Je sentais le bitume froid contre ma peau et des petites gouttes de pluie s'abattre lentement sur l'ensemble de mon corps. Je tentais de bouger, mais même mes doigts refusaient d'effectuer un quelconque mouvement. J'avais du mal à respirer, la pression du sol compressait ma cage thoracique. Chaque inspiration me faisait l'effet d'un poing se plantant dans ma poitrine. J'essayais d'ouvrir les yeux, mais ils étaient aussi lourds que du plomb.
Dans mes souvenirs, je cherchais comment j'en étais arrivée à me retrouver ainsi. Mais rien ne remontait à la surface. Ma mémoire n'était que néant.
Et le plus inquiétant dans tout cela était que je ne la sentais plus au fond de moi. Elle avait comme disparu.
Mon cœur commença à battre affreusement vite lorsque j'entendis des pas se rapprochant peu à peu de moi. De toutes mes forces, j'explorais sa trace en moi, mais cela n'engendra qu'une affreuse douleur qui m'arracha un gémissement rauque.
— Aurore !
C'était Nathaniel. Cela me soulagea de savoir que je n'allais pas me faire attaquer alors que je me retrouvais totalement sans défense. Je sentis ses mains se poser sur mes épaules, mais ce ne fut qu'une nouvelle douleur qui s'ensuivit. Je laissais échapper une autre plainte, plus audible cette fois-ci.
— Tu es gelée. Qu'est-ce qui t'est arrivé ?
Il murmurait et je décelais dans sa voix une pointe d'inquiétude. Je tentais de lui répondre, mais mes lèvres étaient sèches et pâteuses. Je ravalais ma salive et ce nouvel effort endolorit tout mon corps. L'écume descendant le long de ma gorge était aussi chaude et douloureuse que de la lave. Je réussis cependant à parler.
— Je... sais... pas...
Chaque mot prononcé me demandait un effort surhumain et me déchirait les entrailles.
— Tu es vraiment têtue comme gamine ! Je n'ai pas arrêté de te prévenir de ne pas sortir la nuit. Je ne peux pas toujours être derrière toi pour te protéger. Pourquoi tu ne restes simplement pas à la maison comme tous les Humains ?!
Je m'efforçais de répondre, mais ce ne fut qu'un autre gémissement qui s'échappa de ma gorge. Il passa ses bras autour de moi et me souleva. Ce simple mouvement m'arracha un cri douloureux. Le déchirement qui s'étendit dans tout mon corps à ce moment-là était atroce. C'était comme si des milliers de petites lames se plantaient une à une dans mes os. Cependant, cela m'avait permis d'ouvrir enfin les yeux. Ils étaient plongés dans le regard argenté de Nathaniel.
Ce regard de félin me scrutait, inquiet, et il retenait presque son souffle. Je sentis des larmes de douleur couler le long de mes joues. J'avais atrocement mal.
— Elle... ne... me ... laisserait... pas... courir... de... danger... Elle... est... invincible...répondis-je, inconsciente de ce que je lui révélais.
Un petit sourire se dessina sur son visage et il m'approcha plus de lui. Je serrais les dents pour ne pas crier à nouveau.
— Oui, bien sûr que tu es invincible Aurore. Tu es la plus forte des Humaines que je connaisse.
Il me couva contre son torse, posant sa grande main sur ma tête puis prit le chemin en direction de la maison. Le parcours se déroula dans le plus grand des silences.
La nuit était particulièrement froide et tout bruit mettait Nathaniel en état d'alerte.
J'étais dans un état second. Mon corps était bien présent, je voyais et ressentais tout ce qui se passait autour de moi, mais mon esprit était ailleurs, perdu au milieu de nulle part. Je divaguais et, au fur et à mesure que le temps passait, j'avais l'impression de perdre ma conscience. Seule la douleur prenait possession de moi.
Et il n'y avait toujours aucune trace d'elle ...
Que m'était-il donc arrivé ?
Nous arrivâmes à la maison. Elle était plongée dans une obscurité inquiétante. Nathaniel ne prit même pas la peine d'allumer et se dirigea directement vers ma chambre. Chaque marche qu'il montait, il me serrait un peu plus contre lui. Je gémissais, la douleur devenant de plus en plus intense. Jamais je n'avais ressenti pareille souffrance. Mon corps tout entier me brûlait et j'avais l'impression que des millions de petites aiguilles me perçaient la peau jusqu'aux os. Je retenais mes larmes du mieux que je pouvais. Je ne voulais pas paraître vulnérable à ses yeux, mais mon affliction était telle que mes efforts pour la dissimuler furent vains.
Il m'allongea sur le lit, le plus délicatement possible. Ce geste si doux fut-il ne m'empêcha pas de crier. Le contact avec le matelas me compressa la poitrine et ma respiration se bloqua pendant quelques instants. Puis, je me mis à convulser, comme lorsqu'elle cherchait à prendre le dessus.
Mais elle n'était pas là.
C'était mon corps qui réagissait étrangement et je ne trouvais aucune explication. J'avais simplement atrocement mal et je voulais que cela s'arrête.
J'éclatais en sanglots, priant Nathaniel d'arrêter ces secousses. Son regard argenté fut baigné pendant un court instant par la panique. Mon angoisse était telle qu'il osait à peine me toucher.
— Fait... quelque... chose... je... t'en... prie... répétais-je douloureusement.
Il resta quelques instants immobile, puis se relevant, il se posa au-dessus de moi. Il serra mes jambes entre ses genoux puis ses deux mains vinrent attraper mes poignets qu'il étira sur les côtés. Alors que la panique commença à s'intensifier, je vis son regard devenir vermeil et, tandis qu'il entrouvrait ses lèvres, ses crocs apparurent. Je le sentais trembler alors qu'il s'approchait avec hésitation de moi.
— Je n'ai jamais pensé te faire ça ... murmura-t-il inconsciemment.
Puis sans plus tarder, il planta ses dents dans ma jugulaire. Le choc fut si grand que je lâchais un nouveau cri. Alors que je commençais à me tortiller à nouveau, Nathaniel intensifia son emprise sur moi. Je sentais mon cœur s'accélérer puis ma tête se mit à tourner. Je sombrais lentement dans le néant, m'abandonnant totalement au vampire qui buvait mon sang.
Lorsque je repris mes esprits, je me sentais plus sereine. Je n'étais pas totalement en forme, ma tête était lourde et je sentais que je n'avais plus de force, mais je n'avais plus mal.
Il faisait encore nuit, mais les lumières de ma chambre étaient allumées. Je me tournais sur le côté et mon regard se posa sur Nathaniel qui regardait l'entrée de ma chambre d'un air absent. Mon cœur se serra et aussitôt ce qui était arrivé plus tôt remonta à la surface. Je portais la main à mon cou et sentis le tissu ouateux d'une compresse. Ce geste le fit sursauter et, se tournant délicatement vers moi, il me demanda :
— Tu te sens mieux ?
J'acquiesçais d'un signe de tête.
On resta en silence pendant de longues minutes. Je tentais de me souvenir de ce qui m'était arrivé, mais c'était le vide total. Les dernières images remontaient à la visite de mon père où je l'avais obligée à prendre le dessus. Le plus inquiétant, c'était que je ne trouvais toujours aucune trace d'elle. Peut-être me faisait-elle une farce pour se venger ?
Soudain, je m'arrêtais net.
Nathaniel avait certainement dû purifier mon sang. Il avait donc, sans aucun doute, retrouvé sa présence en moi. Il devait désormais savoir que j'avais été habitée par une créature des ténèbres pendant toutes ces années et que je lui avais caché son existence.
Comme répondant à mon angoisse, il me demanda sèchement :
— Comment as-tu pu ?
Je ne réussis rien à répondre. Une boule s'intensifia dans ma gorge, jusqu'à ma poitrine.
Comment lui expliquer ?
Il était certainement furieux contre moi.
— Pendant toutes ces années... Tout ce que je t'ai dit... Tu n'as fait de moi qu'une poupée parlante ! Je pensais que tu m'écoutais... Que tu avais confiance en moi !
Ses mots me transperçaient le cœur au fur et à mesure qu'il les prononçait. Sans que je ne m'en rende compte, des larmes commencèrent à me piquer les yeux.
Je l'avais déçu.
Et j'allais certainement le perdre.
Toutes ces années dans le mensonge, à lui cacher son existence... Pourquoi en fin de compte ?Elle était visiblement partie. Tous ces efforts pour rien.
Subitement, il me prit dans ses bras et me serra fort contre lui. Je me stoppais net, reniflant mes larmes. Mon corps tremblait à nouveau, mais de chagrin, cette fois-ci.
— Ne pleure pas, Aurore. Je suis désolé ! C'est juste que tu es tellement têtue à vouloir jouer les immortelles. Cette fois-ci, j'ai cru que tu allais y rester ! Ce démon t'a empoisonné, mais il est parti désormais.
Je restais perplexe pendant un long moment. Nathaniel me tenait toujours contre lui, me caressant affectueusement le dos.
Il ne m'en voulait pas ?
Je soupirais, me sentant désormais légère comme une plume. Doucement, je me détachais de lui, prête à mettre les choses au clair. Mais alors que nos regards se croisèrent, mon cœur s'emballa. Les yeux à demi-clos, le visage totalement détendu, il me souriait affectueusement.
— Pourquoi on se dispute autant ?
Ces mots sortirent de ma bouche sans que je ne crie gare. Alors, il haussa les sourcils et s'approchant plus de moi, de manière joueuse, il fit mine de réfléchir. Je le laissais faire. Alors qu'il caressait mes cheveux, je sentais mon cœur battre à mille à l'heure.
Vivre avec Nathaniel devenait sujet à la tentation et je pouvais de moins en moins ignorer mon attirance pour lui. Chaque instant qu'il passait en ma compagnie, chaque petit geste qu'il avait envers moi me faisaient craquer. Même ses attitudes irritantes me rendaient faible chaque instant où je le côtoyais.
— Parce que c'est notre manière à nous de communiquer.
Je sursautais en entendant sa réponse.
Mais à quoi je pensais ? C'était un séducteur, il s'amusait simplement avec moi. Même s'il faisait tout ça, il ne tenait pas réellement à moi. C'était un vampire après tout, un être solitaire qui ne s'attachait pas.
— Et puis, tu es une vraie tête de mule, donc ça ne peut pas être autrement !
À ces mots, il me fit une pichenette sur ma tempe droite. Je fronçais les sourcils.
Autant rentrer dans son jeu...
— Ah, moi, je suis une tête de mule ?! répondis-je faussement indignée, le frappant doucement sur l'épaule.
Il fit mine d'avoir mal puis se mit à me chatouiller. Je commençais à rire aux éclats, me défendant en agitant les bras et les jambes. Cela me faisait du bien. Je n'avais pas ri joyeusement depuis longtemps.
Dans un mouvement brusque, Nathaniel glissa et s'étendit de tout son corps sur moi. Nos lèvres étaient si proches l'une de l'autre que je pouvais sentir son souffle chaud. Mon cœur battait si vite. La tension était si intense. Nous étions comme deux aimants se repoussant...
Ses yeux argentés me transperçaient. Ils étaient remplis d'une si profonde tendresse. Jamais il ne m'avait regardée ainsi avant.
Si seulement ce regard était sincère...
Si seulement elle était là, elle pouvait me donner la force de faire le premier pas...
Je fermais les yeux, lui murmurant de m'embrasser.
Je retins mon souffle, ce qui s'ensuivit ne fut pas le baiser que je désirais tant, mais un claquement de porte.
Nathaniel était parti.
Je soupirais longuement puis, enlaçant mon chiot, je me plongeais entre les couvertures.
De toute manière, c'était toujours la même chose avec lui : à chaque fois que nous nous rapprochions, il finissait toujours par fuir.
— Que fais-tu toute seule dans cette rue à cette heure de la nuit, jeune fille ?
Plissant le regard en direction de l'obscurité, je découvris une vieille dame couverte de rides. Elle était petite en taille et ses cheveux blancs étaient ramassés en un chignon de ballerine. Ses yeux scintillants étaient brun noisette, quasiment dorés.
— Je me balade.
Ma réponse sortit inconsciemment. C'était absurde.
— D'accord, me répondit-elle simplement, avant de passer en face de moi.
Ce fut alors que je réalisais : que faisait une vieille dame, visiblement humaine, dans ces rues ? Le crépuscule était tombé depuis un certain temps déjà, c'était dangereux !
Je me lançais à sa poursuite. Je devais la ramener chez elle, sinon elle risquerait de laisser ce qui lui restait de sa vie aux créatures de la nuit.
Je rentrais dans une ruelle qu'elle avait empruntée, mais je ne réussis pas à voir sa silhouette. Pour une vieille, elle marchait particulièrement vite.
Je m'y aventurais, longeant les murs, sur mes gardes. L'odeur nauséabonde du sang effleurait mes narines et me donnait la nausée. Tout était si dangereusement silencieux, c'en était presque angoissant. Ni les hurlements des loups, ni les grincements des chauves-souris se faisaient entendre. C'était comme si la ville avait été désertée par toutes les créatures surnaturelles.
L'ambiance était lugubre, comme post-apocalyptique.
Un cri attira soudainement mon attention. Je me mis à courir en sa direction, persuadée que la vieille dame s'était fait attraper par une créature. Mais ce fut Nathaniel que je découvris, étendu par terre, le visage pâle. Autour de lui, se trouvait une panthère noire féroce, grinçant en direction de l'obscurité, ainsi qu'un homme qui dégageait des flammes sur l'ensemble de son corps. Ils étaient sur leurs gardes, prêts à bondir.
Je me jetais à terre et pris Nathaniel dans mes bras. Des larmes commencèrent à couler le long de mes joues alors que je réalisais qu'il était mort.
Puis un ricanement s'éleva du fond de la ruelle. Dans le noir, deux yeux blancs jaillirent. J'en frissonnai de terreur.
Puis, la vieille dame s'avança dans la lumière.
Ces yeux étaient les siens.
Ce qui s'ensuivit se passa extrêmement rapidement. J'entendis l'homme de feu me crier de partir, mais je ne réussis pas à bouger. En un éclair, la vieille dame m'agrippa le cou et me plaqua contre le mur adjacent. Elle m'obligeait à regarder ses yeux blancs limpides au fur et à mesure qu'elle me coupait la respiration. Des flammes et des rugissements émanaient derrière nous, mais peu à peu, je plongeais dans les ténèbres.
Puis alors que j'étais sur le point de défaillir, je sentis sa main ridée me transpercer la poitrine et m'arracher le cœur. J'entendis deux battements dans sa main, puis son rire diabolique faire écho dans la ruelle.
Ce fut la dernière chose que j'entendis avant de sombrer à jamais.
Je me réveillais en sursaut, le souffle coupé. Mon cœur battant à mille à l'heure, le front dégoulinant de sueur. Ma poitrine me faisait mal.
Ce rêve avait été si réel. Je tentais de me calmer, puis je réalisais peu à peu que la compression dans ma poitrine n'était pas seulement due à la panique.
C'était elle. Elle était revenue.
Je la sentais s'agiter en moi, en état d'alerte, prête à bondir. Elle me faisait bouillir et se battait pour sortir. Je suffoquais. Mes mains tremblaient et ma poitrine était prise par des secousses violentes. Je n'arrivais pas à la contrôler. J'avais extrêmement chaud et je sentais toute la gravité agir sur moi.
Je devais sortir, prendre l'air, la calmer.
Je réussis à ouvrir la fenêtre de ma chambre, non sans faire tomber le contenu de ma table de nuit sur le sol. Mon regard se fixa instantanément sur la lune rouge qui brillait comme une boule de feu et jetait sur la ville sa lueur vermeille.
Cette vue parut la calmer.
Inspirant et expirant profondément, je réalisais qu'elle était de retour...
Mais comment était-ce possible ? Comment était-elle partie ? Et surtout, pourquoi était-ellerevenue ? Qu'avait-elle fait pendant ce temps ? Avait-elle pris possession d'un autre corps ? Avait-elle tué à nouveau ?
M'assainissant de questions sans réponse, une voix qui ne m'était pas inconnue vint interrompre le cours de mes pensées :
— J'ai essayé de le suivre hier, mais même en guépard, j'ai perdu sa trace. Ce Lodun est extrêmement rapide. Je n'ai jamais vu une créature de la sorte.
Je fronçais les sourcils.
Lodun... J'avais déjà entendu ce terme l'autre soir.
— Ce ? Tu veux dire que c'est un mâle ?
C'était Nathaniel qui répondait. Je réalisais alors que l'autre homme devait certainement être le même que j'avais entendu le soir où j'avais écouté à la fenêtre.
Je ne les voyais pas, mais ils étaient proches, car j'entendais leurs voix comme s'ils se tenaient à mes côtés. Ils devaient se trouver près de la porte d'entrée, cachés par la façade du garage, perpendiculaire à la fenêtre de ma chambre.
Je me penchais un peu plus afin de mieux les entendre.
— Sa physionomie ne laisse aucun doute. Il est assez robuste et ses bras noirs ne pourraient pas appartenir à une femme.
— Des bras noirs ?! Je croyais que la présence des Loduns chez les Humains était reconnaissable de la même manière que pour les autres démons !
— Les Loduns Compatibles sont reconnaissables, en effet, par la sclérotique qui devient noire. Cependant, pour les Loduns Incompatibles, c'est différent ! Il y a comme du feu dans les veines qui se propage dans tout le corps et toutes les parties en contact avec l'air, donc le visage, le cou et les mains, deviennent totalement noirs. J'en ai vu des choses en des millénaires d'existence, mais je peux te dire que c'est terrifiant à voir.
— Tu ne crois pas qu'il nous faudrait du renfort pour l'attraper ? Tous les pièges qu'on lui a tendus n'ont servi à rien jusqu'à présent...
— C'est vrai qu'un coup de main ne serait pas de trop, cependant c'est trop risqué ! Tu sais bien quelle est la relation de tes semblables et des loups-garous envers les démons. Ce serait la guerre assurée...
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Doux Cauchemar
HorrorLa nuit tombée, la lune devient rouge. Du plus profond des ténèbres ressortent vampires, loups-garous et autres créatures restées tapis dans les bas-fonds de la ville. Ils ont faim, ils cherchent de la chair humaine. Toute personne qui ose sortir lo...