Chapitre 2

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« La solitude est un jardin où l'âme se dessèche, les fleurs qui y poussent n'ont pas de parfum ... »

Marc Levy


La première fois que ça m'était arrivé, j'avais huit ans. J'étais dans la cour de récréation, à l'écart des autres, comme d'habitude, lorsqu'une fille était venue vers moi et m'avait gentiment tendu la main en me proposant de jouer avec elle et ses amies. Méfiante, j'avais accepté, mais quand je m'étais levée et que j'avais saisi son bras, j'avais eu un vertige et une cascade de pensées et d'émotions qui m'étaient étrangères étaient apparue dans mon esprit. Je n'avais pas compris, et je m'étais enfuie, j'avais tenté de me persuader que c'était juste une hallucination mais la suite des évènements m'avaient confirmé la triste réalité.

Je ne pouvais plus toucher quelqu'un sans lire ses pensées et ses émotions.

A partir de ce moment-là, j'avais décidé d'essayer de ne plus laisser mes mains entrer en contact avec la peau de quelqu'un d'autre, je ne supportais pas d'avoir les pensées d'un inconnu qui parasitaient les miennes.

Je ne pensais pas que ce pouvoir pouvait en cacher un autre, je ne pensais pas que la situation pouvait être pire.

J'avais tort.

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·

Une goutte tomba sur mon bras.

Pourquoi maintenant ?!

Évidemment.

Il fallait qu'il pleuve alors que je peignais à l'aquarelle.

Généralement, j'adorais la pluie mais là, ça tombait vraiment mal.

J'aimais sentir les gouttes perler sur mes cils. J'aimais quand l'eau alourdissait mes cheveux, j'aimais l'odeur de l'herbe mouillée. Mais ce que je préférais, c'était l'absence de gens dans les rues. J'adorais me promener seule, sans manteau et perdue dans mes pensées, par ce temps-là. Je pouvais danser et sauter par-dessus les flaques au rythme des gouttes qui martelaient le sol sans craindre de frôler une personne sans faire exprès. Je me sentais libre.

Mais c'était vraiment, vraiment pas le moment !

Je pris mon dessin et le rangeais dans mon petit sac en toile puis courus pour arriver chez moi avant que l'eau ne transperce le tissu fin de ma besace.

Alors que j'arrivais à un carrefour, j'entendis des cris sur le trottoir d'en face. Je plissai mes yeux et tentai de distinguer la scène à travers le rideau de pluie. Peine perdue. Lorsque la borne devint bleue, je traversai en courant et faillit trébucher sur une femme à terre.

Elle pleurait et s'agrippait au pantalon d'un homme en noir et bleu.

Encore un Dirigeant.

Celui-ci tenait une jeune fille brune d'environ mon âge par le bras. Elle pleurait aussi. La femme reprit sa plainte.

« - S'il vous plaît, je vous en supplie, ne l'emmenez pas ! Elle est tout ce qu'il me reste ! Mon enfant... »

Elle s'étrangla à la fin de cette phrase.

« - Madame, nous suivons des valeurs et des buts différents des vôtres. Vous ne pouvez pas nous empêcher d'emmener votre fille, nous avons le soutien de l'Etat. »

Il ricana puis reprit.

« - Nous sommes l'Etat. »

Il ponctua sa tirade par un coup dans les côtes de la pauvre mère pour qu'elle le lâche. Elle poussa un nouveau hurlement. Mais ce Dirigeant était sans pitié et la frappa plusieurs fois. Il avait un air cruel sur le visage et ne sembla pas se rendre compte que la femme était évanouie alors qu'il continuait à la rouer de coup.

La fille pleurait et le suppliait d'arrêter. Cependant, il n'avait pas l'air de l'entendre et semblait goûter un plaisir sadique à son occupation.

Cette scène me donnait envie de vomir, je ne pouvais pas le laisser continuer.

Je me mis entre l'homme et sa victime et saisit sa main levée sans réfléchir. Un flot de pensées sanguinaires envahit mon esprit. Je tentais de me fermer à cette torture et de le lâcher mais je n'y arrivais pas. Malgré la souffrance que me causait cette vague d'émotions parasites, je pris la parole.

« - Arrêtez ! Vous voyez bien qu'elle est à terre et qu'elle ne peut plus s'opposer à ce vous preniez sa fille ! Qu'est-ce que ça vous rapporte ? Partez avec la jeune et laissez cette pauvre femme !»

Il tourna la tête vers moi et prit un air surpris. J'avais l'impression que mon crâne allait exploser mais soutint son regard.

Il fronça aussitôt les sourcils et la cascade d'informations que je ne pouvais pas décrypter et qui se déversait de son esprit vers le mien ralentit, à mon plus grand soulagement.

A mon tour d'afficher un air stupéfait. L'avantage, c'est que je réussis à rompre notre contact avant qu'il ne se soit passé trop longtemps et que je ne puisse plus empêcher l'inévitable.

Je reculai de quelques pas et me crispai. Etait-il possible qu'il m'ait aidé ? Que s'était-il passé ?

Ses traits marquaient son intérêt et il me sourit cruellement.

« - Tu risques de revoir un Dirigeant très bientôt, toi... »

A ces mots, il poussa la jeune fille dans sa voiture officielle et la suivit après m'avoir lancé un nouveau regard menaçant.

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Je griffonnais n'importe quoi d'une main tremblante.

Je n'aurai pas dû m'interposer, ce n'était pas mes affaires. Si je n'avais pas été aussi stupide, il n'aurait pas perçu mon don. Parce qu'il l'avait sûrement remarqué, non ? Qui m'aurait aidé à arrêter si ce n'était pas lui ?

Après qu'il soit parti, j'avais couru jusque chez moi à en perdre haleine. Mon dessin était d'ailleurs définitivement fichu.

« - Kat ! A table ! C'est la dernière fois que je t'appelle ou je te prive de dîner ! »

Perdue dans mes pensées, bien à moi, je n'avais pas entendu ses appels précédents. Je soupirai et descendis.

·

Nous étions attablés depuis une dizaine de minutes, lorsqu'on tambourina à la porte. Shannon se tourna vers moi.

« - Va ouvrir. m'ordonna-t-elle sèchement »

J'obéis et me levait de table, la boule au ventre. Je sortis le plus lentement possible de la pièce puis m'avançai avec appréhension dans l'entrée. Je repensai encore à la menace du Dirigeant.

Si mes craintes n'étaient pas confirmées quand j'ouvrirai la porte, je serais aimable avec mes parents pour la soirée. Promis.

Je ralentissais de plus en plus.

« -Kat ! On peut savoir qui c'est ?! me cria mon père depuis la salle à manger. »

J'ouvris doucement la porte en gardant les yeux baissés sur le sol. Je vis des chaussures noires devant moi. Elles étaient surmontées par un uniforme noir et bleu. Le visage impassible confirma mes craintes.

Je ne serais pas gentille avec mes parents ce soir.

Peut-être même plus jamais.

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Terrifiants pouvoirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant