Je ne réfléchis plus. Je fermai les yeux, coupai toute pensée, effort, non nécessaire. Je devais rassembler mes dernières ressources pour nous sortir de ce pétrin, nous mettre en sûreté. Je bloquai tous mes sens, me forçai à concentrer mon guide, ma force et ma vitesse, ils devaient ne laisser place à rien d'autre. Plus aucun souci, débat intérieur, inquiétude, ou angoisse. C'était à Aidan que tout cela revenait.
Ce dernier s'était rapidement enveloppé d'un halo bleuâtre, insaisissable à l'œil nu grâce à ma vitesse. Il en avait probablement besoin pour supporter l'action surhumaine que son corps subissait en étant fermement attaché au mien dévalant sans penser les plaines émeraude faiblement éclairées.
Je sentais mes forces me quitter en même temps que l'impression malaisante des yeux aiguisés des Sentinelles.
Pas moins de dix minutes s'étaient écoulées, et je peinais à respirer, mes larmes rebelles trouvant un passage de sous mes paupières.
Je m'accrochais de toutes mes forces à sa main, son bras, je ne devais pas lâcher prise, je ne devais pas me laisser aller à un évanouissement bien mérité avant d'être complètement à l'abri.
Nous ne l'étions pas, du moins pas encore, car une nouvelle sensation désagréable me submergea sans que je puisse l'ignorer. Ce simple effort mental signa ma perte et je me sentis, accompagnée d'un « Véra ! » étouffé, m'effondrer sous l'ombre de longs, très longs arbres peuplant la forêt où nous nous étions enfin engouffrés à toute vitesse.
Je pus cependant également détecter des présences, des pouvoirs, avant le noir total. Des pouvoirs multiples, partageant tout de même un effluve semblable. Des pouvoirs naturels.
Je débridai mes paupières et mes sens, bercée par une symphonie de bourdonnements, grattements, crépitements, grésillements et clapotis, baignée dans la lumière, le corps submergé et l'esprit accaparé par un intense bien-être contre-carrant la panique qui m'envahit de suite.
Je me relevai en un saut, me mis en position offensive, scrutant hâtivement les alentours.
Aidan. Les Sentinelles. Notre course effrénée vers Cresstl.
Cresstl.
Allongée sur un étrange hamac, fait de feuilles, suspendu entre deux énormes troncs dont je n'arrivai pas à saisir l'extrémité, le ciel étant couvert d'un toit de branches et feuilles de palmes, du moins, d'une espèce végétale y ressemblant. D'infimes rayons de lumière filtraient par de discrètes ouvertures, créant une illusion de reflets scintillants sur le sol en terre.
La pièce était déserte. Des meubles en bois brut et cuir étaient largement espacés à l'intérieur de ce que j'assumais être une sorte de tente.
Je ne voulais pas m'aventurer en terres inconnues, je me résolus à invoquer Aidan.
Me concentrer aussi intensément juste après un réveil, le ventre vide et sans l'énergie de Rinn alimentant mes membres, s'avéra un tantinet plus compliqué que d'habitude.
Il apparut pourtant en un instant, quelque peu désorienté.
Je me jetai dans ses bras, soulagée.
- Si tu pouvais prévenir, avant de faire ça, se plaint-il après m'avoir relâchée. On aurait pu penser que perdre tes souvenirs te ferait perdre tes mauvaises habitudes, par la même occasion... J'étais juste derrière la porte, en fait, ajouta-t-il, amusé, tu aurais pu appeler, simplement.
Je souris.
- J'ai préféré ne prendre aucun risque, expliquai-je, c'est un territoire inconnu pour moi...

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Coeur Vengeur
Fantasy|Suite de "Esprit Vengeur"| Ce n'était pas juste une quête de vengeance. Ni seulement une course poursuite à travers les contrées de mon monde et de ma mémoire. Les batailles, la guerre. Les morts, les guerriers et les souverains n'étaient pas les u...