Kim Somin a la vingtaine.
Et elle se sent impuissante.
La vie la rendue adulte trop tôt : c'est pourquoi aujourd'hui, au lieu de se joindre aux jeunes gens maussades qui croupissent sur les rangs d'une université dans l'espoir de se sortir un jour de cette spirale infernale, elle a choisi de travailler.
Sa vie est liée à la station-service où elle est employée ; pour elle, l'autre côté de la grande voie, c'est l'inconnu.
Somin est une personne toujours empreinte d'une gaieté mélancolique : un sourire flottant aux lèvres, elle s'efforce de n'être rien de plus qu'une vision passagère, dont on oublie l'apparence sitôt le regard détourné.
À la station-service, elle se charge de la caisse. Aux peu de clients qui se présentent, elle salue poliment, enregistre les articles, pose ces derniers dans le bac pour laisser les acheteurs les prendre, leur sourit, les remercie d'être passés chez leur entreprise, en espérant vous revoir bientôt !
Sa vie est une incessante boucle, dont elle ne peut deviner l'issue.
Et malgré cette situation que bon nombre d'entre vous jugerai horrible ; peut-être même inconcevable à supporter pour vous, Somin se dit heureuse.
À la station-service, elle n'a pas à entendre les commentaires des gens sur son passage, à les écouter médire sur sa condition, et la honte qu'elle est pour sa famille.
Ici, elle coule des journées tranquilles, certes peu palpitantes, mais dans tous les cas c'est mieux que là-bas.
Somin se déteste pour cela.
Elle se hait pour sa faiblesse face aux Autres, se maudit pour celui qu'elle fait plus souffrir qu'autre chose par son absence.
Son dégoût d'elle-même, elle le dissimule dans son quotidien.
Le moment de la journée que Somin apprécie le plus, c'est le midi.
À cette heure-ci, elle prend sa pause déjeuner et va rejoindre ses collègues dehors, les vitrines de la station-service.
Le premier d'entre eux arrive toujours en retard de quelques minutes : sa combinaison est pleine de cambouis et d'autres saletés. Pourtant, il n'en soucie pas et s'installe à côté de la jeune femme pour manger.
Le second est déjà assis quand Somin arrive. Dès qu'il l'aperçoit, il croque dans son sandwich de fortune, et se décale pour la laisser s'installer à sa droite.
Tel est le rituel de la station-service.
Somin est très bavarde, elle aime partager ses impressions de la journée aux deux seuls êtres vivants qui errent à ses côtés dans la station-service. Ces derniers ne sont d'ailleurs pas autant portés sur les mots qu'elle, mais qu'importe, Somin ne s'en lasse jamais.
Quand la nuit se fait sur la station-service, elle quitte ses collègues pour retourner à la Ville. Elle en a peur et en même temps, une partie de sa vie est là-bas.
Si ça ne tenait qu'à elle, cela ferait longtemps qu'elle aurait traversé l'autoroute sans regarder.
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le pυrgaтoιre || ĸard
Fiksi PenggemarUne station service : Quatre personnes qui y gravitent sans jamais se voir. Deux femmes, deux hommes. Quatre faces d'une même pièce qui se cachent des autres et d'eux-mêmes. - cover by @paigemin on Twitter