Juliette

69 9 8
                                    

La plupart de nos peurs sont des créations de notre esprit. La seule façon d'en être convaincu, c'est de se jeter à l'eau, d'aller les affronter.
Laurent Gounelle

Depuis plus de trois mois, Gabrielle revoyait Juliette. Elles avaient coupé tout lien pendant quelques semaines mais Gabrielle ne pouvait plus supporter ce silence. Elle portait de l'affection pour cette jeune fille qui l'avait écoutée sans rien attendre en retour. Une semaine après son cambriolage, elle l'avait appelée pour se revoir. Autour d'un verre, sur le ton de la plaisanterie, Juliette sous-entendait que Gabrielle n'avait pas pu se passer d'elle. Cette remarque avait pris du sens dans la tête de Gabrielle parce qu'elle avait raison. Elle ne parvenait pas à expliquer son comportement envers cette fille. Elles ne se connaissaient pas depuis longtemps mais les conseils et l'aide que lui apportait Juliette la rendait unique. Elle n'avait jamais connu ça et au fil des jours elles étaient devenues très proches. Gabrielle voulait que Juliette soit sa partenaire de vie, celle qui reste à ses côtés, peu importe la situation. Ce qu'elle ne savait pas, ou faisait semblant de ne pas savoir, c'est que Juliette s'attachait d'une forme plus brûlante que l'attachement de Gabrielle.

- Ca te dirait que ce soir on se fasse un ciné ? Avait subitement demandé Juliette pendant leur conversation téléphonique.

Et la jeune fille accepta avec joie. Gabrielle aimait ces moments passés à raconter des milliers de choses avec Juliette. Elles n'étaient pas à la fac ensemble, Juliette était en droit. Ainsi, elles passaient généralement leur fin de journée à s'appeler pour discuter de leurs périples quotidien.

Aujourd'hui était un jour spécial car Gabrielle s'était rendu compte du désintérêt progressif qu'elle accordait à son ex. Elle pensait toujours à elle, bien sûr, mais de moins en moins. Hier, elle n'y avait même pas pensé. Heureuse de cette découverte Gabrielle avait le cœur léger. Juliette et elle débutait quelque chose qu'elle ne savait pas définir mais elle aimait leur relation. Elle savait que c'était quelqu'un de bien et elle lui faisait entièrement confiance. Pourtant demain soir, après la séance du film de 21 heures, les choses allaient changer.

Les deux jeunes filles étaient sortis hilares de leur salle de cinéma. Le film était d'une lenteur épouvantable et les effets spéciaux incohérents avec la modernité d'aujourd'hui. Un homme s'était empressé de leur demander d'arrêter de rire durant la séance mais ça n'avait que redoubler leur engouement, étonnées de voir que le film plaisait. Malheureusement, l'ambiance allait changer de ton lorsque les filles arrivèrent à l'appartement de Gabrielle. Juliette était dans les bras de cette dernière, elles discutaient de sujets légers. Puis la blonde embrassa Gabrielle différemment de d'habitude, peut-être plus intensément, plus appuyé ou tout simplement plus amoureusement. Enfin, Juliette regarda attentivement le visage de la jeune fille avant de lui dire quatre petits mots qui peuvent chambouler une existence.

- Je t'aime Gabrielle.

Le corps de la rousse se figea. Juliette l'aimait. Elle devrait se réjouir de cette nouvelle, avoir le cœur qui bat la chamade, le sourire amoureux, une vague de bonheur déferler sur sa personne et l'embrasser enfin pour que son corps entier sous-entende à l'unissons "moi aussi Juliette, moi aussi je t'aime". Pourtant, la nouvelle lui avait fait l'effet d'une gifle. Elle prit alors conscience que non, elle n'aimait pas Juliette de la même façon que la blonde l'aimait. Cette révélation lui fit ressentir une tristesse immense pour ce que ça sous-entendait mais aussi pour la suite des événements. L'amour qu'attendait Juliette ne viendrait jamais. Elle ne savait pas comment l'expliquer et se maudissait de ne pas ressentir la même chose mais c'était ainsi. Gabrielle ne pouvait pas faire semblant, pour une fille de la valeur de Juliette et puis pour elle-même, comment pourrait-elle se regarder en face après ça ?

Face à la réaction, ou plutôt l'absence de réaction de Gabrielle, Juliette sentit son cœur se briser. Un craquement sourd, inaudible, qui fait place à un immense vide à l'intérieur de soi. Les larmes commencèrent à se frayer un chemin sur son visage et Gabrielle ne put s'empêcher de retenir les siennes. La jeune fille se dit alors qu'elle préférait être celle qui aime plutôt que celle qui n'aime plus. Assumer le mal que l'on fait est encore plus difficile que de le subir.

- Je suis désolée Juliette... Si tu savais à quel point je me sens mal... Dit-elle à travers ses sanglots.

- Pourquoi Gabrielle ? Pourquoi avoir vécu tous ces mois avec moi alors que tu ne ressentais rien ? Lâcha finalement la blonde, le ton sec et le visage endurci malgré la tristesse.

Déstabilisée, Gabrielle ne sut quoi répondre. Elle aimait Juliette, ça elle en était certaine, mais pas d'une passion brûlante qu'elle avait pu ressentir auparavant. Elle aimait ces moments avec elle, ces nuits, ces réveils dans les bras l'une de l'autre, ces retrouvailles, ces câlins, ces baisers, ces appels... Elle aimait ce que lui apportait Juliette mais pas véritablement Juliette... Là, était la différence et elle ne s'en était jamais rendu compte. Elle avait été égoïste et elle allait le payer chère.

- J'ai beaucoup d'affection pour toi, tenta Gabrielle, je t'apprécie beaucoup mais je...

- Tais-toi, la coupa Juliette, ce que je vois c'est que depuis le début tu te sers de moi.

Gabrielle ne dit rien. Les mots employés par la jeune fille avaient été froids et tranchants. Et si elle avait une autre vision plus nuancée que celle de Juliette sur ces derniers mois, elle ne pouvait pas nier que oui, elle s'était en quelque sorte servie d'elle et à présent elle le regrettait.

- Je suis désolée Juliette, je m'en veux terriblement. Tu ne mérites pas ça.

La blonde se sentit une fois encore ébranlée. Gabrielle ne cherchait même pas à nier. Quelle genre de personne pouvait faire une chose pareille ? pensait-elle. Juliette n'ajouta plus rien. Elle se saisit de ses affaires, s'empêchant de s'effondrer au milieu du salon et de fondre en larmes puis claqua la porte derrière elle sans rien dire. Gabrielle se recroquevilla sur elle-même et laissa ses larmes couler. La rousse se sentait misérable et ne savait pas comment elle allait pouvoir vivre avec ce qu'elle avait fait à une fille comme Juliette. Il était inutile de dire que tous ces moments passés avec elle n'étaient pas faux, elle l'aimait beaucoup mais elles avaient désormais des sentiments différents, par sa faute, qui lui coûtaient la présence de Juliette. Cette fille avec qui elle n'avait jamais été aussi proche de personne. Oui, Juliette comptait beaucoup pour Gabrielle, plus que n'importe qui de ses amis mais pas de la même façon que Juliette. Le poids de la culpabilité allait être difficile à porter et pour l'instant elle n'avait pas envie d'y penser. Maintenant, elle voulait s'écrouler dans son lit et s'évader vers un autre monde. Demain, elle ne voulait pas y penser.

GabrielleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant