8.

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Il ne répondit pas. Je pris une gorgée de Jack Daniel et il alluma un deuxième joint. Il ne me regardait toujours pas. Je m'allongeai sur le matelas, lui restait assis en position fœtale, à tirer des taffes pour oublier. Il me le tendit sans tourner la tête. Les signes d'affections, les regards amoureux, tout ça n'était plus d'actualité, en tout cas pas pour ce soir. Je fermai les yeux, le joint dans la bouche. Je le sentis s'allonger entre le mur et moi, il posa une main sur mon ventre. Mes yeux s'ouvrirent en grand, je m'étouffais avec la fumée que je venais d'aspirer.

-Tu fais quoi là Jo ?

-Je me disais que peut-être...

-Ferme ta gueule par contre. Vraiment pas. On ne le garde pas. Est-ce que je peux te rappeler que tu es majeur ? Au-delà du fait que ce qu'on fait est illégal aux yeux de la loi, et que je ne suis pas prête à accoucher d'un gamin à 14 ans, ce n'est pas possible tu m'entends ?

-Ouais j'sais. J'dois être défoncé pour penser des trucs comme ça.

Je préférais ne pas relever. Ma main caressait distraitement son bras qui tenait ma hanche contre lui, tandis que je me remis à pleurer. Il s'en aperçut et essuya mes larmes avec douceur. Il déposa un baiser sur ma joue.

-Ca va aller mon cœur. Je te le promets. Tu vas avorter, tout va bien se passer. Ce n'est pas grand-chose au final, ce n'est pas si grave que ça.

-C'est vrai que c'est rien avorter.

D'une voix très calme qui me surprit moi-même je me mis à parler sans m'arrêter, parlant sans m'arrêter, exprimant tout ce qui me passait par la tête.

-Avorter c'est rien tu as raison. Tu prends juste un cachet. Et ce cachet va tuer un gosse. Il a rien demandé lui. De quel droit on se permet de lui interdire de vivre comme ça ? Mais c'est vrai qu'avoir été conçu un soir dont on se rappelle même pas ce qui s'est vraiment passé ce n'est pas très valorisant non plus. Et puis la question ne se pose pas. On ne peut pas le garder ce gosse. Mais tu te rends comptes quand même ? A quel point on est cons ? Pourquoi on n'a pas mis de capotes en fait ? On n'est même pas capable de s'en souvenir. Je suis presque sûre que c'est juste qu'on voulait faire sans. Elles devaient être dans ton sac trop loin en tendant le bras et on était trop mort pour y aller. Putain mais qu'est-ce qu'on est cons. Tu te rends compte ? Tout ça pour un petit oubli de merde ! Et encore on n'a pas vérifié que tu ne m'avais pas refilé une MST... Nan mais putain Jo on va tuer un enfant ! Un petit fœtus pas plus gros que mon pouce... On va le tuer dans mon ventre en plus ! Mais non on ne peut pas faire ça ! Dis-moi qu'on ne va pas le faire. Je ne suis pas une meurtrière. Je ne veux tuer personne. Par pitié.

Mes sanglots m'empêchèrent de continuer ce monologue dénué de sens. Je réalisai à peine le terrible dilemme qui se présentait à moi : devenir maman à 14 ans, avec comme père un homme majeur, que ma mère ne pouvait pas supporter ou avorter, autrement dit le tuer. Sans réfléchir, comme ça. La deuxième solution s'imposait forcément à mon esprit et j'essayais de me rassurer en me disant que ce n'était pas un acte criminel, que si les médecins le faisaient c'était justement parce qu'il n'était pas encore considéré comme vivant. Et puis ce n'était qu'un cachet, on n'allait pas le poignarder. Il allait ensuite s'écouler dans mes prochaines règles sans que je m'en aperçoive. Mais je l'aurais quand même tué.


Avortement précoceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant