Chapitre 5: Le savoir est une arme (Aladrinh)

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La bibliothèque d'Isaldor. Un des plus beaux endroits de la cité-état, et une des plus grandes bibliothèques du monde connu, mais surtout la plus moderne.

Située au coeur de la ville, à quelques rues de la grand-place, le bâtiment était reconnaissable de loin. Il s'agissait d'une immense bâtisse cylindrique de marbre blanc, surmontée d'une grande coupole de verre. De nombreuses fresques étaient représentés sur les murs, représentant les différentes étapes de la civilisation de la cité, ainsi que des mythes et des histoires célèbres.

C'est là qu'Aladrinh se rendit le lendemain, après une nuit agitée et mouillée de larmes. Ce qui le frappa en premier lorsqu'il entra, c'était la luminosité. La matinée était nuageuse, et il semblait faire plus jour à l'intérieur. Il leva les yeux vers la coupole. De l'intérieur, on pouvait voir qu'elle était divisée en plusieurs morceaux, séparés par des tiges de cuivres qui formaient des lignes sinueuses et s'enroulaient sur elles-mêmes. Aladrinh se demanda si elle avait été conçue pour concentrer la lumière ou si elle était enchantée. Toutefois, elle créait une luminosité idéale pour lire, quelle que soit l'heure et le temps.

La deuxième chose la plus étonnante, c'étaient les wagonnets.

Pour se déplacer à travers les kilomètres de rayonnages, la bibliothèque avait installé un dispositif inspiré des chariots de mine. Des rails passaient la allées à quelques mètres au dessus du sol, soutenus par des pilotis. Sur ces rails circulaient une multitude de wagonnets sur lesquels lecteurs et bibliothécaires naviguaient entre les étagères. Le système permettait d'installer des étagères jusqu'à la coupole puisque les rails pouvaient monter et descendre.

Le dispositif était entièrement silencieux pour garder une atmosphère studieuse. Les chariots n'émettaient qu'un léger cliquetis et des jets de vapeur.

Aladrinh alla jusqu'au wagonnet le plus proche. Tapissé de plaques de cuivre, il possédait un siège en cuir et un panier de fer pour mettre les livres. Aladrinh s'installa. Face à lui s'étalait un tableau de commande assez simple, surmonté d'une plaque indiquant son mode d'utilisation. Au milieu se trouvait une vitre derrière laquelle un panneau de bois était marqué de la mention: SECTION A: ACCUEIL. Une manivelle était installée à côté, qu'Aladrinh tourna. A chaque tour, le panneau se déplaçait d'un cran, laissant apparaître à travers la vitre un autre nom de section. Il continua jusqu'à ce que "SECTION F: ANATOMIE/BIOLOGIE" soit affiché. Il abaissa ensuite un levier et le chariot se mit à avancer.

La circulation était automatisée de telle sorte que toute collision était impossible. Si deux wagonnets arrivaient trop près l'un de l'autre, ils s'arrêtaient quelques secondes puis l'un d'eux repartait, suivi de l'autre.

Le trajet dura moins de cinq minutes Le chariot s'arrêta à quatre mètres de hauteur, face aux ouvrages sur l'anatomie. Aladrinh passa en mode manuel. Il piocha quelques atlas médicaux au hasard et d'autres livres sur le cerveau humain avant de revenir au sol.

Il s'installa à une table dans le coin le plus reculé qu'il put trouver et se mit à étudier. Il ne voulait pas être dérangé.

Au bout d'une demi-heure, il se rendit compte de la difficulté de la chose. Le cerveau était encore très méconnu. Les livres étaient largement incomplets et il n'y avait bien sûr pas un mot sur un moyen de le faire fonctionner après la mort. De plus, Aladrinh avait reçu unee éducation sommaire de Mila, et s'il savait lire et écrire, il ne comprenait pas la moitié du vocabulaire utilisé.

Le pire était encore la distraction. Il devait faire preuve d'une volonté de fer pour que son esprit ne dérive pas sans cesse vers la mort de Mila. Mais ce n'était pas tout. De mouches bourdonnaient sans cesse à côté de lui, probablement attirées par la femme d'aspect curieux assise non loin de lui.

Elle avait le teint mat et des cheveux châtains aussi longs qu'emmêlés. Ses vêtements étaient dépareillés et rapiécés. Ils semblaient avoir été trouvés dans la rue. Mais surtout, cette femme empestait une odeur horrible qui rappelait l'égout et la nourriture en décomposition. Elle contrastait beaucoup avec le reste de la population de la bibliothèque, des érudits pour la plupart, qui portaient des costumes élégants et des chapeaux hauts-de-forme, hommes comme femmes.

Aladrinh soupira et tenta de se replonger dans le schéma de l'hémisphère gauche qu'il tenait devant lui. Mais il fut bientôt interrompu par un cri non loin de lui. Il leva la tête et vit une bibliothécaire épouvantée de voir un rat courir à ses pieds.

Curieux, pensa Aladrinh. La bibliothèque tentait la chasse aux rats et aux mites à coeur, pour éviter que de vieux manuscrits ne soient dévorés.

Un autre bruit autrement plus inquiétant se fit entendre. D'abord faible, puis très clair. Un bruit métallique, cadencé. Aladrinh faisait confiance à son ouïe fine. Il connaissait ce bruit.

Six soldats de l'Église de la Lumière approchaient.

L'Église de la Lumière était une communauté religieuse vénérant Yorda que l'administration d'Isaldor avait chargée de l'ordre public, à cause de la droiture et de la qualité de l'entraînement de leurs soldats.

Leur présence dans une bibliothèque était plus qu'inhabituelle.

Et Aladrinh soupçonnait sa propre présence d'y être pour quelque chose.

Il se leva précipitamment. Trop tard. Une demi-douzaine de chevaliers en armure rutilante, armés de hallebardes et de glaives, arrivèrent en trombe.

-Il sont là tous les deux! cria le premier d'entre eux. Attrapez-les!

Tous les deux? pensa Aladrinh. Peut-être ne sont-ils pas après moi?

Mais lorsqu'ils se mirent à courir vers sa table, armes brandies, l'elfe décida d'arrêter de douter. Il prit le premier livre qu'il avait sous la main, une épaisse encyclopédie anatomique, et le jeta au visage du soldat le plus proche.

Celui-ci fut bien plus rapide. Faisant preuve de réflexes stupéfiants, il trancha l'ouvrage au vol, qui se répandit en une nuée de feuilles au sol. Et il semblait prêt à faire la même chose au voleur. Aladrinh courut dans la direction opposée, suivi de... La fille? Les gardes étaient-ils aussi après elle? Ou bien était-elle simplement effrayée?

Aladrinh gravit en deux bonds l'étagère la plus proche, puis sauta sur des rails qui passaient non loin de là. Il espérait que l'armure des soldats, bien que relativement légère, les empêcherait de faire de l'escalade. Il entendit un bruit à sa droite, se retourna et vit un chariot foncer vers lui. Juste à temps, il bondit dans les airs et fit un saut périlleux au dessus du wagonnet, puis se réceptionna en équilibre sur les rails.Il décida de s'élancer à la suite du wagon. Derrière lui la fille l'avait suivi, mais elle avait une démarche bien moins certaine sur les rails.

La voie ne tarda pas à se séparer en deux. Le chariot prit le chemin de droite, mais Aladrinh vit qu'il mentait en une pente escarpée et s'arrêtait quelques mètres plus loin. Mieux valait prendre celui de gauche. Mais un autre chariot apparut en face, cette fois-ci conduit par un soldat. Impossible de passer au dessus sans subir le même sort que le livre. Courir dans l'autre direction semblait aussi désespéré. Par terre, il aurait pu distancer un wagon, mais courir sur des rails aériens nécessitait d'adopter une allure prudente, et il allait se heurter à la fille, toujours sur ses talons.

Aladrinh ne voyait qu'une seule solution. Au sol, le reste des soldats l'avaient suivi, et couraient à proximité. L'elfe bondit sur l'étagère la plus proche, les pieds en avant. Il la heurta de plein fouet. La force de l'impact fut suffisante pour qu'elle se renverse sur le soldat se trouvant derrière. L'elfe roula au sol. L'impact lui avait fait horriblement mal aux jambes, mais il lui fallait continuer à courir. Il se releva et partit en trombe vers la sortie.

Ralenti par ses jambes, il allait tout de même plus vite que les chevaliers en armure. Il n'était plus très loin de la sortie. Dans les rues de la ville, il saurait les semer.

Mais un soldat apparut devant lui, resté à l'entrée pour la garder. Aladrinh se retourna. Les autres fondaient sur lui. Il était piégé. Il sentit une vive douleur sur l'arrière de son crâne.

Puis tout est devenu noir.

Les Chroniques d'Isaldor: au Cœur du complotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant