Vie et mort d'un légume vert

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( à lire avec "Hey there Delilah" ft. Jasmine Thompson)

Je soupire une énième fois, ma tête appuyée contre la fenêtre embuée de ma chambre. Dehors s'étale dans la brume matinale l'immense propriété familiale. De grands espaces verts parfaitement entretenus. J'observe le ballet auquel semblent s'adonner les feuilles des arbres tout en écoutant d'une oreille les éclats de voix de mes parents en bas.

En ce début d'automne, un rien me déprime... Je remonte mes genoux sous ma poitrine, pour me tenir chaud et  m'assied le plus confortablement possible dans l'alcôve adjacente à la fenêtre. Desktop vient frotter sa petite tête toute douce contre mon flanc, m'arrachant un vague sourire.

J'attrape alors d'une main mon carnet de croquis et me mets à dessiner pour la énième fois mon petit chat posé sur mes pieds glacés.

Plus que deux jours à tenir et le week-end sera fini. J'aurais pu sortir avec mes "amies" mais ces pimbêches superficielles m'exaspèrent de plus en plus. Et puis, j'ai un peu la flemme, je l'avoue. Je suis bien mieux avec Desktop. Même si mes parents se disputent toutes les cinq minutes : ils ne veulent pas divorcer. Notre famille ne serait plus aussi parfaite sinon n'est-ce pas ?

Soudain, quelqu'un toque à ma porte. Je me précipite sur mon bureau ou mes devoirs sont étalés, prends un air sérieux et concentré et hurle "ENTREZ !" À ma grande surprise, ce n'est pas la face botoxée de ma mère qui pénètre dans ma chambre, mais mon père à l'allure si imposante et froide. Je lui souris du mieux que je peux et il s'approche de moi. Mon cœur bat à tout rompre. La dernière fois que mon père a daigné me rendre visite, c'est quand il a découvert ma fugue, à quatorze ans. Il m'avait passé un savon avant de repartir aussi sec. Qu'ai-je donc encore fait !?

-Delilah... Ta mère voudrait que tu ailles au moins à un casting avec elle. Si tu n'es pas prise, tant pis. Ce sera la dernière chose qu'elle te demandera. Elle me l'a promis.

-Mais oui c'est ça... Comme elle avait promis qu'elle irait à mon spectacle de danse ? Comme elle avait promis... Je ne sais pas moi ! Tu sais bien que maman ne tient JAMAIS ses promesses !

-Tu me parles sur un autre ton jeune fille. Tu iras parce que je te le demande. Fin de la discussion.

Il repart en claquant la porte, me coupant l'herbe sous le pied. Mon père me fait peur. Ma mère a joué sa dernière carte. Et je ne peux plus reculer. Je vais y aller, mais je vais tout faire pour rater ce casting. En espérant ne pas trop me ridiculiser quand même.

Énervée par ce retournement de situation, j'agrippe ma veste, une couverture, mon chat, enfile des baskets et me fait un rapide chignon. Je descend les marches comme une furie, lance un regard noir à ma mère et sors en prenant bien soin de claquer l'imposante porte d'entrée à mon tour. Une fois dehors, j'entends la voix étouffée de ma mère crier "LA PORTE !!!"Je souris, fière de mon effet, et m'engouffre dans une partie du "jardin" ( c'est plutôt un parc national oui !) non entretenue. 

Je l'ai découvert il n'y a pas si longtemps. Tout le jardin est impeccable sauf un petit endroit, à l'abris des regards, à l'arrière de la maison ou personne ne va jamais. De fait, ma maison a un "parc"et une entrée à l'avant. De l'autre coté, il n'y a que la clôture en bois. Mais en voulant aller chercher Desktop (qui avait réussi à se faufiler entre le mur et la barrière), je me suis aperçue qu'il y avait un trou de verdure. Oh ! Pas bien grand ! C'est surtout un coin où des haies sont plantées pour cacher notre demeure des regards. Mais en persévérant et en se faufilant tant bien que mal entre trois sapins, et quelques buissons d'aubépine et de buis, ainsi que du lierre, on arrive à un endroit où la haie à comme été arrachée. Cette micro-clairière fait la taille d'un grand placard, mais est la plupart du temps miraculeusement baignée de lumière. Beaucoup d'oiseaux font leurs nids ici et j'adore entendre piailler les oisillons. C'est manifestement le coin préféré de Desktop aussi... L'herbe est très rarement boueuse, mais j'apporte souvent une couverture, pour un peu plus de confort. Il est impossible de découvrir ce coin depuis la maison : les fenêtres de ce côté sont rares et ont un angle de vue quasi-nul. Bref, vous l'aurez compris, j'adore cet endroit! J'en ressors en revanche couverte de feuille, de toiles d'araignées et de rosée.

Une fois arrivée, je pose l'épaisse et longue couverture par terre, m'allonge dessus avec Desktop dans mes bras, me recroqueville sur moi-même et m'endors presque aussitôt.

Un amour de saucissonWhere stories live. Discover now