Chapitre 2

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Le chemin de retour à la maison fut déplaisant. J'avais mis mes vêtements à l'envers afin d'éviter de soulever les soupçons des passants que je pourrais croiser. Ils avaient déjà tellement peur de ce qui pourrait leur arriver pendant la nuit dans cette ville que la dernière chose que je désirais, c'était de les affoler à la vue du sang.

Mes pieds me faisaient atrocement mal et je n'avais qu'une envie, c'était de rentrer m'étendre sur mon lit. Dans ma poche, mon téléphone n'avait pas cessé de sonner. Je n'avais bien évidemment pas répondu à Luana, mais je savais qu'à peine le perron passé, sa foudre s'abattrait sur moi.

Mais ce ne fut pas le cas. Tout était étrangement calme et silencieux. La maison semblait être vide, mais la présence des clés de ma sœur près de la porte m'indiqua le contraire. Me débarrassant de mes baskets pleines de boue, je me rappelais l'état dans lequel je me trouvais. Le sang séché me collait à la peau et tirait les poils de mes bras. Je devais me laver au plus vite avant que Luana ne me voie.

Je montais vivement les escaliers en bois afin de me diriger vers ma chambre à l'étage. Sans même prêter attention à mon chien étendu sur le lit, je m'emparais de vêtements propres et m'enfermais dans la salle de bain au bout du couloir.

J'évitais tout contact avec le grand miroir face au lavabo. C'était le seul moment où je me trouvais enfin seule avec moi-même. Je voulais oublier tout ce que j'avais vu et imaginé depuis mon réveil et surtout ne pas être influencée par ses paroles. La dernière chose dont j'avais besoin était qu'elle rende mes pensées encore plus troubles qu'elles ne l'étaient déjà.

Je profitais de cet instant d'absence pour faire quelques exercices de respiration. C'était agréable et reposant. En fermant les yeux, je pouvais enfin oublier tous mes soucis. L'image du cadavre vidé de son sang s'estompa. J'essayais de ne plus penser à rien, tentant d'oublier la présence démoniaque présente au fond de moi. Cependant, je savais pertinemment qu'à l'instant où l'eau toucherait ma peau et que le sang se diluerait, elle se réveillerait.

Après quelques instants de détente, je dus enfin me résoudre à me doucher. Je m'emparais de mes vêtements ensanglantés et les déposais dans la douche. J'avais pris cette habitude de les pré-nettoyer ainsi. Cela évitait de soulever des soupçons ou des paniques inutiles. J'ouvris le jet encore hors de la douche. Il ne tarda pas à se teinter d'une belle couleur écarlate. L'odeur métallique du sang ne tarda pas non plus à envahir la pièce. Je rentrais après que l'eau fût clarifiée.

L'eau chaude sur ma peau me fit l'effet d'une décharge électrique. Je sentis à la fois mon corps se détendre et elle se réveiller. Elle me faisait clairement comprendre que cela ne lui plaisait pas du tout. Je tentais de me débattre, mais je fus vite secouée par de légers spasmes et une boule de feu commença à s'intensifier dans ma gorge. Je n'avais pas eu d'autre choix que de terminer ma toilette avec de l'eau froide. Cela eut pour effet de l'endormir à nouveau.

Lorsque je sortis de la salle de bain, je fus aussitôt enveloppée par la fraîcheur de la maison. Je tendis l'oreille en quête d'un quelconque bruit me donnant une idée de ce que Nathaniel et ma sœur pourraient être en train de faire, mais en vain.

Devant la porte de ma chambre, je fus interpellée par des gémissements étranges provenant de la leur. Je m'approchais lentement afin de comprendre ce qui se passait de l'autre côté. Je tentais d'ignorer, mais leur porte entrouverte n'aidait en rien à ma grande curiosité. Je succombais donc à la tentation et jetais un coup d'œil à travers l'ouverture.

Luana était étendue sur le lit à demie nue. Nathaniel était à califourchon sur elle, sa chemise blanche ouverte, ses crocs plantés dans sa jugulaire. Il se nourrissait abondamment et le sang qu'il n'aspirait pas teintait les draps. La chambre sentait fort la transpiration et elle se mêlait à l'odeur du sang. Nathaniel ne remarqua pas ma présence. Ses capteurs sensoriels devaient se mettre en veille à partir du moment où il se nourrissait. La couleur vermeille et l'odeur métallique ne tardèrent cependant pas à la réveiller. Je la sentis s'agiter au plus profond de moi-même, ne demandant qu'à sortir et à partager le buffet du vampire.

Je courus en direction de ma chambre. Ma curiosité avait toujours été l'un de mes plus grands défauts et j'avais tendance à m'attirer de gros ennuis. Un moment de plus à regarder à travers cette porte qu'elle serait sortie et Nathaniel aurait découvert mon secret. Je respirais profondément, prenant garde à bien inspirer et expirer afin de l'enfermer au plus profond de moi-même. Je réussis une nouvelle fois, mais cela n'allait pas durer très longtemps.

M'étendant sur le lit, mon chiot ne tarda pas à venir se blottir sur moi. Je caressais ses poils blancs et fermais les yeux en expirant de soulagement.

Nathaniel était arrivé dans ma vie quelques semaines après que j'eus emménagé avec ma sœur. Celle-ci était revenue de Paris où elle était allée quelques mois après la mort de maman et l'emprisonnement de papa. Elle y était restée quatre ans avec son petit-ami de l'époque, tandis que j'avais été accueillie dans un foyer. Après une rupture, Luana était revenue et avait obtenu ma garde. Nous avions donc fini par emménager dans notre ancienne maison et Nathaniel arriva quelques semaines plus tard. Luana me le présenta immédiatement comme son nouveau petit-ami et m'annonça qu'il allait emménager avec nous.

J'avais éclaté de colère. A dix ans, j'avais pensé enfin récupérer une vie stable avec le seul membre de ma famille qu'il me restait et le fait qu'une personne qui m'était complètement étrangère emménage avec nous m'avait rendue furieuse. J'avais catégoriquement refusé de vivre sous le même toit que lui.

Je me rappelais avoir ressenti quelque chose d'étrange lorsqu'il s'était approché de moi. Son faux sourire, mais c'était surtout intérieurement. Elle gigotait et voulait sortir, m'avertissant certainement qu'il n'était pas normal. Cependant, à l'époque, j'avais une peur affreuse de ce que j'étais alors je m'empressais d'ignorer tout signal qu'elle m'envoyait.

J'étais même allée jusqu'à poser un ultimatum à ma sœur : c'était lui ou moi. Luana, au lieu de raisonner l'enfant perturbée que j'étais, avait également explosé. Une dispute s'en était suivie entre nous deux, au point où j'étais partie de la maison.

Je me rappelais avoir couru en cette fin d'après-midi en pleurant et hurlant que je la haïssais. Elle m'avait suivi, me criant de revenir, mais je refusais de lui obéir. J'avais traversé le jardin, la route et étais prête à continuer encore longtemps sur le trottoir. Je voulais fuir, ne plus jamais la voir.

Ce ne fut que lorsque j'entendis le bruit strident d'un klaxon que je m'arrêtais. Me retournant, je vis ma sœur arrêtée sur la route, un énorme camion lui fonçant droit dedans. Je fermais les yeux pendant le choc. Je n'avais pas bougé d'un millimètre. J'avais senti le démon s'agiter au fond de moi, tentant reprendre le dessus et laisser toute ma haine et ma tristesse exploser.

Mais alors que tous croyaient qu'elle était morte, Luana m'enlaça par-derrière. J'ouvris alors les yeux surprise d'entendre sa voix me rassurer. Mes yeux se plantèrent instantanément sur Nathaniel qui se recomposait. Je vis ses os brisés revenir à la normale et toutes ses blessures se refermer en un rien de temps. Après être revenu à lui, sous le regard des passants, il m'avait adressé un sourire ironique et m'avait dit :

— Ta sœur a failli mourir par ta faute et tu me regardes sans ciller au lieu de l'enlacer ?

Un son étrange s'était alors fait entendre et ses yeux s'étaient teints en rouge. Ses crocs étaient apparus aiguisés et alors, tout le monde s'était mis à crier d'horreur, mais il ne cessait d'enlever son regard du mien.

— Les gamines comme toi ne servent qu'à emmerder les gens ! m'avait-il dit, agacé, tout en s'approchant lentement de moi.

Ma sœur, tout aussi terrorisée que les autres, tentait tant bien que mal de l'empêcher de m'approcher, mais elle ne pouvait aller bien loin puisque je me tenais immobile telle une statue, clouée au sol, refusant de faire un quelconque pas. Elle m'en empêchait.

D'une main ferme, il lui avait attrapé l'épaule et avait plongé son regard sanguin dans le sien. Elle avait été secouée par des spasmes puis s'était effondrée sur le sol. Il l'avait suivi dans sa chute de sorte à ce qu'elle ne se fasse pas mal.

Il avait procédé de la même manière pour tous les gens qui avaient assisté à la scène. Moi y compris. J'avais été la dernière. Mais je n'avais pas convulsé. Je n'avais rien oublié. Elle m'en avait empêché.

Cela avait été le meilleur moment de ma vie. Le moment où j'avais réalisé que je n'étais pas le seul monstre existant dans ce monde. Le moment où j'avais fini par l'accepter. J'aurais voulu à l'époque lui parler d'elle et de tout ce qu'elle pouvait faire et toutes les capacités dont j'avais hérités.

Mais au réveil de ma sœur, au moment où j'avais réalisé que ses souvenirs avaient été effacés, il avait fait comme si rien n'était. Il avait montré un désintérêt qui m'avait instantanément refroidit. Je ne lui avais donc rien dit et bien que notre relation ne fût plus pareille à ce jour, j'avais toujours gardé sa présence secrète.

— Tu n'es pas censée être à l'école au lieu de dormir paisiblement ?

Je sursautais lorsque je le vis apparaître dans l'encadrement de ma porte. Il n'avait même pas pris la peine de boutonner sa chemise et de se nettoyer. Le sang séché autour de sa bouche et les tâches sur ses vêtements le rendait affreusement séduisant.

À l'entrée dans l'adolescence et à force de le voir se pavaner à moitié nu dans la maison, il avait fait surgir en moi des désirs d'adolescente. Il était séduisant à en mourir et ni moi ni elle ne pouvions le nier.

Cependant, bien que je ne lui fus clairement pas indifférente, son air de supériorité m'horripilait au plus haut point. Mais ceci ne semblait pas la déranger - elle le désirait plus comme repas ou une source d'énergie qu'autre chose - puisqu'elle ne tarda pas à se faire ressentir à nouveau. Sentant son énergie démoniaque prenant possession de mon corps, je luttais de toutes mes forces pour l'empêcher de prendre le dessus. Je savais bien que cette fois-ci ce ne serait pas aussi facile, alors je me tortillais sous le regard de Nathaniel.

— Tout va bien ? me demanda-t-il, avec une pointe d'inquiétude dans sa voix. T'es malade ? C'est pour ça que t'es pas en cours ?
— Non, on est dimanche ! Je n'ai pas cours, je te rappelle ! Maintenant pars, s'il te plaît !

Je réussis à prononcer ces mots avec une naturalité qui me surprit moi-même. Je priais pour qu'il parte, me sentant arriver au bout de mes limites. Mais il ne semblait pas vouloir m'obéir, lui non plus.

— Vous les humains, tant de conventions ! Mais alors, on peut s'amuser un peu tous les deux !

Il pénétra alors dans ma chambre et s'approcha de moi avec un sourire mesquin dessiné sur son visage. Je m'emparais d'un coussin et le lui balançais. D'un simple geste, il s'en saisit avant même qu'il ne le touche et me le relança à son tour. Le choc la fit sortir immédiatement.

S'il te plaît, n'ouvre pas les yeux ! lui suppliais-je.

Un sourire se dessina alors sur mes lèvres. Elle nous installa en fleur de lotus sur le lit, gardant les yeux clos. Tendant mes bras, elle les gigota avant de toucher le torse froid de Nathaniel. Il posa doucement ses mains sur les miennes, ce qui ne fit que l'exciter plus encore.

Qu'est-ce que tu fais ? Arrête !
— Qu'est-ce que tu fais ?

Nathaniel avait prononcé ces mots au même temps que moi. Sa voix semblait baignée dans une envie de rire et de lui résister.

— Je joue, ce n'est pas ce que tu voulais ?

Le son de sa voix me dégoûtait. Je lui suppliais d'arrêter encore une fois, mais elle m'ignora. Ce fut Nathaniel qui, à nouveau, mit fin à son jeu. D'une voix posée, il m'informa :

— Je vais aller me changer avant que ta sœur ne reprenne ses esprits. Veille à prendre un médicament pour soigner ta fièvre.

Elle me fit alors ouvrir les yeux, mais heureusement pour moi, Nathaniel se dirigeait déjà vers la porte. Elle l'appela et alors qu'il se retournait, un rictus se dessina sur mes lèvres.

NON !

Mon cri intérieur me fit l'effet d'un propulseur. Alors que je croyais qu'elle avait réussi à lui montrer sa présence, je repris le dessus à temps. Je soupirais de soulagement sous le regard suspicieux du vampire. Voyant que je ne lui répondais pas, il quitta la pièce en refermant derrière lui.

Je voulus me recoucher, maudissant son existence et sa manie de toujours ne vouloir en faire qu'à sa tête, mais une sonnerie provenant de l'ordinateur résonna dans la chambre. Je me précipitais sur le bureau avec une seule pensée en tête : lire le nouvel article du blog de W que la notification venait de me signaler.

J'arrivais immédiatement sur sa page au fond noir et à l'écriture blanche où des images sombres et étranges apparaissaient pointilleusement. Sans plus attendre, je défilais le curseur pour arriver sur son nouvel article. Je me plongeais dans la lecture, oubliant tout ce qui venait de se passer.

Hier soir, très chers lecteurs, je me suis encore une fois aventuré seul alors que la lune était rouge.

Mon prédécesseur, comme vous le savez, n'avait jamais osé sortir la nuit, alors ses articles n'étaient qu'hypothèses et discussions. Mais comme je vous l'ai dit à la reprise de cette page : ce que moi, je veux, c'est de vous apporter des preuves, des preuves que ces créatures, qui nous empêchent de sortir la nuit, sont bel et bien réelles.

Alors mes amis, aujourd'hui, je vous apporte une surprise.

Je suis sorti alors que la lune était déjà bien rouge et brillante dans le ciel. Dans les rues, comme d'habitude, il n'y avait pas une âme vivante. Je n'entendais que des aboiements lointains et les eaux coulant dans les égouts.

J'avais rodé dans les rues sombres pendant de longues heures sans rencontrer une quelconque créature, quand, dans une ruelle, j'aperçus une conversation plutôt intéressante entre un mâle et une femelle.

Je suis resté au bout de la rue, observant ces créatures proches faisant une espèce de danse contre les murs en briques. J'ai oublié de prendre des photos à ce sujet, trop concentré à déchiffrer ce qu'ils se disaient.

J'ai entendu parlé de sœur et de secret.

Il me semble que le mâle était un vampire, cependant, j'ai plutôt été intrigué par la femelle. Elle ne ressemble en rien aux créatures que j'ai pu découvrir jusque-là. Tantôt, elle affichait une position de supériorité, de force, de hautaineté, tantôt elle était fragile, sans défense, une proie pour le vampire.

Étrangement, la description qui était faite me semblait familière.

Je descendis le curseur à la recherche d'une photo quelconque, mais alors que je m'attendais à ce que ce fut une ruelle ou un élément de ce genre, ce que je vis me pétrifia sur place.

Mes yeux se baladaient nerveusement sur les cheveux blonds et les yeux complètement noirs, seuls éléments perceptibles sur la photo floue. Mon cœur battait affreusement vite et elle ne tarda pas à montrer le bout de son nez, alerté par le danger qui se présentait.

Sur cette image, c'était moi !

Je ne mis pas longtemps à me rappeler du flash qui l'avait fait prendre le dessus la veille alors que je quittais Nathaniel dans la ruelle. C'était donc W, le photographe.

Paniquée par ce qu'il aurait pu voir où entendre d'autre, je continuais ma lecture.

Le flash de l'appareil photo l'a perturbé et elle a perdu l'équilibre. J'ai couru de toutes mes forces pour éviter que le vampire ou elle ne fasse de moi leur repas du soir.

J'ai pris une énorme avance sur eux, mais elle m'avait retrouvé en un rien de temps. Jamais je n'avais vu une créature aussi rapide.

Elle s'est jeté sur un loup dans la forêt et l'a dévoré devant mes yeux avant de s'endormir paisiblement au pied d'un arbre. Malgré ma fascination, j'ai réussi à filmer cette scène, mais le groupe de loups-garous de la semaine dernière m'a retrouvé et dans ma fuite, j'ai perdu les données.

Je peux cependant vous dire que cette femelle a une apparence humaine, mais mis à part ses cheveux blonds, je ne saurais vous dire à quoi elle ressemble.

Je ne saurais pas vous dire non plus ce que c'est, mes recherches ne m'ont menées encore nulle part, mais je tenais à vous informer qu'il existe encore bien des créatures autres que les vampires, les loups-garous et les sorcières auxquelles nous sommes habitués.

Ce soir, je vais de nouveau sortir et vous ramener de nouvelles preuves ! Restez connectés pour un prochain article et racontez-moi vos rencontres avec ces créatures si vous en avez eu.

Surveillez toujours ce qu'il y a dans l'obscurité. - W.

À la fin de ma lecture, j'étais à la fois rassurée que quelqu'un eut les preuves que je n'avais pas tué le cadavre que j'avais vu ce matin, mais également nerveuse que la vidéo se trouve entre les mains d'autres créatures de la ville.

Les loups-garous connaissaient son existence, mais ils étaient très réputés pour refiler des infos aux plus offrants et s'ils détenaient des preuves, je ne saurais imaginer ce qui nous attendait.

Ne sachant que faire, mon regard se posa sur le miroir de poche se tenant, face contrebas, à côté de la souris de mon ordinateur. Nerveuse par ce que je m'apprêtais à faire, je pris mon courage à deux mains et me regardais dans la glace.

Ma sclérotique se colora aussitôt en noir et elle m'adressa un sourire satisfait. Je n'eu pas à lui demander quoi que ce soit que son affreuse voix me dit :

— On doit retrouver cette vidéo et le propriétaire de ce blog !

Doux CauchemarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant