Romeo & Juliette

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Dans la solitude de sa cellule, Will relut soigneusement le mot transmis par Alana. Quelques lignes tracées à l'encre noire, dans une écriture inimitable...

« Will,

Nous aurions dû lire Shakespeare lors de notre escapade.

C'est lui qui nous inspire aujourd'hui.

Minuit. »

Il n'y avait rien d'autre, mais c'était largement suffisant. Pensif, Will analysa le contenu du petit sachet pas plus épais qu'une enveloppe. Il contenait une poudre aux reflets dorés, avec un subtil parfum de fleur.

Will le referma précieusement. Il préféra reporter son attention sur le message, caressant ce papier qu'Hannibal avait touché, se demandant s'il serait capable de percevoir son odeur résiduelle à travers les fibres...

Ces huit mois passés loin de lui avaient été difficiles. Mais il avait toujours su qu'Hannibal viendrait pour lui. Quelque part, c'était une facétie du sort d'inverser ainsi leurs rôles : Hannibal s'était un jour abandonné à cette cellule avec la certitude que Will viendrait l'en délivrer... Dès son arrestation au Rijksmuseum, Will avait éprouvé cette même certitude.

Embrasser sa vraie nature aux côtés d'Hannibal l'avait changé. Il éprouvait un sentiment de toute puissance à l'idée de se savoir le compagnon d'un tel allié, et Hannibal, il le savait, ressentait la même chose. A eux deux, ils étaient invincibles. Inséparables. Malheur aux Troyens qui se dresseraient sur leur route, et aux Grecs qui leur voleraient leur gloire... Will savait que temps qu'ils resteraient tous les deux en vie sur cette Terre, même séparés par des barreaux ou des kilomètres de distance, aucune force ne les empêcherait de se retrouver. Ils avaient la patience, ils avaient l'intelligence, ils avaient l'amour. Une volonté au-delà de l'imagination de leurs chasseurs, car elle excédait toutes les règles, tous les cadres de la morale et du concevable.

Aux côtés d'Hannibal, Will avait renoncé à la peur. Il avait attendu entre ces quatre murs en subissant le battage médiatique du procès, les analyses des psychiatres et les interrogatoires éplorés de Jack. Rien de tout cela ne pouvait l'atteindre. Pas quand il avait la certitude d'Hannibal au fond de son cœur. Il avait attendu, en se remémorant tout ce qu'ils avaient fait ensemble et ce qu'il aimait chez lui, en dessinant en pensée et sur le papier le goût de sa peau, la passion de leurs étreintes, la compréhension mutuelle dans leurs regards... Quelques fois, lorsqu'il s'ennuyait, il avait joué avec l'homme que Jack croyait voir en lui. Il avait ressenti un plaisir sincère à revoir son vieil employeur et ami... Mais pas un instant, il n'avait espéré lui faire comprendre ce qu'il était devenu. L'esprit de Jack était trop obtus, il se murerait face à ce genre de réalités.

A présent, il était temps de briser tous les murs.

Minuit s'afficha sur l'horloge murale du couloir. Will déchira le message d'Hannibal et l'imprégna d'eau du robinet avant de le dissoudre dans les toilettes. Il avala alors le contenu du sachet plastique et lui fit subir le même sort.

En s'allongeant sur sa couchette, il ressentit déjà les premiers effets : il se mit à transpirer, une violente nausée le saisit, et les muscles de son visage se détendirent comme s'ils fondaient. Il réprima ces symptômes du mieux qu'il le put, laissant le produit se répandre dans ses veines jusqu'à ce que sa vision devienne noire.

XXX

A une heure quinze du matin, Alana Bloom fut informée par l'une des rondes de nuit que Will Graham avait été retrouvé inerte sur sa couchette, des traces de vomissures présentes sur le sol auprès du lit. Après les précautions de sécurité d'usage, les infirmiers rendus à son chevet constatèrent un arrêt total du pouls et un début de rigidité cadavérique. Will Graham fut déclaré mort à une heure trente-deux du matin. Son corps fut transféré dans une ambulance pour le conduire à la morgue du Département des Sciences du Comportement à Quantico, où il devrait subir une autopsie.

XXX

Jack Crawford fut informé de la mort de Will Graham par Alana Bloom elle-même à une heure trente-sept du matin. En apprenant la nouvelle, il se redressa dans son lit, hébété, puis raccrocha. Un immense sentiment de vide s'épanouit en lui. Au choc et à l'incompréhension totale succédait le déni. Les regrets. L'impuissance de n'avoir pas su ramener Will, de n'avoir pas pu racheter ses fautes, et de l'avoir perdu, à tout jamais...

XXX

L'itinéraire reliant l'hôpital psychiatrique de Baltimore à la morgue de Quantico comprenait une longue route en pleine forêt, peu fréquentée au plus noir de la nuit.

A deux heures du matin, l'ambulance transportant le corps de Will Graham emprunta cette route et stoppa brusquement à mi-parcours, en apercevant une voiture noire arrêtée au beau milieu de la chaussée.

L'un des ambulanciers descendit voir ce qu'il se passait. En abordant le véhicule abandonné, il ne vit pas la silhouette émerger de la forêt derrière lui pour lui trancher la gorge. Le second ambulancier, épouvanté, ouvrit la portière pour tenter de s'enfuir, mais l'homme vêtu de noir se jeta sur lui et lui sectionna précisément l'artère fémorale. L'ambulancier tomba à genoux. Partagé entre l'instinct de survie et la terreur du sang qui inondait ses vêtements, il fit encore quelques pas en plaquant ses mains sur la plaie, puis s'effondra.

Hannibal ne perdit pas une seconde. Montant à l'arrière du véhicule, il libéra Will du sac mortuaire où on l'avait enfermé. Il tenait déjà dans sa main la seringue qui le ressusciterait d'entre les morts.

Le poison extrait du pollen du Rhododendron Ericaceae, aussi appelé grayanotoxine, provoque un violent état de catatonie simulant la mort. Son action ralentit le rythme cardiaque au point de le rendre indécelable, même pour un médecin attentif. Son remède, un mélange d'atropine et d'adrénaline, agit presque aussi instantanément : Hannibal planta la seringue dans la poitrine de Will et l'injecta.

Aussitôt, Will se redressa en prenant une immense inspiration, le cœur affolé, l'esprit erratique. Il regarda autour de lui sans reconnaitre l'endroit où il se trouvait :

- Will, murmura Hannibal en saisissant son visage entre ses mains en coupe. Will, est-ce que tu m'entends ?

- Hannibal...

Will aperçut ses yeux, son visage tout près du sien, ses mains qui le tenaient, qui le touchaient...

- Hannibal..., répéta-t-il en s'agrippant à lui.

Il l'embrassa, malgré la douleur dans sa poitrine et la folie qui déchirait son esprit. Il l'embrassa parce qu'il avait rêvé de ce moment, désespéré de le revoir, et parce que c'était lui, sa peau, ses lèvres, son odeur, juste devant lui...

Hannibal le serra contre son cœur en enfouissant son visage dans son cou. Sa main, protectrice, enserra ses boucles brunes :

- Je suis là, dit-il. On a réussi, tu es libre.

Il se recula pour plonger ses yeux dans les siens :

- Mais il faut nous dépêcher, maintenant. Tu peux marcher ?

Will acquiesça. Il prit appui de tout son poids sur Hannibal pour se redresser et descendre de l'ambulance. Ils montèrent ensemble dans la voiture abandonnée sur la route, et ils disparurent dans la nuit noire.

XXX

A quatre heures du matin, la morgue de Quantico s'inquiéta de n'avoir aucune nouvelle de l'ambulance chargée de transférer le corps de Will Graham dans leurs locaux.

A quatre heures trente-et-une, un automobiliste signala les corps et l'ambulance abandonnée sur la route en pleine forêt.

A quatre heures quarante-cinq du matin, Jack Crawford apprit que Will Graham s'était échappé. 

After The Fall (Hannibal)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant