Lassitude

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Chacun de nous a dans le cœur une chambre royale ; je l'ai murée, mais elle n'est pas détruite.
Gustave FLAUBERT

Gabrielle sirote son verre de jus de fruit, contemplant distraitement les passants sous le regard amusé de Marine. Elles se trouvent toutes les deux dans un bar, après une journée chargée d'examens. Même si elle ne lui dit rien, Marine trouve Gabrielle changée depuis Juliette. La blonde n'avait jamais connu l'amour, préférant, disait-elle, la liberté du célibat. Prétexte ou pas, la jeune fille n'avait pas pu aider son amie. Lâchement, elle l'avait peu à peu abandonnée, se sentant dépassée par l'ampleur des évènements. Gabrielle ne lui en voulait pas, sûrement parce qu'elle pensait ne pas valoir autant d'attention. Marine savait bien que son amie se trompait, mais comment pouvait-elle le lui faire entendre si elle-même était persuadée du contraire.

Quant à Gabrielle, la soirée inoubliable qu'elle avait passée il y a quelques jours semblait lui redonner un peu d'espoir. Le poids dans son esprit était moins lourd, moins douloureux. La vie reprenait le dessus. La jeune fille était restée en contact avec Juliette, et ce soir, elle la verrait de nouveau. Seules et dans un restaurant éloigné du centre-ville, ressemblant fortement à un rencard mais elle n'avait pas peur, et, surtout, ne voulait pas le faire pour de mauvaises raisons.

- Qu'est-ce qui te donne cet air pensif, belle rousse ? coupe Marine des nombreuses réflexions de Gabrielle.

La concernée détestait cette question, trop envahissante à son goût. Elle n'aimait pas parler d'elle et encore moins de ses pensées. Contrairement à la plupart des gens, Gabrielle n'exposait pas sa vie aux yeux de tous et c'est bien souvent cet air distant qui les faisait fuir.

- Rien de spécial. Finissait-elle toujours par répondre.

Marine n'insista pas et finit par divaguer vers des sujets bien trop inintéressants pour Gabrielle qui préféra continuer ses pensées solitaires hôchant la tête à chaque fois que son amie la regardait dans les yeux.
Gabrielle était lasse de toutes ces discussions, de tous ces gens qui finalement ne sont pas si différents et surtout de ces journées qui se ressemblaient toutes. Une seule personne avait provoqué son intérêt et indirectement lui avait redonnée espoir dans la vie. Juliette était différente parce qu'elle écoutait et parlait intelligemment. Du moins, de choses intéressantes à ses yeux. Son ancienne petite-amie avait été intéressante, elle aussi, mais Gabrielle ne s'était jamais sentie réellement écoutée. Si bien qu'à force, elle avait arrêté de parler d'elle puisque de toute façon elle ne recevait pas de question. Et c'est en "discutant" avec Marine, que le défaut de son ex revenait la frapper au visage. Comment avait-elle fait pour oublier son mal-être muet face à l'indifférence de sa petite-amie ?
Cette interrogation la hanta jusqu'au soir, si bien qu'elle se sentit obligée d'en parler à Juliette.

- On a tendance à surestimer notre relation et la personne avec qui l'on a vécu quelque chose d'important, une fois qu'on les a perdues. avait finalement tranché la blonde.

Gabrielle en resta bouche bée. Ce défaut flagrant avait été arraché de sa mémoire avec la séparation. Sa rémission aurait sûrement été moins lente si elle en avait pris conscience plus tôt. Voilà le genre de chose qu'elle ne voudra jamais retrouver chez une personne : l'égoïsme. Cette information redonna le sourire à Gabrielle et prit enfin conscience de la situation dans laquelle elle se trouvait.
Juliette était souriante, visiblement heureuse d'être avec elle et portait un chemisier bordeaux quelque peu ouvert au point d'apercevoir la naissance de ses seins. Quant à ses yeux, ils ne quittaient plus le sourire de Gabrielle. Juliette avait du goût, c'était certain, puisque l'endroit dans lequel elles se trouvaient était chaleureux. L'ambiance tamisée du restaurant apaisait Gabrielle, loin du brouhaha des étudiants.

- Merci Juliette pour tout ce que tu fais. Chuchotait la jeune fille sous la presque confidence.

- Arrête, c'est normal ce que je fais.

Gabrielle se retint de dire que pour elle, ça ne l'était pas. Les personnes comme Juliette devaient se compter sur les doigts de la main et elle espérait en faire partie.

- A quoi tu penses ? Avait subitement lâché Juliette face à l'air songeur de sa rencontre.

Gabrielle était une fois encore face à la fameuse question qui semblait rester intemporelle. Mais étrangement, de la part de la blonde, cela ne la dérangeait pas. Elle se sentait en confiance avec cette fille qui la rendait si pleine d'espoir.

- Je pense au fait que j'ai de la chance de t'avoir rencontré. Annonçait franchement la rousse.

Gabrielle avait dit cela d'un ton plein d'assurance, loin de la fille timide que Juliette avait rencontré la première fois. Ce changement soudain, qui se révélait seulement pour elle la fit rougir au point qu'elle ne put la regarder en face. Se sentant en position de force, la jeune fille posa délicatement sa main sur celle de Juliette. Décidemment, Gabrielle avait bien des facettes que Juliette était loin de soupçonner. Peut-être que la belle rousse était finalement prête pour une nouvelle relation, plus qu'elle ne le pensait en tout cas. Heureuse, Juliette serra de ses doigts la main, chaude, de Gabrielle. Les deux jeunes filles se souriaient timidement, face à ce premier contact.

Sorties du restaurant, Juliette et Gabrielle marchaient dans la pénombre. Bercées par le silence de la nuit, elles s'étaient toutes deux évadées dans leurs pensées. Ce simple contact physique avait réconforté Gabrielle mais elle était nerveuse pour la suite, sur le court comme le long terme. Qu'allait-il se passer cette nuit ? Elle n'avait pas envie d'aller chez Juliette d'autant plus qu'elle ne s'était pas épilée. Et que voulait-elle avec la blonde ? L'attachement, les concessions et peut-être même l'amour, elle avait déjà donné et ne souhaitait pas réitérer l'expérience. Pourquoi lui avait-elle pris la main dans ce cas ? Elle le voulait. Aussi simple que cela puisse paraître, elle en avait eu envie.

- Quoi ? Prononça bêtement Gabrielle, venant de remarquer que Juliette la toisait depuis quelques secondes.

- Tu as de la sauce tomate sur la joue. Se moqua la concernée.

Gabrielle interrompit sa marche, honteuse, et commença à frotter frénétiquement sa joue.

- Attends, je vais t'aider.

Avant même que Gabrielle ne se mit à protester, Juliette s'était déjà fortement rapprochée d'elle, si bien qu'elle pouvait sentir le souffle chaud de la blonde contre son visage, une réaction qui figea entièrement son corps. Quant à Juliette, elle caressait de son pouce la tâche qui semblait finalement être une ruse pour l'approcher. Ce qui toucha Gabrielle.

- Elle n'va jamais partir, tu sais, si tu t'y prends de cette façon. Dit-elle en riant.

C'était la toute première fois que Juliette entendait rire la belle rousse. Et ce simple son lui avait fait détourner le regard sur les lèvres si attirantes de Gabrielle. Cette dernière ne riait plus. Et le silence revint dans la nuit noire jusqu'à ce que les lèvres de Juliette effleurent timidement les siennes. Comme une demande d'autorisation, Gabrielle approuva en effaçant la distance entre elles-deux. Elle en avait presque oublié la douceur et le bien-être que cela procurait. D'autant plus que Juliette embrassait d'une façon qui faisait redoubler la vitesse du cœur de la jeune fille. Elle s'autorisa à fermer les yeux pour profiter pleinement de cette sensation. Gabrielle se sentait bien avec la jeune fille. Et cette sensation de bien-être ne lui avait pas traversé le corps depuis bon nombre de mois. Mais elle n'oubliait pas les conséquences que pouvaient engendrer ce premier baiser. Qu'allait-elle bien pouvoir faire ?

GabrielleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant