IV. Être redevable est une chose que je déteste

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Comment... Ils le savent? Je fais tomber mon sac par terre sous le choc. Je leur lance un regard enragé. C'est encore l'autre con qui leur a dit!? Je serre les poings. Je le hais, je le hais.

-On passait comme ça dans l'couloir et on a entendu la moitié de votre conversation, toi et l'autre, Hideaki j'crois. Dit la gueule de trisomique en souriant de plus belle. On ira le faire chier demain, mais tu passes en premier.~

Enflure... Du calme Fubuki. Réfléchis. Tu ne peux pas utiliser la force pour te faire entendre. Tu es seul contre quatre gars plus grands que toi. Je vais les déstabiliser avec des mots, il n'y a que ça à faire. Vous pensez que c'est débile comme décision? Et bien, qu'est-ce que vous auriez fait à ma place? Je soupire et souris de façon mesquine. Ils me regardent étonnés.

-Je pensais que vous vous moquiez de moi parce que je m'étais pris la balle de volley dans la gueule, mais en fait vous rigoliez parce que je suis gay?? Vous êtes encore plus immature que je ne le pensais ma parole... Dis-je en riant.

La racaille qui tenait mon épaule me fait tomber à terre et se met au dessus de moi. J'écarquille les yeux. Merde... Mon passé refait surface...
Je me souviens, c'était l'ami d'Hideaki qui avait tendance à venir comme ça, au dessus de moi pour me frapper violemment au visage. Si bien, que  j'avais du mal à mâcher et à parler après. Je rentrais avec des bleus, des croûtes, du sang séché sur mes vêtements. Je ne le montrai jamais à mes parents, je disais souvent que le sang séché était en fait du ketchup, et que mes blessures venaient du fait que je faisais mon casse-cou au collège. Bien sûr, ils me faisaient confiance, ils me croyaient. Ce n'est que quelques temps après qu'ils ont su, ce qu'il se passait vraiment... Ce soir, je vais sûrement revenir avec des bleus, je me demande bien ce qu'ils vont croire... Mon cœur bat fort. Je suis juste en train de revivre ce que j'ai déjà vécu?... Le karma ne devait pas s'abattre sur l'autre chien?... Pourquoi moi? Je ne l'ai pas mérité. Et puis, même si je suis gay, je ne veux être attiré par personnes, je n'aime personne. Alors pourquoi... Pourquoi ça doit recommencer!?
Vous savez, j'ai toujours porté ce masque de mec fier et froid, qui avance, sans personne. Ce solitaire que je suis. Je pensais m'être définitivement débarrassé de Fubuki le faiblard, celui qui ne faisait rien pour s'en sortir, celui qui pleurait chaque soir en rentrant, ce faible la oui, je pensais l'avoir enterré à jamais. 
Ce n'est qu'un masque.
En réalité, elle n'a jamais disparu, cette partie de moi, le faible. Il refait surface au mauvais moment... Alors qu'il était au dessus de moi, en train de se moquer de moi, je tremble de peur. L'être humain est si stupide, je suis comme eux finalement. J'ai peur. J'ai peur de ce qu'il pourrait m'arriver maintenant, de ce qu'il pourrait m'arriver demain. J'ai peur de la mort, d'être blessé. J'ai peur de la solitude, d'être détester...Je ne veux plus subir ce genre de choses...

Je faisais mon fier jusqu'à présent, mais là, c'est terminé.

Je l'admets. Je suis comme vous, êtres humains, aussi stupides que vous l'êtes. Je suis comparable, et oui, comme vous. Je ne suis pas si différent que ça. Je suis humain. Rien que de l'admettre me donne des frissons.

En ce moment, je suis faible. Je tremble, et mes larmes n'ont plus besoin de me menacer pour se manifester. Elles coulent, elle coulent. Devant l'air fier de l'autre crétin. Il est fier de me faire pleurer, de me faire peur. Il aime être supérieur à moi. Il aime me voir aussi vulnérable. Ils sont tous comme ça...

-Eh bien alors mon salaud! Tu faisais le fier, et maintenant tu chiales!

Ils rient et le mec au dessus de moi me donne des coups de poing. Cette douleur, ça faisait si longtemps que je ne l'avais pas ressenti. Sur les bras, sur la gueule, dans l'estomac... Tout mon corps en fait les frais. Pourquoi moi... Pourquoi ça devait arriver? J'allais bien, tout allait bien, avant que je revois ce foutu clébard qui n'est autre que Hideaki. Si il n'était pas là, ça ne serait pas arriver... Je serais pénard, en train de rentrer chez moi. Ou peut-être déjà dans mon lit. Il y a plusieurs fins possibles, mais celle la plus improbable est en train de se dérouler. Je suis vraiment malchanceux...Parmi tous les déroulements, parmi tous les scénarios qui puissent exister, j'ai eu la malchance de tomber sur celui-ci. J'en ai marre, pourquoi ça n'arrive qu'à moi...

Je suis là, en train de me prendre des coups, des insultes. Je ne fais rien pour arranger quelque chose. J'ai peur, je pleure, j'en tremble. Le Fubuki si frêle que tout le monde a connu est en train de refaire surface. Non, il a toujours été là. Mais il était voilé d'un drap opaque, de sorte à ce que personne ne puisse le voir. Je l'avais pourtant si bien caché... Il ne bougeait pas. Il restait sage... Mais dans cette situation là, il a décidé de se manifester.

Dans les silences des plus absolus, au fond de moi, je criais à l'aide. J'ai mal, j'ai si mal. Ça me fait mal. Au fond de moi, je souhaitais que Dieu ait pitié de moi, et qu'il m'envoie quelqu'un ou quelque chose qui viendrait m'aider. Une bonne personne, oui... J'ai besoin que quelqu'un me vienne en aide, ou je vais finir par mourir sous les coups de cette racaille... Pour une fois, j'ai envie de m'appuyer sur quelqu'un, d'avancer avec cette personne. Finalement, être seul, ce n'est pas si bien que ça. A ce moment-là, malgré toutes  les douleurs et les blessures que ça pouvaient provoquer, je voulais rêver une dernière fois, oui, un rêve niais. Un rêve idiot. Je voulais croire à cette utopie que tout le monde convoite, et aimer quelqu'un de tout mon cœur. Oui, avoir quelqu'un sur qui s'appuyer, j'en ai besoin. Je ne voulais plus avoir froid. Rien qu'une fois, rien qu'une seule fois, je voulais savoir ce que ça faisait de rêver éveillé. Je ne veux plus être seul. J'ai peur, je suis beaucoup trop trouillard pour ça, finalement...

Je suis encore en train de me faire frapper par ces dégénérés, mais je sens le poids au dessus de moi s'alléger et j'entends un bruit sourd. Il... S'enlève? J'ouvre doucement les yeux, enflés par les coups et par mes pleurs. Je le vois tomber sur le côté, en saignant de la lèvre. Que se passe t-il?

-Qu'est-ce' tu veux toi !? Tu m'cherches!?

Il sourit.

-Eeeeh mais t'es le deuxième pédé!

J'écarquille faiblement les yeux et tourne la tête vers son interlocuteur. Je n'y crois pas... C'est Hideaki... Qu'est-ce qu'il fait là? Je me redresse et je le regarde, les yeux ronds. Il me regarde pendant un court moment et il enlève sa veste pour me la déposer délicatement sur les épaules. Il regarde ensuite celui qui me frappait, fou de rage. Il remonte les manches de sa chemise et fait craquer ses poings.

-Le deuxième pédé va t'envoyer pleurer chez ta mère...

Il lui saute dessus et commence à le frapper. C'est Hideaki qui gagne le combat. Il regarde avec le même regard haineux, les autres garçons qui commencèrent à avoir peur.

-Fait chier... On se tire!

Les trois garçons restant s'en allèrent en prenant le quatrième par les pieds. Hideaki les regarde partir et il soupire. Il respire fort, je peux entendre son rythme cardiaque de là où je suis. Il transpire beaucoup aussi...Il prend son temps pour se calmer puis son regard se tourne vers moi.
Il m'a sauvé... Pourquoi?
Je détourne le regard et serre fortement mon sac contre moi, comme si je voulais être protéger. Il faut que je me calme aussi. Je n'ai pas envie qu'il voit la partie vulnérable de moi, à nouveau. Pourquoi mon sauveur devait être mon ancien agresseur? Cela n'a aucun sens... Je le hais... Il m'a sauvé juste pour que je lui sois redevable, j'en suis sûr. Il a des arrières pensées, j'en suis sûr. Il s'accroupit vers moi et me caresse le haut de la tête.

-Ça va aller, je suis là maintenant...

Cette phrase... C'est mon père qui me l'avait dit, quand il m'a retrouvé seul dans la rue, blessé et effrayé. Il m'a suffit d'une seule petite phrase, pour que je me remette à pleurer à nouveau, et dans ses bras en plus de ça. Et c'est ce qu'il se passe à nouveau. Je me jette dans les bras d'Hideaki en pleurs. Il me sert contre lui, et je continue de pleurer. Je hurle ma peine, ça faisait si longtemps que je n'avais pas exprimé mon mal être... Je crie à en perdre la voix. Et lui, plus je criais, plus il me serrait fort, comme si il voulait me protéger de tout.
Après un moment, je me calme, je hoquète et je me mouche, malgré les blessures que j'ai sur le visage. Rien que de me moucher me fait mal...

-Pourquoi tu es venu me sauver sale chien...

-Je tiens à toi. Je veux me racheter auprès de toi. Je veux pouvoir vivre ce que je n'ai pas pu vivre avec toi, à cause de ma stupidité... Je veux être aimer, et non détester...

Je le regarde un moment. Je suis un crétin... J'ai envie de boire ses paroles comme si je buvais de l'eau de source. C'est difficile pour moi, vous le savez. Mais là, je peux sentir de la sincérité dans ses paroles. Je sais qu'il est sincère, je le sens. Maintenant, reste à savoir si il va se jouer de moi ou non, si il va me faire souffrir, ou non. J'ai peur de m'engager dans des choses comme ça, si rapidement... Je détourne le regard en faisant la moue.

-Être redevable est une chose que je déteste...

-Alors pour commencer, accepte le fait que mes excuses soient sincères.

-...

Puis-je vraiment lui faire confiance?



Heart is breakableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant