La violence est la réponse de l'imbécile

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Gusfand se tient assis, en tailleur, devant moi dans cette cave, qui par miracle, n'est pas trop humide. La nuit ne s'est pas bien passée. L'air frais glissait sur mon visage, par petites rafales, retardant le sommeil. J'aimerais bien un café. Mais Gusfand, lui, semble frais comme un gardon. Est-ce qu'il lui arrive seulement de boire ou manger ? Aucun son ne sort de nos lèvres lorsque nous échangeons. Nous discutons directement par la pensée. C'est plus facile et plus commode, même si je doute que dans cette demeure délabrée quelqu'un arrive à percevoir nos mots.

Moi, je suis assis dans la même position, face à lui. Mon cul commence à me faire un peu mal à cause des dalles glacées qui font office de sol. Je crois que quelqu'un les a posées là Pour éviter de marcher à même la terre et de répandre de la gadoue dans les étages supérieurs. En tout cas, elles n'étaient pas prévues lors de la construction de l'édifice.

« Je suis étonné de voir quelqu'un de ta trempe, avoir tenu aussi longtemps sans devenir fou. Ce médecin a fait des choses extraordinaires. Généralement j'interviens assez tôt, chez des enfants. Mais toi, tu es passé entre les mailles du filet. Il va falloir désapprendre tout ce que tu as appris. »

Encore une allusion à Star Wars. S'il se met à parler réellement comme ce petit bonhomme vert, en inversant les mots dans les phrases, je me casse. Bien sûr, il lit dans mon âme comme une page Wikipédia. Ouvert, accessible.

« Non, je n'inverserai pas les mots. Mais en reprenant des concepts bien connus, parfois, on peut faire comprendre plus facilement les idées que l'on veut enseigner. »

Il fait une pause. Le silence s'installe. D'habitude, lorsqu'on ne connaît pas bien la personne, que l'on a encore peu de sujets de conversation, la gêne s'installe. Souvent, l'un des interlocuteurs brise ce mutisme en lançant des sujets rien de plus banaux. Le temps, les matchs de foot, la dernière émission télé... Ici, rien de tout cela. Je ne suis pas gêné. Mais je me demande néanmoins ce qu'il veut. Gusfand est le genre de type dont tous les gestes sont réalisés à dessein. Son regard est perçant. J'ai l'impression qu'il me scrute de la tête au pied, qu'il fouille les moindres recoins de mon esprit. Je suis comme hypnotisé par ses yeux dont l'iris semble changer de couleur. Non, à bien y regarder, des petites images défilent. Comme si son œil était un projecteur. Je me rends compte qu'il est en train de revivre, en accéléré, toute ma vie. Soudain, la sensation s'arrête. Il se lève, d'un bond.

« Voilà donc la première question : Que crois-tu arriver avec ton don ? Je te laisse y réfléchir. »

Gusfand s'éclipse. Une fois qu'il a atteint le rez-de-chaussée, je n'entends plus le moindre bruit de pas. Comme s'il s'était volatilisé. Je suis plongé dans le silence le plus absolu. Les bruits de la ville ne parviennent pas jusque dans cette pièce.

Sérieusement, il n'avait pas besoin de partir pour que je lui réponde. Je pouvais directement lui répondre. Changer le monde. Effacer les mauvaises pensées. Remplir le monde d'amour.

Je sens mon estomac crier famine. Je n'ai plus rien bouffé depuis le milieu de l'après-midi, depuis que ce gars m'a rapporté un MacDo. Puisque Gusfand n'est pas là, je crois que je vais aller vite chercher un truc à grailler.

Alors que je m'apprête à grimper l'escalier, je heurte quelque chose. Le choc est violent, me fait reculer d'un bon mètre. Je retente. Pareil. Il y a comme un mur invisible qui me bloque le passage. Je tâte de la main. Les poils commencent à se hérisser sur mon bras au fur et à mesure que ma main se rapproche. Puis quelque force la repousse. Bordel, il m'a enfermé.

Je tourne en rond dans cette pièce. J'essaie de démarrer le générateur. Avoir un peu d'électricité, profiter de l'attente pour commencer à inspecter quelques documents. Impossible de le démarrer. Le mécanisme ne répond pas. Je tire sur cette corde encore et encore. Toujours rien. Je n'ai que des bougies pour m'éclairer un peu.

Je ne sais pas combien de temps a duré l'attente. Elle m'a paru des jours. Alors que la sensation de devenir fou, dans la pénombre me gagne de plus en plus, Gusfand se pointe comme si de rien n'était Il tient un sac plastique rempli de quelques objets indescriptibles. Le sac est trop opaque, impossible de voir ce qu'il contient. Il se rassied, dans la même position qu'au matin, exactement au même endroit. Et il ne bouge pas.

J'ai du mal à contenir ma colère. Je lui hurle dessus.

« ça valait bien la peine de te barrer comme cela, j'aurais pu te répondre tout de suite ! »

Il reste assis, impassible, pendant que je tourne autour de lui en vociférant mes mots. Il ne tourne même pas la tête pour me regarder. La tête bien droite, fière, le regard qui scrute le mur devant lui sans sourciller. Moi je continue à m'énerver. Je lui foutrais bien une de ces beignes, histoire qu'il se remue un bon coup.

« Mais bordel, tu crois sincèrement que je vais me laisser enfermer comme cela, pendant que tu t'amuses à ramener des trucs dans tes sacs en plastique ? »

Toujours impassible. Mon agressivité continue de monter, et finit par exploser.

« Mais putain, bouge, répond, mais fais quelque chose BORDEL ! »

Je n'arrive plus à me contenir. Je lui assène un coup de pied. Je vois ma chaussure et ma jambe le traverser. Pourtant, il est bien là, dans la pièce. Je suis estomaqué. Je bouscule son sachet, qui me confirme qu'il est bien présent.

« La violence est la réponse de l'imbécile, me dit-il. Maintenant, tu te calmes et assieds-toi. »


L'aube d'un monde meilleurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant