Chapitre 4: La Dernière Chance (Aladrinh)

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La Dernière Chance était une taverne d'un genre particulier, située dans les bas-fonds d'Isaldor. Son aspect délabré laissait toutefois imaginer une grandeur passée. Une enseigne indiquait le nom de l'établissement en majuscule. Sur la porte était fixée une pancarte célèbre dans tout Isaldor: "LA DERNIÈRE CHANCE: SI VOUS N'AVEZ PLUS RIEN À PERDRE, EXCEPTÉ LA RAISON".

Aladrinh ouvrit la porte, qui grinça comme un avertissement sinistre. Un air de harpe et des éclats de voix lui parvinrent. Une trentaine d'hommes et de femmes, pour la plupart âgés, étaient assis là, discutant avec animation. Au fond, une elfe jouait une mélodie entraînante sur une harpe de plus de deux mètres de haut.

Personne ne remarqua l'arrivée de l'elfe tant ils étaient absorbés dans leurs discussions houleuses. La plus agitée des conversations provenait d'un groupe de cinq personnes assises au centre de la salle:

-C'est complètement ridicule, rugit un homme barbu d'une quarantaine d'années. La machine exécute. La machine ne peut pas penser.

-Voyez les choses sous un autre angle, lui conseilla une grande femme d'un âge avancé. Une machine peut réagir différemment selon les conditions, si on l'a conçue pour. Par exemple, en faisant une savante utilisation des cristaux jaunes, on pourrait facilement faire en sorte qu'un aéroplane ne puisse voler que lorsqu'il reçoit de la lumière, donc en plein jour et par temps dégagé.

-Mais ça n'a rien à voir avec de la pensée, Nathy, grommela le barbu.

-Non, mais patientez un peu, j'en viens à mon but, répondit la dénommée Nathy. Si j'équipais une machine de tant et tant de capteurs qu'elle puisse percevoir autant qu'un humain, et que je relie ses capteurs d'une façon extraordinairement complexe, de telle sorte que chaque combinaison d'informations reçue par les capteurs entraîne une réaction précise, déterminée à l'avance. Cette machine ne serait-elle pas douée de pensée? Car n'est-ce pas là où réside l'intelligence: dans l'adaptation à des milieux différents?

-Bigre! s'exclama le barbu. Présenté de cette manière-là, c'est très confondant...

-Vous oubliez toutefois des aspects importants de la pensée, les interrompit un troisième homme qui portait un monocle. Un esprit est surtout constitué de souvenirs. Votre machine ne peut en aucun cas s'appuyer sur des expériences passées. Et ce n'est pas sa seule lacune. Il lui est également impossible de prendre des décisions au hasard, de ressentir des émotions, de faire preuve d'imagination. Je dirais que vous auriez créé une forme de logique, mais en aucun cas une conscience, ou une intelligence.

-Il faudrait trouver un moyen de stocker des informations lisibles par des machines, proposa Nathy. Par exemple...

-Cessez de babiller, nous avons un visiteur, l'interrompit une femme qui portait une queue de cheval. Bonsoir Aladrinh, viens-donc t'asseoir à notre table.

Aladrinh était heureux qu'on l'ait enfin remarqué. Une règle d'or à la Dernière Chance, bien qu'elle n'ait jamais été dite ou écrite nulle part, était de ne jamais interrompre une conversation. Aladrinh était déjà resté plus d'un quart d'heure sur le pas de la porte en attendant qu'on l'invite à s'asseoir.

-Tu fais une drôle de tête, lui dit la femme à la queue de cheval. C'est pourtant un soir de fête! N'es-tu pas allé aux Yordalides?

Aladrinh déglutit difficilement. Il avait de quoi faire une drôle de tête. Mais il décida de garder ses problèmes pour lui.

-Peuh! Ne me parlez pas ce festival ridicule, dit un tout petit vieillard qui n'avait encore rien dit, sans laisser à Aladrinh le temps de répondre. La Confrérie enchaîne bourde sur bourde.

Les Chroniques d'Isaldor: au Cœur du complotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant