"Elle s'appelle Anna."

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Il y avait de la place pour elle, entre les bras de Anna, Margaux en était sûre. Elle savait aussi qu'il n'y avait qu'une place, pas deux, qui serait pour l'un ou l'autre. Elle savait que Anna ne savait plus rien, justement, qu'elle doutait et peut-être que, au fond, c'était sa fierté. Margaux avait du mal à comprendre comment la jeune portugaise était entrée dans leur vie.

Un grand frère charmeur, une jeune brune audacieuse, une artiste sensible, et une pincée de site de rencontre, peut-être.

Un soir, Gaël et Margaux s'était innocemment retrouvé dans un petit bar nantais pour échanger un peu de la poussière qui recouvrait leur vie respective.

"J'ai rencontré le professeur de plus respectable, le plus passionné, le plus passionnant, le plus génialissime qui existe sur terre" disait l'une.

"Mon patron va me virer, je le sens, il m'engueule six fois par jour" disait l'autre.

"J'ai recroisé Gwen, parait-il que tu ne lui as pas donné le moindre signe de vie" relançait la première.

Et, au détour d'une de ces banals conversations, le frère avait lâché comme un minuscule diament brute : "J'ai rencontré une fille sur un site de rencontre. Elle s'appelle Anna."

Anna. Elle s'était fait son chemin entre les Visdeloup, creusant en silence, s'imposant pour vite devenir l'air même de la fratrie.

Margaux la rencontra par hasard, ou du moins, sans qu'il en soit de la volonté de son grand frère. Elle était saoul. Elle ne marchait pas droit, voyait flou, elle riait seule, ne savait plus où aller.

"Noémie m'a drogué !" répétait-elle sans gêne et sans compter.

Noémie ne l'avait pas drogué, Noémie n'existait peut-être même pas. Ou était-elle une de ces femmes que les pulsions sexuelles au creu de leur ventre seul contrôlait ? Une amie de celle ou celui chez qui elle était ce soir mais sur qui elle ne parvenait pas à mettre de nom ? Son amour propre, peut-être, ou la métaphore des cons qui lui riait au nez parce que, à l'époque, elle avait quelques kilos en trop ? Noémie pouvait être beaucoup, comme elle pouvait ne rien être.

Gaël habitait un petit appartement en centre-ville, à quelques pas de la Tour de Bretagne que la brise caressait, non loin sans doute de son lieu de fête précédent. Par un miracle innommable, son doigt hasardeux s'arrêta sur le bouton où s'affichait "GAËL VISDELOUP", écrit maladroitement par quelques traits de stylo noir. Quelques minutes, sa réponse se fit attendre, puis le "oui" tranchant arracha Margaux à L'hymne de nos campagnes. Un second miracle ouvrit la porte à la jeune femme ivre, l'aidant à escalader les trois étages de marches froides. On la fit s'asseoir sur le canapé et on posa devant elle un verre d'eau qui lui donna la nausée par sa simple ressemblance avec le whisky. Son frère l'accablait de reproches qu'elle n'entendait qu'à peine, comme si aucune syllabes n'échappait réellement d'entre ses lèvres, jusqu'à cette voix presque vulgaire de dureté, arrogante et chaleureuse à la fois, indéfinissable parce qu'elle était de celle qu'on ne peut se répéter dans sa tête.

"Alors voilà comment elle s'appelle, cette rouquine ivre, Margaux."

La concernée releva la tête, lentement, dévisageant la nouvelle venue avant de la pointer du doigt, le bras chancelant et tentant d'organiser trois mots, une majuscule et un point. Une petite phrase inaudible, presque. Tu es Anna ? Gaël rit nerveusement.

"Oui, c'est Anna, et tu me casses les couilles à foutre le bordel dans mon rendez-vous, alors va t'enfermer dans les chiottes à vomir tes tripes et ferme ta gueule."

La plus belle rencontre que aucun conte n'ai jamais relaté, n'est-ce pas ?

Margaux Visdeloup.Where stories live. Discover now