Kim Matthew

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Matthew est un jeune homme.

Et il sent seul.

Pourtant, depuis sa plus tendre enfance, il ne s'est jamais, à proprement parler, senti à l'écart. Pourtant, c'est qu'il est, isolé du reste du monde. Il est né dans une bulle, et il n'en est jamais ressortit.

La surface de la bulle étant opaque, elle trouble sa vue, et lui offre une vision toute autre de notre réalité.

Cette vision n'est pas étrange, ni erronée, elle est seulement la sienne.

Pour lui, les mathématiques sont une langue dont il connaît toutes les variations d'expression et d'écriture. 
Pour lui, le coréen reste un gribouillis difficilement reconnaissable, et son parlé complexe à exercer.

Mais pour lui, la nature est un kaléidoscope de couleurs et sentiments, qu'il prend plaisir à retranscrire sur papier dès que l'occasion se présente. Ses dessins sont empreints de réalisme : bien que couchés sur le papier, on les croirait prêt à jaillir de la feuille.

Si pour nous, l'oiseau est un volatile dont le plumage varie en fonction des espèces, pour Matthew, ce sont des œuvres à eux-mêmes, dont les teintures de leurs plumes ne sont que couleurs irréelles et fabuleuses.

Mais ce talent est aussi un fardeau : le monde tel qu'il se reflète dans ses yeux est différent du nôtre, et l'incompréhension née de ce décalage le condamne à la solitude.

Depuis plusieurs années déjà, Matthew a senti des gens s'attaquer à sa bulle. À lui reprocher d'être « autre chose », sa bulle protectrice s'est élargie, et ceux qui l'embêtaient ont fini par être occultés par la membrane.
Depuis ce jour, les voix insipides ont disparues, et son monde n'en est devenu que plus serein.

Son travail à la station-service, quelqu'un l'a trouvé pour lui. Cet Autre l'a jugé inutile, alors, tant qu'à faire, autant qu'il soit utilisé par sa société, non ?

Malgré les deux autres personnes qui gravitent autour de lui, comme des planètes auxquelles il serait attiré, Matthew s'ennuie. Quand dans le silence le plus total, il réapprovisionne les rayons, il lui arrive souvent par rêvasser, et de rester plusieurs minutes ainsi.

En observant le ciel azur, lors de son temps de pause, il pense déjà à ce soir où il pourra retourner à la Ville, monstrueuse Ville, mais où il a laissé son papier et ses crayons. 
Peut-être qu'un jour, il les emmènera à la Station-Service et qu'après ses heures, il pourra s'enfuir dans le matin avec eux.

Les paysages urbains, il en a marre. Il voudrait aller voir la mer, la croquer du bout de ses crayons. Mais il sait au fond de lui que les Autres lui crieraient dessus.

Alors Matthew oublie ses rêves et retourne ranger les conserves et les pots de confiture dans les étagères de la Station-Service, qui observe, silencieuse, tous ses faits et gestes.

le pυrgaтoιre || ĸardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant