Chapitre 2

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Mon professeur de sciences sociales se mit à marcher en sillonnant la classe et en tentant de capter le regard des élèves.

Il parlait d'une voix puissante et enjouée.

Pour parler du programme d'un ministre parmi tant d'autres.


Tous les élèves semblaient somnolents ou démagogues et imitaient l'intérêt en hochant la tête de temps en temps.
Soudain, une main se leva. Le professeur l'ignora quelques temps, mais par sa bonté "inégalable et innée", il interrogea l'élève en question devant cette persévérance qui dura quelques minutes.

Ousman, mon rival intellectuel, se mît a parler à l'aide de petites tranches de phrases saccadées qui le rendaient ridicule.

"Monsieur, il me semble que vous êtes en train de nous influencer. Depuis trente minutes, vous parlez de François Bruel avec un entrain inégalable. N'est ce pas là une preuve que vous montrez ostensiblement vos opinions politiques ?"

Le professeur prit malgré lui une teinte légèrement violacée.

Anais, la fille la plus populaire de la classe et celle qui me servait de voisine de table dans cette matière, me regarda d'un œil malicieux.

"Alors, Tango-Charlie, ton amoureux semble bien résolu à nous faire perdre quelques heures de cours."

Puis elle se tourna vers la classe et se leva en criant :

"OUSMAN PRÉSIDENT !!!"

Puis, la classe, voyant qu'Anais riait, se mît a rire aussi.

Le professeur me jeta un regard suppliant et je haussai les épaules en soupirant : cette mascarade réservée aux cours de SES durait bientôt deux mois - soit le temps nécessaire à une classe dont la moyenne de QI plafonnait vers les 100-110 maximum pour comprendre que le prof était une victime malgré lui. Et son nom, Gredin, ne l'aidait en rien.
Les professeurs de Gipsum Valley portaient vraiment des noms étranges.

"TANGO-CHARLIE MINISTRE DE L'EXTERIEUR !"

Je soupirai. Depuis qu'on était en cinquième, et que les garçons de ma classe s'étaient rendu compte que Flamenco et Flamme, mon nom de famille, se ressemblaient beaucoup. Puis, Stéphane, un rigolo, avait comparé le Flamenco à la danse endiablée qu'était le tango. Depuis, mon nom officiel pour tous les poufs de la classe étaient Tango-Charlie.

Le professeur se leva et tenta de frapper la table du poing, mais le heurta à une misérable gomme et émit un son étouffé.
Heureusement pour lui, personne ne le remarqua et toute la classe reprit le slogan d'Anais :

"OUSMAN PRÉSIDENT !"

Je toussotai et regardai Ousman, qui semblait non peu fier de son intervention : le pauvre chouchou ne savait pas que la classe se moquait éperdument de lui.
Je levai la main et le professeur eut une lueur d'espoir dans le regard en m'apercevant. Il m'interrogea au milieu du vacarme généré et se pencha vers moi (je fus asphyxiée par son eau de Cologne) pour m'entendre dire :

"Classe, 4, Gredin, 0. Mode samouraï.."

Cette énumération de points sembla activer quelque chose dans le cerveau du professeur car celui ci déglutit.

Cette année, le proviseur m'avait accueilli dans son bureau dès la rentrée pour me proposer un marché secret : j'aidais les professeurs à comprendre les élèves, et en échange, la cantine m'était payée.
Indirectement, j'étais rémunérée pour dire au prof que la classe se payait de sa tête.

En effet, depuis primaire, j'étais réputée auprès des professeurs pour marquer des posts scriptums sur mes évaluations qui critiquaient légèrement leurs méthodes d'éducation. Au début, ils me punirent, mais lorsqu'ils virent que je continuais ils commencèrent à suivre mes conseils.

Le professeur rajusta sa cravate et se redressa.

"Ousman."

La classe se tut immédiatement. L'intéressé haussa les sourcils, possesseur d'une confiance en soi qui ne lui allait pas.

"Puisque tu sembles déterminé à plaire à tes camarades, je pense que je vais arrêter là. Puis... Sortez une feuille, tiens !!"

Sur la tête de tous les élèves, une mine d'étonnement et d'indignation remplaça l'amusement.

"QUOI !? Mais monsieur c'est le premier cours dans lequel on parle de Patrick Cabrel, on a pas eu le temps de réviser ! S'exclama Stéphane.

-Premièrement il s'appelle François Bruel, et deuxièmement, je veux que vous preniez des notes, je vais pas vous sortir une éval sur un ministre parmi d'autres. Et là vous avez intérêt à machiner, parce que je ramasserai vos prises de notes."

Tout le monde sembla aussitôt très appliqué à ouvrir les boucles des classeurs pour y prendre une feuille.
Gredin me regarda, l'air vainqueur, et je hochai la tête en fronçant les sourcils et en souriant faussement, mal à l'aise. Il faisait des progrès dans le domaine de la compréhension. Croyez moi.

C'est ainsi qu'il continua son discours "palpitant", tout en tentant de le varier un peu en énumérant brièvement d'autres ministres.

Le cours se termina sur le ramassage de copies par le professeur, qui dès la sonnerie se tourna vers moi en me lançant un regard interrogatif.

Je hochai la tête une deuxième fois pour le rassurer malgré le fait que j'étais juste pressée de partir au point de laisser toutes mes affaires sur la table.

Morale du jour : les gens m'énervent.

Charlie FlammeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant