Chapitre 6

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Fixant l'écran de mon ordinateur depuis des heures, mes yeux se baladaient entre le clavier et la messagerie instantanée du blog de W. Le signal lumineux en bas de l'écran signalait qu'il était en ligne, mais je n'osais pas. Il avait certainement d'autres choses à faire que répondre à ses lecteurs.

Je détournais le regard quelques instants, tentant de me résigner à cette idée qui me hantait l'esprit, mais je ne voyais pas d'autre recours. S'il ne me répondait pas, au moins, j'aurais essayé.

Il était mon seul moyen pour apprendre un peu plus sur les Loduns et peut-être aussi sur le soir de la mort de ma mère.

Prenant mon courage à deux mains, je m'activais sur le clavier et en quelques secondes, j'écrivis ces mots que je m'étais maintes fois répétés en tête.

Bonjour W, je m'appelle Aurore. Je lis votre blog depuis plusieurs années, même avant le changement de propriétaire. Je m'intéresse énormément à ce que vous faites et aurais quelques questions à vous poser. Seriez-vous disponible pour une petite discussion ?

Alors que je cliquais sur envoyer, les battements de mon cœur s'accélérèrent. Elle ne tarda pas à pointer le bout de son nez, en quête d'un danger. Ravalant difficilement ma salive, l'effort me brûlant la gorge, je réussis à l'enfouir sans trop de difficulté.

C'était frustrant comme à chaque petit moment de stress, elle était là. J'espérais vraiment pouvoir découvrir ses origines et en apprendre un peu plus à son sujet pour m'en débarrasser et pouvoir enfin vivre une vie normale.

Je misais énormément sur cette discussion avec W. J'avais l'impression qu'il avait réponse à tout. Et tout ce que j'avais appris dernièrement, tout ce mystère autour des Loduns, s'embrouillait dans ma tête. J'espérais qu'il m'aiderait à m'éclaircir les idées.

Mais peut-être avais-je trop d'espoir...

Reportant mon attention sur l'écran, je remarquais le signal lumineux qui clignotait. Je faillis défaillir alors que je réalisais qu'il m'avait répondu. Sans plus attendre, j'ouvris son message.

Bonjour Aurore, ravi d'entendre que ce que je fais, et ce que mon prédécesseur a commencé, te plaît. Je serais ravi de pouvoir répondre à tes questions. Autant s'aider entre amateurs de surnaturel ;)
Et s'il te plaît, tutoie-moi ! J'ai l'impression d'avoir 20 ans de plus quand on me vouvoie.


Je souris en lisant son message et la manière dont il s'était adressé à moi me libéra d'un poids. J'appréhendais la difficulté avec laquelle j'arriverais à lui soutirer des informations, mais en vue de la manière dont il s'était exprimé, je devinais que c'était quelqu'un de serviable et d'ouvert.
Mais rien n'était encore certain.

Il n'y a aucun souci ! Tout d'abord, je te remercie infiniment de me consacrer ton temps. Tu ne sais pas combien cela compte pour moi d'enfin pouvoir te parler !

Peut-être étais-je trop sincère, trop intime avec lui, mais son blog représentait tant de choses à mes yeux...

Tu n'as pas à me remercier. Je ne fais que mon devoir :) Dis-moi donc, en quoi puis-je t'aider ?

Sans plus tarder, je m'engageais dans le vif du sujet.

As-tu déjà entendu parler des Loduns ?
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Loduns ? Ce nom ne me dit rien du tout... Est-ce une créature surnaturelle ? Où en as-tu entendu parler ?
.
D'après ce que je sais, ce sont des démons qui prennent possession de corps humains. Certains corps sont compatibles et d'autres non... Mais c'est tout. J'espérais que tu pouvais me renseigner là-dessus...
.
Non, mais je vais faire quelques recherches là-dessus. Laisse-moi quelques instants ! Mais en tout cas, j'apprends des choses de toi :P

Je réalisais à travers ce message que je n'aurais peut-être pas dû lui demander des informations aussi directement. Il allait certainement avoir des soupçons. Le seul Humain capable de dénicher des informations intéressantes au sujet des créatures surnaturelles, c'était bien lui. C'était le seul fou qui risquerait sa peau juste pour le contenu d'un blog et il était toujours le premier lorsque de nouveaux éléments sur ces êtres apparaissaient.

Je devais me contrôler et ne pas me laisser submerger par l'excitation.

J'attendis un peu, sachant pertinemment qu'il n'allait rien trouver à ce sujet.

C'est marrant que tu saches tout ça, parce que je ne trouve rien à ce sujet, même dans le darknet.
Aucune trace des Loduns.
Es-tu vraiment sûre de ce que tu me dis ? Où as-tu eu ces informations ?


J'étais, en effet, allé trop loin.

Devais-je lui dire qui j'étais, ce que je faisais ?

Impossible. Il s'empresserait d'en faire un article sur son blog.

Il vivait pour partager au monde le fait que les créatures surnaturelles n'étaient pas un simple mythe et avec moi, il aurait des preuves bien que trop réelles. Il serait peut-être même capable de faire une copie de notre conversation et de la mettre sur le blog.

Non. Je ne pouvais pas prendre ce risque. Je ne le connaissais pas après tout.

Bien qu'il partageait mes jours depuis l'adolescence, il restait un mystère. C'était peut-être pour se protéger ou pour se donner une image. Cependant, c'était très frustrant de ne pas savoir qui se cachait là derrière.

Après tout, il semblait connaître énormément sur le monde qui m'entourait.

Aurore ?

Je sursautai en entendant la notification de la messagerie. Il attendait ma réponse, mais je ne pouvais pas lui révéler ce qu'il attendait. C'était trop risqué, du moins tant que je ne le connaissais pas personnellement. Si je le rencontrais pour de vrai, peut-être que cela changerait. Je serai en territoire connu et si quelque chose ne se déroulait pas comme je l'avais prévu, elle serait là.

Je ne peux pas te révéler certaines informations virtuellement. Si tu veux, nous pouvons organiser une rencontre.
.
Bien que tout ça m'intrigue, je ne peux pas accepter. Je vais essayer de mener des recherches plus approfondies de mon côté et peut-être trouveras-tu des informations dans un prochain article. J'espère que tu me comprends ! Bien que tu me sembles très aimable, on ne peut jamais savoir qui se cache derrière un écran, ou quoi...

Il se méfiait lui aussi, ce qui était normal. Il avait dû en voir de toutes les couleurs, surtout en prenant la décision de s'aventurer dans les rues la nuit. Je ne voulais même pas imaginer dans quel genre de situation il s'était retrouvé pour amasser tout ce qu'il avait déjà révélé sur son blog depuis qu'il avait pris la relève.

Mais au moins j'étais arrivée à ce que le sujet se close naturellement.
Il restait néanmoins autre chose sur laquelle il pourrait m'aider.

J'ai une autre question. Cela concerne un article vieux de 10 ans. Celui du père de famille qui a tué sa femme de manière atroce et qui s'est ensuite endormi auprès de sa fille cadette, alors âgée de 6 ans. À l'époque, ton prédécesseur pensait qu'il s'agissait de l'œuvre d'une créature surnaturelle et a dit vouloir mener son enquête, mais rien d'autre n'est paru sur le blog à ce sujet. T'aurait-il parlé de quelque chose ?
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Malheureusement, j'étais encore trop jeune lorsque cet accident s'est produit donc je ne sais pas grand-chose à ce sujet. Aussi, je ne m'y suis pas plus intéressé, car d'autres éléments plus intrigants m'ont occupé l'esprit depuis. Cependant, je me rappelle avoir lu, dans un brouillon du blog, un compte-rendu d'une discussion que mon prédécesseur a vraisemblablement eu avec le père. Mais il n'y avait pas grand-chose si ce n'est qu'il lui a dit avoir ressenti une bouffée de chaleur à lui en couper le souffle, et surtout, qu'il avait mentionné des yeux aussi blancs que la mort. Je n'en sais pas plus.

Je savais bien que ce n'étaient pas des délires. Mon père n'était pas fou. Il y avait bien quelque chose qui était entré dans son corps cette nuit-là et l'avait fait commettre cet acte atroce. Je n'étais peut-être qu'une enfant à l'époque, mais je savais bien que la chose la plus chère aux yeux de mon père, c'était notre famille. Jamais il n'aurait pu commettre un tel crime en étant lui-même.

Et les paroles qu'il avait adressées au premier W venaient de confirmer tout ce que je m'étais toujours dit.

Désormais, il me fallait trouver ce qui avait fait cela.

Je remerciais W pour cet instant et me hâtais de m'habiller. Je devais aller en ville, me confronter aux créatures qui savaient tout sur tous : les lycanthropes.

Les mains dans les poches, marchant droit devant moi, j'attendis que tous les Humains disparaissent derrière la porte de leurs maisons et que la lune fut rouge et haute dans le ciel. Je me dirigeais alors vers le coin de la ville où les créatures vivaient en meute. Je pris le même chemin que le soir de mon enquête sur l'identité de W, mais remarquais instantanément qu'il y avait quelque chose de différent.

L'ambiance n'était plus la même. Aucun loup ne se trouvait le long de la route et tout était étrangement silencieux.

J'arrivais devant le pub où se tenaient deux énormes loups aux poils sombres. Sous forme humaine, ils faisaient pratiquement deux têtes de plus que moi et me dévisageaient avec mépris alors que je m'approchais d'eux.

Mon cœur s'accéléra instantanément et mes mains se mirent à trembler.
J'étais intimidée, je ne pouvais pas le nier.

Elle chercha à prendre le dessus, mais je décidais de tenter une première approche, seule.
Prenant le ton le plus naturel possible, masquant l'angoisse naissante, je m'approchais de la porte et en saisis la poignée.

— Salut les gars, vous paraissez en forme ce soir ! Votre chef m'attend, j'ai quelques comptes à régler avec lui. Vous savez, les affaires !

Je tentais un clin d'œil alors que j'étais sur le point d'ouvrir, mais aussitôt l'un d'entre eux m'agrippa le poignet et me repoussa. De sa voix grave, il me dit que je ne pouvais pas entrer.

— Oh mais allez les gars, vous me connaissez ! Je suis une habituée et puis votre alpha ne va pas être très content si je suis en retard. Après, je lui dirai que c'est votre faute !

Je me surprenais moi-même du calme dont je faisais preuve extérieurement, alors qu'en réalité, j'étais totalement angoissée. Elle était à fleur de peau et ne tarderait pas à bondir, à partir du moment où je n'arriverais plus à me maîtriser ou s'ils finissaient par utiliser la violence.

— Personne ne t'attend gamine. Maintenant, fiche le camp, me dit l'autre.

À ce même instant, deux élégantes brunes apparurent, vêtues de deux robes en cuir moulant leur corps parfait. Elles étaient d'une pâleur sans pareille et d'une beauté à couper le souffle.

C'étaient des vampires.

Je les regardais saluer sensuellement les deux bonshommes qui les laissèrent passer entre eux. La porte ne s'ouvrit qu'un instant, mais cela me laissa le temps d'apercevoir une réunion entre loups-garous et vampires.

Un mauvais pressentiment me traversa aussitôt l'esprit. Les deux espèces n'étaient pas du genre à se mélanger. Leur mode de vie était beaucoup trop différent pour qu'ils se côtoient ainsi. Puis, aussitôt, les paroles du mystérieux interlocuteur de Nathaniel me vinrent à l'esprit : "si tes semblables et les lycanthropes apprennent leur existence, une guerre risque d'éclater".

Je réalisais alors que les choses n'allaient pas tarder à chauffer.

Me résignant à reculer, je dévisageais les deux loups. Tout en m'éloignant, je gardais un contact visuel avec les deux. Je savais pertinemment qu'au moment où je leur tournerai le dos, ils n'hésiteraient pas à me sauter dessus et à faire de moi de la chair à pâté. J'avais vu plus qu'il ne le fallait, ils ne pouvaient pas me laisser en vie.

À moins, que je ne les tue avant.

Mais alors que j'étais prête à la laisser prendre le dessus, je fus aussitôt emportée dans les airs. Il me fallut un peu de temps afin de réaliser que Nathaniel venait de m'arracher aux loups.

Elle en était furieuse. Il venait de la priver de bagarre.

— Mais tu es totalement irresponsable ma parole ! cria-t-il en me plaquant contre un mur dans une ruelle quelconque.

Je serrais les dents pendant le choc, puis haussais les sourcils, ne comprenant pas où il voulait en venir.

— Pourquoi tu cherches autant à jouer les créatures immortelles, hein ? Ça ne t'a pas suffi ce qui t'est arrivé hier ? Je t'ai dit que je ne serais pas toujours là pour te protéger ! Tu ne penses qu'à toi !

Je ne pus me retenir de pouffer de rire. Elle s'effaça instantanément, se rendant à l'évidence que, pour le moment, elle n'était pas nécessaire.

— De toute manière, si je me fais tuer je ne manquerai à personne.

Ceci, malgré le ton que j'avais employé, je le pensais du plus profond de mon âme.

Il fallait dire que sa colère était on ne peut plus exagérée étant donnée la manière dont il avait l'habitude de me traiter. Quand cela l'arrangeait, il était aux petits soins et quand je l'ennuyais, je n'existais plus. Et puis, Luana, ne faisait plus partie de ma vie. Elle en était sortie le jour où elle avait décidé de m'abandonner et de me laisser livrée à moi-même au moment où j'avais le plus besoin d'elle.

— Mais t'es stupide ou quoi ?! cracha-t-il, frappant le mur de son point.

Je sursautais et le regardais plus attentivement. Mon sourire ironique s'effaça peu à peu tandis qu'il continua de pester :

— Tu crois vraiment que je suis avec ta sœur parce que j'en suis amoureux ?

Je ne répondis rien.

Ses yeux me perçaient avec une telle fureur que j'avais du mal à comprendre la raison de toute cette colère et où il voulait en venir avec cette conversation.

— Si je suis avec ta sœur c'est pour te protéger, toi ! lâcha-t-il enfin dans un soupir.

Ses épaules s'affaissèrent comme s'il venait de dévoiler un lourd secret qu'il portait depuis des années.

Dans d'autres circonstances, j'aurais été touchée par ces révélations. Si j'avais été une adolescente comme les autres, qu'il pouvait manipuler à bon escient, je tomberais certainement dans ses bras.

Mais Nathaniel était un manipulateur. Il ne serait jamais sincère envers quiconque.

Je rigolais alors ouvertement au ridicule de la situation. Je ne pus m'empêcher de lui dire le fond de ma pensée :

— Arrête de te foutre de moi tu veux bien ? Avec tes airs désolés, tes fausses paroles et tes gestes hypocrites... Nathaniel tu ne tiens pas à moi. Personne ne le fait ! J'ai toujours été seule et je le serai à jamais. Je me suis faite à cette idée. Je ne sais pas ce que tu cherches avec tout ça, mais arrête. Tu te ridiculises plus qu'autre chose !
— C'est parce que les vampires sont réputés pour leurs mensonges que tu ne me crois pas ?

Je n'eus pas le temps de répondre qu'il me supplia :

— Demande-moi ce que tu veux et je te dirai ce que je sais !

Mais à quoi jouait-il ? Pourquoi se donner autant de mal pour me manipuler ? Que voulait-il faire de moi ?

Je n'arrivais pas à le cerner et ça me frustrait au plus haut point !

Elle aussi.

Et lorsque je la sentis au fond de moi, une requête arriva jusqu'au bout de mes lèvres :

— Parle-moi des Loduns !

Je pensais enfin le tenir, mais aussitôt ce nom prononcé, Nathaniel changea drastiquement d'expression. Ses yeux s'écarquillèrent et ses lèvres se mirent à trembler dans un rictus nerveux. Je haussais les sourcils à nouveau devant cette réaction inhabituelle. Son regard se mit alors à se balader de droite à gauche, comme s'il cherchait quelqu'un ou s'il quêtait un quelconque danger. Puis d'une voix presque inaudible et voilée d'un ton inquiet, il me demanda où j'avais entendu ce nom.

Je ne répondis pas à sa question.

Ce fut alors qu'il s'emporta à nouveau.

Délaissant le mur sur lequel il avait ses mains posées, il agrippa mes épaules avec une force qui me surpris puis me secoua en répétant sa question.

Elle sortit à nouveau du plus profond de mes entrailles, luttant pour prendre le dessus, voulant survivre et anéantir celui qui nous faisait du mal. C'était difficile pour moi de la contenir dans une telle situation.

— Tu ne dois pas prononcer ce nom à tout bout de champ, tu m'entends ?!, me dit-il, me relâchant enfin.

Reprenant mes esprits, je dus inspirer plusieurs fois afin que mon rythme cardiaque revienne à la normale pour qu'elle puisse ainsi s'endormir à nouveau. Cela prit plus de temps que prévu. Je sentis des spasmes me secouer le corps que je tentais de dissimuler de Nathaniel.

— Ceci ne fait que prouver que j'ai raison, lui dis-je alors qu'elle avait disparu.

Il me regarda, l'incompréhension baignant dans son regard fou, sa respiration bruyante.

— « Demande-moi ce que tu veux et je te dirai ce que je sais ! »

Je répétais ses paroles, lui faisant ainsi comprendre que je ne voyais en lui qu'un simple manipulateur.

Comme prenant soudain la réalité en pleine face, son regard se fit plus doux et il entoura mon poignet délicatement.

Je le repoussais.

— C'est n'est pas ça, tenta-t-il. Je... C'est dangereux ! Tu ne dois pas prononcer ce nom comme ça. Tu ne sais rien du tout de ce monde, tu...

Il s'arrêta net alors qu'un bruit sourd au bout de la ruelle attira notre attention. Des mouvements maladroits se firent entendre, puis des bruits de pas précipités qui s'éloignaient peu à peu de nous.

Nathaniel changea à nouveau d'expression.

Me foudroyant du regard, je vis ses yeux virer au doré et ses crocs apparaître. Il s'éloigna alors brusquement de moi et s'éclipsa rapidement en direction des pas.

Je restais encore quelques instants dans la ruelle, regardant l'endroit par lequel il avait disparu, tentant de mettre de l'ordre dans tout ce qui s'était passé, dans tout ce qu'on s'était dit, mais je n'arrivais qu'à une seule conclusion :

Ses réactions n'avaient absolument aucun sens.

Doux CauchemarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant