11 ~ Rancune

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Une fois les Monts Sachel entourant Miscas à peine perceptibles à l'horizon, le sol ne fut plus que roches et gravier. Il n'y avait pas un grain de sable, pas un brin d'herbe, pas une goutte d'eau, pas un rayon de soleil, pas un soupir du vent. L'atmosphère était à peine respirable.

La nuit était tombée, du moins je le pensais. Aidan et moi avions marché pendant des heures, sans arrêt. L'épaisse fumée se répandant dans l'air empêchait n'importe quelle étoile de luire.

Les Terres Mortes, m'avait prévenue Aidan. Autrefois d'immenses forêts entourant les montagnes, des millénaires de guerre eurent raison du dernier brin de vie de ces lieux. Toutes les batailles s'y déroulaient systématiquement depuis aussi longtemps que se souvenaient ses voisins Misc's, Edr's et Hearm's.

Les ombres des combats, les esprits des guerriers et guerrières, les vestiges de haine et de colère, les spectres des morts se baladaient toujours, imprégnaient les lieux. Une atmosphère sinistre de désolation et de destruction se faisait ressentir, persistante. La Faucheuse qui de sa longue cape sombre balayait la terre déserte semblait toujours se promener autour des cadavres décrépits de créatures diverses. Ici et là gisaient des armures perforées, des boucliers fendus, des épées rouillées, des capes déchirées tâchées de poussière, de sang que les siècles séchèrent, indifférents.

Nous dûmes bien nous résoudre à faire halte pourtant, histoire de nous reposer, nous préparer à une nouvelle journée de marche. A pied, il nous faudrait un peu plus de trois jours pour parvenir aux frontières sud-ouest de Cresstl.

D'un claquement des doigts, Aidan fit apparaître une petite tente. Tout comme les penderies, les placards et les sacoches, elle était en vrai d'une capacité complètement disproportionnée par rapport à sa taille.

- Après toi, dit-il avec un petit sourire.

Il y avait quelques lits, un canapé défraîchi, une table où étaient éparpillés des cartes et des parchemins, des étagères croulant sous l'infinité d'armes qu'elles portaient, et au centre, un petit feu de camp. Ni la fumée ni la lumière n'étaient visibles de l'extérieur, heureusement, grâce à la tente enchantée.

- Faudra-t-il qu'on fasse des tours pour la garde ou... commençai-je, incertaine.

- Inutile, dit-il d'une voix enjouée, quoique fatiguée. Les sortilèges de protection que j'ai mis en place tiennent toujours.

J'enlevai ma cape et la posai sur une chaise. Je baillai. Je n'avais pas faim, grâce à une potion au goût immonde qu'Aidan m'avait fait ingurgiter. Par contre, les effets de l'énergie de Rinn commençaient peu à peu à s'évanouir.

- Tu ferais mieux de te reposer, Vera, murmura-t-il en enlevant à son tour sa cape, on aura du chemin devant nous dans quelques heures.

J'acquiesçai en silence, puis me dirigeai vers un des lits les plus proches du feu. Cela pouvait paraître quelque peu ridicule mais, je n'arrivais toujours pas à dormir dans le noir complet. Non, je vous assure, je n'avais pas trois ans... J'avais... J'avais probablement atteint mes dix-huit ans sans même m'en rendre compte, maintenant que j'y pensais.

Je tirai les rideaux du lit, et les refermai derrière moi. Je troquai ensuite mon ensemble composé d'un agencement de tissu gris et de cuir noir contre un énorme pull beige et une paire de leggings noirs. Je m'enveloppai dans les couvertures sans doute magiquement chauffées, mais réalisai rapidement que je n'avais pas sommeil. Je rouvris alors le voile du lit. Mes yeux se posèrent immédiatement sur un torse ferme parsemé de sortes de tatouages brillant d'un violet sombre, de cicatrices, de muscles finement dessinés. 

J'étais sûre que mes joues étaient plus écarlates que les cheveux de Rinniyé. Ou que mes yeux étaient grands ouverts. Ou les deux. Heureusement qu'il était assez loin pour ne rien remarquer. Je secouai légèrement ma tête, comme pour envoyer ces pensées ailleurs. Je me sentais presque honteuse. 

Coeur VengeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant