Prologue

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La pluie s'était remise à tomber. Encore.
Elle combla les nids-de-poule, chemina le long des routes et en exorcisa les pires odeurs d'asphalte.
Le brouillard cachait les maisons, la forêt, la vie. Le ciel était blanc, et parfois des oiseaux le fendaient en deux, attirant l'œil des plus attentifs.
L'odeur de chien mouillé se fit aussitôt sentir dans l'enceinte de la SPA, et j'eus du mal à ne pas en avoir les larmes aux yeux. Mais j'aimais ce temps brumeux qui pour moi possédait plus d'âme que certaines personnes de ce monde.
Le jeune soigneur reposa sa question de sa voix jeune et inexpérimentée, accroupi devant la cage ouverte.

"Vous le prenez ? C'est celui qui correspond le plus à votre demande."

Je jetai un regard au chiot attentif dans les bras de mon père, qui caressait l'une de ses grandes oreilles. Il se tourna vers moi, les sourcils haussés, l'air attendri.

"Charlie, tu veux celui-là ?"

La bestiole couleur caramel et crème me regardait curieusement. Je mourrais d'envie de le prendre dans mes bras et de partir avec, mais bien de choses noires m'arrêtaient.
Je ne voulais pas que mon père pense m'avoir comblée de bonheur en m'amenant dans un refuge pour remplacer mon chien, qui était mort dans d'affreuses circonstances. Il avait porté le digne nom de Snow et avait été un chien absolument parfait selon moi.

Je savais que mon père, adorable, voulait mon bien, mais le deuil était passé, difficilement, et l'histoire enterrée.
Je regardai le chiot en pensant à ce que deviendrait son destin s'il restait dans cet endroit et mentis :

"Oui, il est parfait."

Je regrettais déjà ma paraphrase lorsque mon père mît le chiot sur mes genoux, à l'avant de la voiture, pendant que les essuies-glace se battaient dans cesse pour balayer la pluie qui tombait. Mon père enclencha le contact et la voiture vrombit.
Quelques secondes plus tard, le chiot vomissait, dès le deuxième virage en tête d'épingle.

"Ah papa !! J'espère qu'il a pas trop mangé ! Burkk...

-Dis «elle», c'est une fille. Et dans la boîte à gants, il y a de l'essuie-tout."

Il coula un regard vers moi pour vérifier si je souriais, puis, rassuré, alluma la radio en soupirant. Je l'observai : ses cheveux poivre sel, courts, couvraient l'intégralité de sa tête. En effet, dans ma famille, très peu d'hommes étaient atteints de calvitie et je n'en remercierai jamais assez le Ciel.

Une vieille chanson rock se diffusa dans la Renault bleu marine, et mon père commença à tapoter le volant en rythme avec la musique.

"Mhh hmm.. Je devrais te l'apprendre, celle-ci, à la guitare. C'est la première chanson que j'ai chanté à ta mère lors de notre premier rendez-vous."

Je me souvins alors de la version de l'histoire de ma mère et me mît à sourire bêtement, oubliant la boule de poils qui reprenait ses esprits sur mes genoux.
Mon père me regarda de ses yeux gris et sa mine se décomposa :

"À quoi tu penses pour sourire comme ça ?"

Je pouffai en dissimulant maladroitement mon sourire de la main.

"Elle dit que tu l'avais plutôt murmuré, par ce que tu n'osais pas faire beaucoup de bruit, sur le bord de ce lac.. Soit disant pour ne pas «réveiller la forêt»"fis je en mimant des guillemets mesquinement.

Après avoir dit cela, je m'esclaffai et mon père tourna la tête en souriant, gêné.

"Et tu la crois elle, mais pas moi ?"

Je le fixai, un sourcil levé. Il était capable de n'importe quel mensonge pour ne pas paraître ridicule devant les autres, sauf si la chose mise en compte ne tenait pas à ses yeux.
Sans le quitter du regard, je me mis à caresser la petite chienne en murmurant :

"Hé bien, toutou, tu vois ton maître, là, ici présent, au travail, il va faire croire qu'il a adopté un gros doberman très musclé. Je ne crois pas que tu auras le temps de prendre quarante centimètres de plus et des crocs aiguisés avant que ses collègues ne se rendent compte qu'il a adopté un bébé corgi pour sa fille adorée !"

Mon père augmenta malicieusement le volume de la radio pour ne plus m'entendre et le son finit par couvrir ma voix en plus du brouhaha de la pluie. Je baissai les bras et me mis à caresser machinalement le chiot, qui essayait de m'attraper un doigt.

La voiture sombre s'engagea dans le chemin escarpée où notre maison était plantée, et je pus voir ma mère et ma sœur nous attendre sous la pluie dans le jardin, derrière le portail.
Elles virent la voiture et sautèrent de joie, comme si nous ramenions le soleil.
Elles nous ouvrirent le portail et aussitôt ma portière.

"Oh, le bout d'chou !!! s'exclama ma mère en voyant le chiot.

-Waaa, il est trop mignon !!" continua ma sœur, Diane, d'une voix suraiguë.

Je leur tendis la petite bête courte sur pattes, n'en pouvant plus, et annonçai que j'allai prendre une douche, mimant l'insensibilité, et fusillée du regard par ma famille.

Ils se demandaient quelle mouche m'avait piquée.

Parfois, être pessimiste attriste notre entourage mais nous permet de nous réjouir intérieurement de chaque petite victoire.

Charlie FlammeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant