J'ai survécu aux Hunger Games. J'ai dû jouer la comédie pour plaire à Snow. J'ai participé une deuxième fois aux Hunger Games. J'ai été sauvée. Je suis devenue le symbole de la rébellion de Panem. J'ai tué la présidente Coin. Snow est mort. Prim est morte. J'aime Peeta.

Je suis assise devant le feu de bois, les jambes recroquevillées contre ma poitrine. Mon corps frêle se balance d'arrière en avant tandis que ma tête essaye de chasser les images de corps et de bombardements qui ont hanté mes dernières nuits. Un miaulement dans mon dos me fait ouvrir les yeux. Durant un instant, je fixe la poussière qui danse devant mon visage et s'agite dans les rayons du soleil qui traversent notre baie vitrée. Puis je sens Buttercup – Prim a insisté pour nommer cet affreux chat « Bouton d'Or » – venir se frotter à moi. J'apprécie la chaleur de son corps mais ne peux m'empêcher d'esquisser une grimace : mes côtes sont encore douloureuses et les blessures que j'ai gardées des combats ne se cicatriseront jamais complètement, à en dire le Dr Aurelius.
Buttercup émet un grognement quand je l'éloigne de moi, puis ouvre sa gueule pour laisser tomber sur le parquet la proie qu'il tient entre ses crocs. Je baisse les yeux : devant le félin gît le corps d'une musaraigne. Deux de ses pattes ont été arrachées et elle ne possède plus de tête, mais je félicite quand même Buttercup d'une caresse, puis de deux. Son poil roux sali par les cendres du Pré est rassurant, si rassurant que je passe l'heure suivante à observer par la fenêtre les montagnes environnantes, l'animal dans mes bras.

C'est une journée estivale comme le 12 en a maintenant l'habitude. Le temps est chaud mais humide, sans aucun vent pour venir agiter les feuilles des arbres. Je me rappelle à quel point je détestais ce genre d'après-midi lorsque nous vivions encore dans la Veine. Comme la plupart des habitants préféraient passer la journée enfermés chez eux que de sortie sous un tel soleil, la Plaque se retrouvait souvent vide et il devenait difficile de marchander de quoi faire le repas du soir. Nous étions alors obligés de baisser le prix de notre gibier, et revenions chez nous avec un simple écureuil comme dîner. Je me souviens encore de la tête dépitée de Prim en me voyant revenir avec si peu, je vois encore la lueur d'espoir quitter ses beaux yeux devant la petite part d'écureuil que je lui tendais. Je la vois me sourire, me pardonner intérieurement, faire mine d'apprécier le met. Heureusement, nous nous rattrapions les jours suivants, sans cette chaleur écrasante, en ramenant chez nous de quoi satisfaire notre faim. Rectification personnelle : de quoi ne pas mourir de faim.

« Nous ». Je me surprends à repenser à Gale, mon compagnon de chasse, mon premier véritable ami. Je nous revois, sur l'herbe fraîche, quelques heures avant notre rendez-vous sur la grand-place, quelques heures avant la Moisson, quelques heures avant que le nom de Prim ne soit appelé. Mon estomac se noue, Buttercup s'en aperçoit : il fixe ses yeux couleur de courge sur moi, et je sais qu'il comprend. Je vois le même désespoir dans son regard que celui qu'il avait quand je lui jetais mon oreiller à la figure après la mort de sa maîtresse.
« Primrose Everdeen ». J'entends dans ma tête la voix d'Effie Trinket prononcer le prénom de ma sœur d'un ton théâtral, avec cet accent ridicule tout droit venu du Capitole. Directement, ma haine se tourne vers notre hôtesse. Je revois sa main s'enfoncer dans la boule de verre, fouiller parmi les petits papiers, ses doigts fins se refermer sur le seul portant son nom. Un seul papier. Sur des milliers d'autres. Je n'avais même pas de quoi m'inquiéter pour Prim. Pourquoi avoir attrapé celui-là, l'unique papier qui portait son nom ?
Mais je sais que je ne dirige pas ma haine vers la bonne personne. Effie n'était qu'une femme naïve animant les Moissons chaque année et rêvant d'être promue dans un District où ils se passaient des choses plus passionnantes que chez nous.
Non. C'est Snow envers qui j'éprouve toute cette haine. Snow, à qui ça ne dérangeait guère de regarder les enfants des districts se massacrer entre eux pour affirmer son pouvoir. Snow, qui empoisonnait ses concurrents afin d'accéder au trône. Snow, contre qui le venin s'est retourné dans un coup fatal.

Je sursaute violemment lorsque la porte d'entrée claque, me préparant à dégainer mon arc pour tuer un autre mutant créé par le Capitole. Mais non, à la place, je me jette dans les bras de l'homme qui se tient sur le seuil d'entrée.

– Peeta, glissé-je dans un soupir de soulagement.

J'embrasse ses lèvres, c'est comme si une partie de moi reprenait vie en sa présence. Je l'aide à enlever le manteau en daim que Haymitch lui a offert à son retour du Capitole en guise de cadeau d'anniversaire et l'accroche au crochet en bronze qui nous sert de porte-manteau. J'ai souvent horreur de ce que les habitants du Capitole ont l'audace de porter, mais j'aime particulièrement cette veste. C'est le genre de vêtement que Cinna m'aurait faite porter lors d'une interview, sur un plateau de tournage enneigé. Peeta semble également apprécier son présent, car il le porte même sous cette chaleur. Mais je sais que Peeta préfère un vieux pull cousu main à un manteau tendance du Capitole : il souhaite seulement faire à notre ex-mentor le plaisir de le porter, car nous savons tous deux que ce cadeau a dû lui coûter plus cher qu'une partie de notre salon en marbre.

Haymitch vit toujours dans la maison voisine, mais nous le voyons de moins en moins régulièrement. Il alterne entre le Village des Vainqueurs et l'appartement privé d'Effie situé dans le centre du Capitole et possédant « une vue panoramique sur le palais présidentiel, bien plus joyeux qu'ici ». Heureusement pour lui, la présidente Paylor a pris la décision, il y a moins d'un an, d'agrandir les voies ferrés de Panem en ouvrant des trains grande vitesse accessibles aux citoyens et reliant tous les districts entre eux, avec une ligne directe pour le Capitole. Paylor est adorée de tous, et je dois avouer qu'elle fait une bonne présidente. Elle regroupe les districts, ramène de l'espoir après les jours sombres qui ont bouleversé la nation. Les regrets que j'ai eus après avoir tiré une flèche dans le cœur de Coin se sont estompés depuis longtemps.

– Ils m'ont offert un pain supplémentaire, comme ils ont reconnu qui j'étais, me sourit Peeta. S'ils l'ont fait brûler, on peut juste le donner au chat.

Je ris doucement, d'un rire que Peeta est le seul à pouvoir me retirer. Je trouve courageux d'être allé chercher notre pain à la boulangerie. Nous avions l'habitude de nous le faire livrer à domicile, car Peeta n'arrivait pas à visiter la boutique sans revoir le fantôme de ses parents à travers la vitrine, m'avait-il expliqué. C'est pareil pour moi. C'est pour cela que nous avons emménagé dans la maison de Peeta. La mienne paraissait trop vide sans Prim et maman, et l'odeur de roses dans le bureau à l'étage ne voulait pas s'en aller, même en aérant la pièce vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sans jamais refermer les fenêtres.

Nous allons trouver une place autour de la table de la salle à manger et dégustons dans le silence le dîner que Peeta a cuisiné. Je mange mon assiette et me perds dans son regard. Nous ne disons pas un mot. Au Capitole, on nous disait que le silence autour d'une table était dû à un repas qu'on savourait particulièrement. Le rôti de Peeta est délicieux, mais ce n'est pas la raison pour laquelle un grand silence règne autour de la table. Nous n'avons juste pas besoin de mots pour communiquer.

Hunger Games : Post-MockingjayOù les histoires vivent. Découvrez maintenant