Solitude

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Je m'appelle Louise. Hier, j'ai mis fin à mes jours alors que je fêtais mes vingt ans. La solitude m'a prise dans ses bras comme jamais elle ne l'avait fait auparavant, et la Mort m'a tendu la main. J'attendais sa venue avec impatience.
Elle s'est approchée tout en douceur et m'a enveloppée dans son voile funeste. À cet instant, un frisson a parcouru l'entièreté de mon corps. Il a sillonné chaque veine, transpercé chaque parcelle de ma peau. Une douleur aiguë s'est emparée de moi, puis mon âme a quitté mon corps.
Mon cœur a cessé de battre à 14h32 le 19 juillet 2013.

J'y pensais depuis des mois.
Au début, je me suis demandée si cela ne s'avérerait pas plus joli après la mort. Mais j'ai cessé de ressasser cette question au fur et à mesure que les jours passaient.
On ne peut pas s'attarder sur ces questionnements dans notre société, et lorsqu'on en parle, cela devient tabou. Conforme à notre civilisation, j'ai décidé de ne plus concevoir l'idée d'une mort drapée d'une sublime robe. Pourtant, cela reste impossible de ne pas évoquer le point final d'une vie. Lorsqu'on y songe, l'arrêt du cœur, le dernier souffle... ce sont eux qui pensent à nous en premier. La Mort vient nous chercher et nous tire vers elle avec séduction. Elle nous attire. Sa force n'a d'égale que son impitoyable maîtrise, avec laquelle elle nous consume. Cela fait des milliers d'années qu'elle pratique ce métier. À force, elle excelle dans cet art méticuleux.

C'est ainsi que j'y ai songé à nouveau. Mais cela me rendait malheureuse, je m'interdisais toute forme d'intérêt envers Elle. Les jours s'écoulaient et la noirceur se saisissait de mon être tout entier. Le désespoir l'a ensuite remplacée, pour m'accompagner durant chacune de mes journées.

Alors j'ai mené une ébauche de liste reprenant les types de suicide les plus populaires. Dans les premiers temps, ces réflexions avaient sur moi un pouvoir immense, à chaque idée sombre, les frissons parcouraient mon corps afin d'annihiler mes desseins. Ces cauchemars éveillés ne cessaient de me hanter, et je ne pouvais refuser à mon esprit de se représenter dans quelques années, où en serais-je ? Peut-être que je me trouverais dans un lit d'hôpital, malade, terrifiée, sans aucune issue possible. Peut-être que je ne surmonterai jamais les épreuves que la vie me réserve. Elle me fait peur, elle me terrorise, elle me terrifie. Je pense que l'angoisse de la vie me conduit vers le précipice infini.

J'ai envisagé toutes les possibilités. Il suffit de traîner un peu sur internet pour trouver toutes les informations désirées sur les manières de se suicider. J'ai de suite mis à l'écart certaines façons de mettre un terme à sa vie. La pendaison par exemple, me glace le sang dès que je m'imagine avec cette corde autour du cou. Les médicaments ne sont pas assez précis et j'étais trop inquiète à l'idée de ne pas accomplir mon dessein et finir dans un lit d'hôpital, avec pour compagnie la pitié de mes proches. J'ai le vertige alors sauter d'un immeuble me parait assez imprudent, je n'aurais certainement pas eu le courage de sauter. L'option tentante était le revolver, un seul coup, aucune douleur. Être vivant durant une seconde, et mort la suivante, était pour moi un avantage considérable. Cependant j'ai rencontré un souci majeur : trouver un revolver est loin d'être un chose aisée. J'ai épluché les sites internet, mais je n'ai rien trouvé de fiable et j'ai dû abandonner cette idée. C'est après avoir laissé tomber l'arme, que je me suis tournée vers la lame. C'était un moyen efficace, assez douloureux mais j'avais une préférence pour cette façon de quitter la scène. Il suffisait ensuite de calculer les horaires des parents avec celui de ma sœur, afin de me laisser assez de temps pour ne pas être trouvée et sauvée avant que je ne sois partie rejoindre l'autre rive.

La Mort s'était immiscée dans mon esprit et ne me laissait plus de répit. Elle m'apaisait la plupart du temps. La solitude me tenait la main chaque jour, où que j'aille, elle m'accompagnait et prenait trop de place. Je n'avais plus d'amis, les seuls moments où la solitude partait, c'était lorsque je soupais avec ma famille. Mais dès que je retournais dans ma chambre, lorsque j'allais en cours, en bibliothèque, au cinéma, j'étais seule. Je me noyais et la solitude maintenait ma tête sous l'eau. Et un jour est arrivé où j'ai pris ma décision, après une réflexion intense, j'ai finalement décidé de choisir le jour où je perdrais la vie. Je serais le maître de mon destin et la Mort ne me surprendrait pas.

J'ai songé à une date, et le jour de mon anniversaire est apparu comme une évidence. J'avais mon estomac serré en pensant à cet anniversaire que je passerais seule, je ne voulais pas souffrir un jour de plus. Il fallait que ce soit ce jour-là ! Quelques semaines avant mes vingt ans, j'ai étudié l'horaire de ma famille. Mes parents travaillaient, maman est institutrice primaire, et papa est vétérinaire. Ma maman ne serait pas rentrée avant 17h car elle devait rester pour garder certains enfants. Quant à papa, il finissait toujours tard à la clinique, il n'était jamais moins de 19h. Camille avait cours dès le matin et restait à la bibliothèque pour travailler. J'avais la maison pour moi seule presque l'entièreté de la journée.

C'était un vendredi, je me suis levée et maman est entrée dans la chambre en me prenant dans ses bras. Elle m'a souhaité un joyeux anniversaire et m'a contemplée pendant quelques secondes. Ses yeux sont devenus humides tout-à-coup, et une larme à glissé le long de sa joue. Elle m'a dit que le temps passait trop vite, qu'hier encore j'étais une petite fille. Si seulement c'était vrai, la Mort ne se serait jamais immiscée dans mes pensées tu sais. Ensuite ce fut le tour de papa de me souhaiter un joyeux anniversaire. Mais il est bien plus sobre, aucune effusion sentimentale de son côté. Puis Camille a couru vers moi et m'a enlacée fort, me répétant que je serais toujours là plus jeune de toute façon. Tu n'as pas idée Camille.

Mes parents sont partis travailler. et quelques heures plus tard Camille s'est rendue à son cours. Je suis allée dans ma chambre et j'ai déposé ma robe préférée sur mon lit. Ils comprendront que c'est ce vêtement que je veux porter. Ensuite j'ai ouvert mon ordinateur, j'ai réfléchi à deux chansons que je voulais pour mon enterrement, je suis certaine que Camille les verra. Pour terminer, j'ai écrit une lettre simple, disant que je les aimais, qu'ils ne devaient pas se sentir responsables. Le moment était venu de passer à l'acte.

Cela s'est produit dans ma baignoire.

J'aime particulièrement l'eau. Cela me rassure de mettre un terme à ma vie dans un environnement qui me plaît. Je me suis fait couler un bain. L'eau chaude émane une bruine légère qui flotte autour de moi. Je m'émerveille de la sérénité dégagée par les volutes de vapeur. En l'espace de quelques secondes, tout s'est interrompu : le temps, l'angoisse, la peur. J'ai plongé mes pieds, un à un, dans cette eau brûlante. Avec délicatesse, j'ai laissé l'eau submerger mon corps. Ma peau s'est détendue, tandis mon esprit s'évade. Je me suis sentie apaisée. La lame de mon rasoir, posée sur le bord de la baignoire, me nargue. Je l'ai contemplée un long moment, avant de succomber à son charme amoral.
L'heure était venue de faire mes adieux. J'ai serré la lame avec force au creux de ma main fragile. Quelques gouttes de sang ont ruisselé sur ma paume avant de glisser dans l'eau. Je ne parviens plus à tenir l'objet coupant, ma main tremble beaucoup trop, et mon corps tout entier tressaillit. Quelques larmes vinrent alors inonder mes joues rondes. J'ai senti ce besoin, cette adrénaline, affluer à travers mon corps. D'un geste maîtrisé, j'ai placé la lame sur les veines de mon poignet gauche. Quelques secondes se sont écoulées sans que je ne trouve le courage nécessaire pour accomplir mon destin.
Soudain, j'ai ressenti une pulsion. Cet instinct s'oppose à celui de notre survie et il s'est blotti à mes côtés. Il m'a pris la main, puis m'a épaulé afin que j'incise ma veine. À cet instant, quelque chose de chaud glissa le long de mon bras. Il ne s'agissait pas de l'eau chaude qui remplissait ma baignoire. Cette dernière s'est teintée de rouge ; le liquide dans lequel je flotte se métamorphose en rivière d'hémoglobine.
Peu à peu, la transparence laisse place au rougeâtre. Bientôt, le bain déborde de flots vermeils. Il n'a fallu que quelques instants...
Les secondes s'écoulent au même rythme que mon sang, et je me sens défaillir. J'attrape des vertiges, des nausées... Cela m'affaiblit. La douleur s'intensifie. J'envie l'après, l'autre-côté, le paradis, je rêve de paix.
Après quelques minutes, je rejoins enfin... la Mort.

J'ai senti quelque chose m'envelopper dans ses bras, j'ai ouvert les yeux et j'ai vu une ombre immense me porter dans un endroit sombre. Je n'avais pas la force de maintenir les yeux ouverts plus longtemps.

Mon âme a ensuite quitté mon corps à jamais. Je me suis sentie en paix, libérée d'un poids et d'un fardeau qui me pesait.

Fragile : Un coeur à bout de souffle Où les histoires vivent. Découvrez maintenant