Jack, allongé sur un banc, observait ce même ciel, ces mêmes étoiles, ce même et unique nuage qui provenait de cette même cigarette, que Brock, 84 années plus tôt. La nuit était claire, rendant les âmes paisibles. C'était d'ailleurs l'une des premières fois qu'il voyait un dôme si dégagé, qu'il lui paraissait si pur. Paris et Southampton étaient des villes très polluées; on en voyait sur ses dessins la maîtrise de la grisaille et de l'atmosphère lourde de la vie citadine. Il en conclut que ce voyage lui servirait à enrichir la capacité de son art, tout en regardant sa cigarette se consumer. Il réfléchissait, ne pensait à rien et pensait à tout en même temps, se vidait la tête et la remplissait de nouvelles idées, de nouvelles choses agréables. Ce qui faisait de Jack un véritable artiste, c'est qu'il rêvait éveillé; il rêvait de peindre et puis il peignait ses rêves. Soudain, quelque chose le perturba dans son sommeil spirituel; des talons qui tapaient harmonieusement contre le sol, rapidement et semblables aux pulsations d'un coeur, énervé et abîmé. Il se retourna et vit à peine une ombre en sanglots traverser le pont. Il se leva, inquiet, et emprunta d'un pas incertain la direction de la silhouette qui le mena à l'arrière du bateau. Là, il revit cette même femme à la chevelure de bronze que sur son tableau, elle était de l'autre côté de la barrière, prête à sauter. Il ne sût quoi faire.
-Ne... ne faites pas ça, dit-il d'une voix à la fois douce et imposante.
Rose tourna la tête un instant.
-Allez vous-en, laissez-moi tranquille ! ordonna-t-elle, espérant secrètement mais visiblement qu'il ne parte pas.
-Comment voulez-vous que j'm'en aille ? J'suis concerné maintenant, si vous sautez, j'vais d'voir plonger pour aller vous repêcher.
Elle ne le regardait pas, mais elle écoutait attentivement sa voix pleine d'attention; ses paroles la calmaient, ses larmes coulaient sans effort, les saccades de sa respiration s'espaçaient. Quelques secondes silencieuses avaient suffit à ce sentiment pour s'installer dans l'esprit des deux adolescents.
-Et puis... reprit Jack en s'avançant, j'n'en ai franchement pas envie, alors, donnez-moi la main...
-Je vous en prie, ne vous approchez pas, sinon je saute ! insista Rose, dont les tremblements de chagrin estompés par les mots de Jack avaient laissé place à des grelottements de froid.
-Très bien... je... je peux jeter ma cigarette ? interrogea-t-il astucieusement.
Lui avait bien compris qu'en lui disant de partir elle le priait de rester, alors, elle, laissa s'échapper un sourire sous son rideau de tristesse. Ils se regardèrent un long moment sans rien dire, ils laissaient leurs regards communiquer pendant que leurs âmes amoureuses s'embrassaient. Rose, bien qu'en robe de cette nuit glaciale, ne sentait presque plus le froid. Jack, absorbé par la beauté de la jeune fille, marcha pas à pas vers elle pour ne pas l'effrayer, comme lorsque l'on essaye de s'approcher d'un chat sans qu'il ne s'enfuie. Rose n'était plus terrifiée, elle ne pleurait plus; ces quelques minutes passées avec Jack l'avaient apaisée. Il lui prit la main.
-Vous ne voulez pas faire ça, chuchota-t-il, persuasif.
Elle se retourna.
-Jack Dawson, se présenta-t-il.
-Rose... Dewitt Bukater.
Il rit.
-Je crois que j'vais devoir vous demander d'me l'écrire quelque part.
Elle rit a son tour.
Ils s'observèrent encore un instant, en souriant cette fois-ci. Il passa tendrement sa main sur ses joues écarlate et essuya ses larmes.