Amalgame Premier

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(Amalgame. C'est la première fois que j'en publie un, je vais donc vous offrir de petites explications.

Je rêve chaque nuit, comme tout le monde. Cependant, la plupart de mes rêves s'effacent à mon réveil, perdus à jamais. D'autres subsistent assez longtemps, le temps pour moi de les fixer sur le papier et de les transformer en Songes. Jusque-là, pas d'embrouille. Mais qu'advient-t-il des petits rêves ? Ceux qui n'ont été ni totalement oubliés, ni entièrement rappelés, ou bien qui sont trop courts pour évoluer en Songe ?
Hé bien, je récupère également ces demi-Songes avec précaution. Lentement mis de côté, ils s'accumulent et se rassemblent pour former un Amalgame de Songes . Le premier d'entre eux est désormais assez conséquent pour que je vous le présente.
Voici un rassemblement de contes sans passé, d'histoires jamais terminées, de fragments d'aventures noyés dans la fumée de mes souvenirs. Voici l'Amalgame Premier.)

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05/07/17
J'ai pris un bain. Un long bain, dans lequel j'ai perdu toute notion du temps. L'eau chaude a fini par déborder de la baignoire et elle s'est étalée sur le sol. Il y en a dans tout le couloir. Je constate avec horreur qu'une partie s'est infiltrée sous la porte de la chambre de mon frère. Comme si j'avais besoin de ça ...
J'entre rapidement et me jette à genoux. Avec l'espoir que tout passe inaperçu, je commence à éponger le sol. Je dois faire ça vite et discrètement. Ce n'est pas le moment de me mettre mon frère à dos.
La chance m'a clairement abandonné. L'intéressé entre dans la pièce une poignée de seconde après moi. Et maintenant, je vais devoir tout lui expliquer.

Fait chier ...

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02/08/17
Je contemple les sommets qui m'entourent. Tous sont couverts de neiges éternelles parfaitement immaculées. Une longue vallée recouverte par un glacier s'étire devant moi. L'air est froid, coupant, mais d'une pureté sans égale. Le soleil est haut dans le ciel et ses rayons parvient à peine à me réchauffer. Un climat typique de la montagne en hiver.
La station est noire de monde, mais silencieuse. Comme si le temps s'était arrêté. C'est un instant magique, où les seuls sons qui me parviennent sont ma respiration et les battements de mon cœur. Un rapace flotte à mon niveau, délicatement porté par un courant d'air chaud. Son œil doré me fixe et je lui rends son regard avec humilité. Puis il incline ses larges ailes, et s'éloigne sans bruit en contournant la montagne par la droite.

Lorsqu'il disparait derrière l'amas de pierres, les sons environnants me reviennent. Le télésiège ronronnant, les lames de ski qui crissent sur la glace, des dizaines de conversations simultanée, ponctuées par les cris de joie hystériques des enfants.
Jetant mon disque sous mes genoux, je m'élance sur la piste verglacée. Je gagne rapidement en vitesse. Cette sensation est grisante. Je me penche d'un côté, puis de l'autre, secoué par les irrégularités du sol gelé. L'air est projeté contre mon visage et siffle joyeusement à mes oreilles. Je dépasse d'autres skieurs en pleine descente, les saluant par des cris exaltés. Sur les bords de mon champ de vision, je distingue brièvement des silhouettes sombres de résineux. L'inclinaison de la piste diminue un peu, mais je ne ralentis pas.

Soudainement, la piste se scinde en deux. Toutes les personnes devant moi partent vers la droite, mais je me penche d'instinct pour prendre la voie de gauche. La neige frotte plus durement contre mon disque. Des nuages viennent masquer l'astre solaire et le paysage prend une teinte sombre et froide. J'ai bien ralenti maintenant. Avec un dernier crissement, je m'arrête au bord d'un précipice. La piste est toujours là – je distingue encore des piquets noirs le long de la paroi – pourtant j'hésite. L'atmosphère est sinistre et une brume bleutée occulte le fond de l'abîme. Dans ma tête, je me vois me laisser tomber dans le vide, vivant une sensation jamais vécue, mais sans jamais atteindre le fond. Chuter pour l'éternité, très peu pour moi. Je me relève et ramasse mon pauvre disque. Désolé de rebrousser chemin, je rejoins la piste à pied, tristement chassé par le spectre du doute.

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07/09/17
Je gratte avec vigueur le revêtement chromé de mon PC, juste sous le clavier. Les petits morceaux de métal se retirent facilement. J'admire avec satisfaction la zone sombre qui tache désormais la surface anciennement uniforme. Au touché, ça ressemble à une bande en caoutchouc. D'une façon ou d'une autre, mon clavier y et relié puisqu'une série de lettre sans cohérence apparait à mon écran à chaque fois que j'y pose le doigt. Je joue avec pendant un moment avant de me mettre au travail.

(Celui-ci est un peu spécial. Mon cerveau l'a considéré comme un souvenir bien réel...jusqu'au moment où je me suis rendu compte qu'il n'y avait pas de trou sous mon clavier ! Fin de l'anecdote. Bonne lecture.)

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11/10/17
La Renault 307 s'engage dans la sortie en direction de la zone industrielle. Je suis en pleine discussion avec Valentine. Curieusement, c'est elle tient le volant, alors qu'elle n'a même pas encore obtenu son code de la route...
- J'ai un super bon plan si tu veux changer tes pneus, me dit-elle. C'est dans un petit garage, du côté de P. -- Elle ralenti à peine quand la route s'enfonce de plus en plus entre les HLM -- Mon père a déjà essayé, il parle tout le temps de l'excellent rapport qualité prix.
- Je ne sais pas Val, j'ai déjà des pneus neige donc ça ne m'intéresse pas pour le moment.
- Comme tu veux, rappelle-moi quand tu auras un pneu crevé.

Dans un virage particulièrement serré, je perçois le son douloureux d'un frottement métallique. Je me tourne négligemment vers la conductrice qui semble un peu crispée.
- Val ? Ça a touché, là...
- Ouais, je sais. Tais-toi.

Je reporte mon attention sur la route devant nous lorsque j'aperçois la silhouette d'un homme à vélo. Je tique lorsque je me rends compte qu'il est nu. Les gens n'ont plus aucune décence...
Une fois que la voiture arrive à son niveau, je soupir de soulagement. Il est bien torse nu, mais porte un jogging dont la couleur est presque semblable à son teint de peau. Nous le dépassons rapidement, et sortons de B.

Val prends la direction de la voie rapide avant d'annoncer :
- On arrive bientôt à un rondpoint. Je cherche le panneau pour aller à « Étretat ».
- Aucune chance de le trouver ici, c'est trop loin. T'as pas une autre direction ?
- Audincourt, alors,
concède-t-elle après un claquement de langue désapprobateur.
- Audincourt ?! Mais c'est complètement à l'opposé !
- Arrête de te plaindre, tu me déconcentre.
- Ce que tu dis n'a aucun sens...
- Chut !

Je roule exagérément mes yeux dans leurs orbites, après quoi je lui lâche un « première sortie... » blasé afin de mettre un terme à ce débat sans issue. Sans ajouter un mot, elle entre dans le rondpoint en quatrième et tourne frénétiquement le volant pour rester sur la route. Mais ça ne suffit pas pour éviter le trottoir. Un triste grincement, ponctué par une nouvelle secousse, et je sens mon cœur se serrer.
- Val ? Ça a encore touché.
- Mais tais-toi !

Je décide de la laisser bouillir dans sa propre frustration et me plonge dans la contemplation du bord de la route. C'est un véritable plaisir de retrouver un peu de verdure après tant de temps au milieu des tours de béton. Les montagnes me manquent.

Sommeil et Mauvais RêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant