Interlude : The Wrath of the Wolf

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Hannibal avait eu une longue garde ce jour-là. Une opération l'avait maintenu au bloc dix heures d'affilée, coupé du monde extérieur et des nouvelles qui ne manqueraient pas de se fracasser bientôt sur sa vie. En sortant de l'hôpital à la nuit tombée, les sirènes de police en provenance du centre-ville ne l'avaient pas alerté outre mesure. Cela faisait longtemps qu'il avait perdu l'habitude de regarder par-dessus son épaule. Will et lui avaient bien couvert leurs traces, et leur existence prenait peu à peu la forme tranquille d'une rivière, au cours paresseux mais serein. Hannibal pouvait se satisfaire de ce quotidien. Il aimait Amsterdam, il aimait Will, et la réciprocité dans son regard. Il aimait la sensation de ne pas se sentir seul pour la toute première fois de sa vie. La sensation de voir et d'être vu – mieux encore, compris – dans une transparence parfaite.

Lorsqu'il rentra à l'appartement cependant, le silence l'accueillit. Ce fut comme si les salles obscures de son esprit se refermaient à nouveau sur lui pour réclamer la souffrance qu'il leur refusait depuis son échappée avec Will. Les longs échos de disparitions passées se mirent à hurler en lui, criant le nom et la forme de Will, et Hannibal fouilla l'appartement tout entier en sachant très bien qu'il ne l'y trouverait pas.

Toutes les lumières étaient éteintes. Achille et Patrocle tournaient en rond dans le salon, impatients de sortir. Hannibal sentait flotter dans l'air l'odeur de Will, mais il était évident qu'il n'avait plus mis les pieds dans l'appartement depuis plusieurs heures.

Hannibal refusa d'abord de céder au pire, mais il n'était pas de ces esprits à se complaire dans l'attente et les illusions. Will avait laissé son portable et tous ses papiers à la maison, ce qui indiquait déjà clairement qu'il prévoyait de faire quelque chose de dangereux. Et ce quelque chose de dangereux avait sans doute mal tourné...

Tentant désespérément de maintenir son esprit en équilibre, Hannibal alluma la télévision sur les informations nationales, avec la conscience douloureuse de son pouls battant tout contre son cou. Il sentit son corps se couvrir d'une sueur glacée en découvrant les évènements du Rijksmuseum. Will était pris. Will avait été capturé, démasqué : son visage était partout sur toutes les chaines nationales, partout sauf auprès de lui.

Hannibal sentit cette vérité s'inscrire en lui comme un poison délicat, comme la marque de Mason Verger ancrée au fer rouge dans son dos. Les portes de son palais mental volèrent en éclats pour céder la place à cette toute nouvelle forme de souffrance que Jack Crawford avait décidé de lui infliger... Le flegme qui le caractérisait tentait de reprendre le dessus, martelait en lui-même : « Réfléchis, réfléchis, réfléchis ! », le tout sous un masque impénétrable qui ne tremblait pas. Achille et Patrocle commencèrent à paniquer, inquiets. Ils percevaient son trouble et l'absence de leur maître. Hannibal les caressa d'une main distraite, prenant immédiatement conscience qu'il allait devoir quitter l'appartement, quitter le pays, quitter cette vie, et les abandonner. Will n'aimerait pas qu'il les abandonne...

Inclinant la tête soudainement, Hannibal laissa le flot des évènements de la soirée l'engloutir. L'espace d'une minute, une seule, il laissa le chaos s'abattre sur sa vie et tout détruire, déchirer son cœur en deux pour l'offrir en pâture à ces policiers qui avaient emmené Will... Quelques larmes suivirent le relief acéré de son visage. Après quoi, il n'y eut plus que colère. La nécessité d'agir, la conscience de devoir attendre, planifier, réfléchir. Hannibal catalysa toutes ces émotions pour en faire un diamant de volonté brute tout au fond de sa poitrine.

Rien n'était perdu. Will était en vie. Tout ce qu'il devait faire, c'était trouver le moyen de parvenir jusqu'à lui. Ils avaient déjà survécu à tant d'épreuves et de séparations... Ils s'étaient attendus, trahis, abandonnés, retrouvés, ils s'étaient poursuivis par-delà les meurtres et les polices du monde entier... Will saurait l'attendre. Hannibal le sut à la seconde où cette pensée s'épanouissait dans son esprit. Lui-même avait accepté l'asile pendant plus de trois ans avec pour seul plan d'évasion la certitude que Will finirait par l'en sortir un jour. Lorsqu'il se trouvait enfermé entre ces quatre murs sous la garde d'Alana, jamais il n'avait douté de cette résolution, pas un instant. Et Will était venu...

After The Fall (Hannibal)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant