mail n°2

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À : magnusolsen@gmail.fr
De : harryquebert@gmail.com

Date : samedi 9 octobre 2010
Objet : RE : une histoire de famille

Bonjour Marcus.

Avant toute chose, je te présente mes plus sincères condoléances pour le décès de ton père. Je n'ai pas eu la chance d'apprendre à le connaître autant que je l'aurais souhaité, mais la douleur de perdre l'un de ses parents, voire les deux, dans mon cas, m'est plus que familière. J'aurais voulu être présent à ses funérailles.

Pardonne-moi de ne te répondre qu'aujourd'hui, j'ai été fort occupé ces derniers jours avec les répétitions de la pièce des Origines du mal, car comme tu sembles déjà le savoir si j'en juge par l'entrée en matière de ton mail, mon roman le plus acclamé est en train d'être adapté pour le théâtre par nulle autre que notre cousine Béatrice ! Elle a de superbes idées pour adapter mon livre, n'est-ce pas merveilleux ?

Au cas où tu l'ignorais, c'est une dramaturge de renom au Canada, surtout dans la province de Québec, elle a d'ailleurs gagné plusieurs prix pour ses pièces qu'elle écrit et qu'elle met elle-même en scène. Je crois me souvenir que l'une d'elles a fait un tabac à Paris il y a quelques années, peut-être en as-tu entendu parler ? Quoi qu'il en soit, à l'heure actuelle, je loge avec elle dans l'appartement de son enfance à Montréal et l'assiste du mieux que je le peux.

Nous nous levons aux aurores pour aider les acteurs à répéter et ne rentrons qu'à la nuit tombée pour nous reposer quelques heures. Entre-temps, nous nous dépêchons de boucler les derniers préparatifs qu'exige un projet d'une telle envergure, car nous avons fixé la date de la première pour décembre et ne disposons plus que de quelques semaines pour bien nous y préparer.

Nous dormons mal, nous mangeons mal, nous carburons au café — j'ai l'impression d'être redevenu un étudiant ! Mais je ne m'en plains pas, c'est une expérience des plus enrichissantes, et j'ai vraiment hâte que l'on présente les fruits de notre dur labeur. Vivement décembre !

Il va sans dire que ta femme et toi êtes tous les deux invités à la première de la pièce, ce serait d'ailleurs une belle occasion pour Béatrice, ta femme, toi et moi de faire plus ample connaissance, qu'en dis-tu ? Si cela vous intéresse et si bien entendu vous avez les moyens de vous permettre un petit voyage outre-Atlantique, je vous conseille vivement de communiquer avec moi le plus vite possible, car les billets se vendent déjà comme des petits pains chauds !

Ainsi, c'est l'oncle Ambroise qui détenait ces photographies ? Seigneur ! Ma mère, juste avant de mourir, aimait feuilleter les albums photos de nos vacances annuelles au Québec, et à l'époque, j'ai eu beau chercher, je ne suis pas parvenu à mettre la main sous ce fichu album. Hélas, la réapparition de ces photos dans ma vie me cause plus de souffrances que de réjouissances, surtout si elles remontent bel et bien à l'été 1956 comme tu le présumes.

Si en ce moment tu fronces les sourcils devant ton écran, et si les prénoms d'Aubépine et de Camélia te sont inconnus, c'est que tes parents et tes grands-parents ne t'ont jamais parlé du drame qui jeta l'opprobre sur le nom de Quebert au milieu des années 50.

Je t'en prie, ne leur en veux pas de t'avoir caché la vérité. Encore aujourd'hui, il nous répugne à tous d'évoquer les tristes circonstances qui menèrent à leur perte bien des nôtres. Je m'apprête pourtant à te les révéler, non seulement parce que tu en as besoin pour écrire ton prochain roman, mais aussi parce que tu fais toi aussi partie de la famille. Comme tu n'étais pas né au moment des faits, peut-être seras-tu moins perturbé que tes grands-parents, tes parents et moi-même l'avons été.

Avant que je me lance dans ce récit des plus affligeants, je me dois de te poser une question. Parmi les affaires de ton père, tu m'as dit avoir découvert sa correspondance avec les Quebert-du-Québec. Si ce n'est pas trop indiscret de ma part, l'une de ces lettres renferme-t-elle quelque information concernant le drame de '56 ? Il serait tout de même bête que je te raconte par le menu des événements dont tu connais déjà la nature, n'est-ce pas ?

Quant à la photographie qui retient tant ton attention, je l'ai longuement observée et si je vois bien l'ombre dont tu me parles, je ne puis m'empêcher de me montrer sceptique par rapport à ta théorie du surnaturel. J'en ai glissé un mot à Béa, et elle est du même avis que moi. N'empêche que tu peux très bien broder l'intrigue de ton prochain livre autour d'un quelconque fantôme meurtrier, ce pourrait être... intéressant.

Je ferais volontiers parvenir un exemplaire dédicacé des Origines du mal à ta femme, mais puisqu'il est possible que nous nous voyions tous au théâtre en décembre, ne serait-il pas préférable que je le lui remette en mains propres ? Naturellement, je me ferai un plaisir, dans le cas contraire, à le lui expédier par la poste. Vivez-vous toujours à la même adresse ?

P-S : Olive a déjà dix ans ? Dieu que le temps passe vite... Au risque très élevé de passer pour un inculte, qu'est-ce que High School Musical ? Je n'en ai jamais entendu parler. Mais bon, pour faire plaisir à ta petite Liv, je veux bien me pencher sur la question. Je lui reviens avec mon verdict dans ma prochaine missive, promis.

Avec l'expression de mes meilleurs sentiments,
Harry Quebert

La théorie d'HalloweenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant