"Le monde n'est-il pas fait comme il est fait, sans qu'une petite empreinte artistique ne puisse rien y changer, Mlle Visdeloup ?"
Les joues de la jeune étudiante s'empourprèrent, embarrassée, avant qu'en un instant, elle retrouve la force et la fierté de se lever pour affronter le regard de ces élèves, ce professeur, de la femme peinte projetée sur le vaste tableau blanc.
"Théoriquement, nous ne pouvons rien faire seul, nous ne pouvons rien faire à deux, ne pouvons rien faire contre la nature humaine, la terre, contre tout ce qui est. Descartes comprend la physique, mais ne la change pas. Nelson Mandela comprend l'homme mais n'en fait pas un être bon. Turner comprend la mer, mais ne l'ébranle pas même un peu. Mais en pratique, monsieur, une petite empreinte artistique peut en appeler d'autre, des dizaines, des centaines, et peut changer plus qu'elle ne le pensait possible. C'est le nombre, je crois, qui fait la force, au delà des sentiments qu'on dit si fort dans les livres. Ce n'est pas une femme qui se bat contre l'homophobie ou le sexisme qui change la donne, c'est quand elle appelle d'autres femmes et d'autres hommes avec elle, que les choses évoluent. Il y a quelques dizaines d'années, ou même aujourd'hui dans d'autre pays, justement, personne n'avait ou n'a appelé avec tant de puissance. On tue parce que deux femmes ou deux hommes aiment. On rit au nez de celles qui veulent proclamer leur indépendance et parfois même, on les frappe pour cela. Pourtant aujourd'hui, il y a une marche officielle pour la communauté lgbt, des encouragements, et c'est à ceux qui trouvent cela répugnant qu'on rit au nez. Les femmes ne sont pas encore l'égale des hommes, monsieur, mais elles sont respectées dans notre pays pour ce qu'elles sont, ce qu'elles font, et ce qu'elles peuvent faire. Alors non, monsieur, il ne me semble pas qu'une empreinte artistique soit si inoffensive et invisible. Je pense qu'elle détient le pouvoir d'engendrer bien plus, parce que l'art est au moins aussi puissant que la voix. Cela, c'est vous qui me l'avez appris."
Margaux Visdeloup se rassit, laissant le temps à chacun d'avaler ce monologue sincère qu'elle venait d'affirmer. Des chuchotements s'échappèrent d'entre les lèvres de certains, des regards, de la surprise, de l'admiration dans les yeux de certains, quelques hochements de tête de haut en bas, ou bien de gauche à droite. Mais seul M. Meunier afficha, dès la seconde où elle se tue, un immense sourire. Dans un premier temps, il intimida la rouquine, qui n'avait pas l'habitude qu'on la regarde avec tant de fierté, jusqu'à ce qu'elle s'en emplisse elle-même sans peut-être en comprendre la raison.
A la fin de l'heure, son professeur l'arrêta tandis qu'elle tentait de passer le pas de la porte.
"Mlle Visdeloup, vous m'avez épaté. Vous avez passé le pas de la timidité, vous avez enfin eu le courage d'afficher vos valeurs et vos idées devant une cinquantaine d'étudiant pour la plupart idiot. Pour cela je crois - j'ose croire ! - que vous avez fait une rencontre bouleversante et bienveillante à la fois, je me trompe ?"
Comme souvent avec Margaux, il y eut deux temps dans sa réaction. Le premier, où elle ne comprit pas ce qu'insinuait l'homme, où ses sourcils se froncèrent et les rouages de son cerveau d'agitèrent. Puis le second, où, dans un hochement de tête, elle adressa à M. Meunier un sourire qui voulait tout dire. Ce sourire lui raconta, lui expliqua, bien qu'elle ajouta des mots. Son regard lui compta cette angoisse que le lecteur connaît déjà, mais aussi ce bonheur qui, malgré tout, serrait dans ses bras la rousse chaque fois que Anna venait à elle.
"Je crois, monsieur, que certains obstacles et certaines relations m'ont rendu plus forte que je ne l'étais. Elle n'est pas particulièrement intelligente ou gentille avec son prochain, mais elle est forte et moi aussi j'ose imaginer qu'elle croit en moi. Qui sait, peut-être qu'un jour je passerais le pas suivant quand je serais sûre de cela."
Il n'en fallut pas plus à son fabuleux professeur pour comprendre, et Margaux s'en alla simplement, comme elle était venue, mais peut-être libérée du poids de la cécité qui lui cachait le magnifique cadeau qu'Anna lui avait offert. Un peu de confiance.
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Margaux Visdeloup.
Ficção GeralMargaux est passé par beaucoup. Elle a surmonté, a enduré, appris et aimé. Anna, surtout.