Adieu

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Petite sœur, lorsque nous avons fermé le cercueil hier dans la soirée, je n'ai pu contenir mes émotions. J'ai laissé exprimer tout ce que j'avais mis sous clé depuis ton décès. Je ne pense pas avoir déjà ressenti cela, ce mélange de douleur, de peine, et l'envie de tout abandonner. Louise, mes mains tremblent et mes larmes viennent ruisseler sur mes joues déjà maigries. Je n'avais pas encore réalisé que tu étais partie. Tu as décidé seule de ton destin sans même nous dire au revoir. Louise, aujourd'hui sera probablement l'une des journées les plus éprouvantes que je vais endurer, et tu ne seras pas à mes cotés pour m'épauler. Ma petite sœur, que je pensais protéger, tu sais, si nous avions été ensemble dans un si grand chagrin, je t'aurais tenu la main. Tu aurais pu pleurer, j'aurais enfoui ma peine pour que tu laisses éclater la tienne.

Nous étions ensemble, aujourd'hui je suis seule à contempler ce cercueil terne, sombre. Hier, lorsque la famille et les amis nous présentaient leur condoléances, j'ai pris conscience de ce que je devrais subir pour l'éternité. Louise, ton absence me poursuivra jusqu'à mon dernier souffle. Je perçois un vide immense s'étendre encore au fond de mon cœur, il prend de l'ampleur et m'étrangle. L'absence m'étouffe, elle resserre son étreinte et m'enveloppe d'un voile glacé. Aussi douloureux qu'invisible, elle t'a immédiatement remplacée petite sœur. Je ne comprends pas vraiment ce que nous devons faire aujourd'hui. Le soleil se pose sur ma peau, nous sommes sortis et je n'y avais pas fait attention, tu occupes chacune de mes pensées, et les souvenirs brisent une à une chaque parcelle infime de mon cœur.

Nous sommes partis du funérarium, les porteurs t'ont soulevée sans effort, tu es si légère. Nous suivons, papa, maman et moi, le corbillard qui roule aussi lentement que possible. Cette marche aux côtés de nos parents dévastés, me parait durer une éternité. Louise, as-tu pensé à nous ? Petite sœur, as-tu seulement imaginé ce que nous allions vivre, lorsque tu es entrée dans cette baignoire accompagnée de ton amie la Mort ?


Doucement, nous arrivons dans cette église, la même que celle de notre communion... Tu t'en souviens Louise ? Je faisais ma grande communion, toi ta petite, tu étais si fière et nous étions heureuses. Quelque chose perle mes joues à nouveau, encore ces larmes qui n'en finissent plus. Je ne sais plus m'arrêter de pleurer depuis que tu m'as brisée. Louise, cette église me fait mal, les souvenirs m'écrasent, la voix monotone du prêtre qui parle de toi comme si tu étais une fille ordinaire m'empêche de reprendre le contrôle. Tu étais tellement plus qu'une jeune fille comme les autres. Ma poitrine m'oppresse, mes organes se tordent sans s'arrêter. Tout le monde se lève autour de moi, mais mes jambes refusent de suivre les autres et décident seules que je resterai assise sur cette chaise, sans ma sœur à mes côtés. Le temps s'écoule mais je ne fais que penser à toi, je nous en veux à toutes les deux tu sais. J'aurais pu t'aider, pourquoi as-tu fait cela ? Tu avais tant d'années à vivre encore, désormais tu es enfermée dans cette boite, si seule. Mes sens s'éveillent et j'entends de la musique dans l'église. Toi qui aimais tant la musique Louise, je suis heureuse que tu puisses encore en écouter une fois avant de définitivement nous quitter. En fait, je ne sais même pas ce que nos parents ont choisi pour te rendre hommage aujourd'hui.



Quelques notes suffisent pour que je reconnaisse la chanson des Beatles : Hey Jude. Tu l'aimais tant petite sœur, les larmes coulent et dans mes yeux les souvenirs défilent par centaine, comme si nous avions eu mille vies ensemble. Ces phrases petite soeur : "And anytime you feel the pain, hey Jude, Don't carry the world upon your shoulders" je te les ai pourtant répétées assez. Ne porte pas le monde sur tes épaules Louise. Mais ce monde était trop lourd pour toi, il t'as écrasée sous son poids. Je pense à nous, lorsque tu avais quinze ans et que nous chantions ensemble ce tube des Beatles, imitant les plus grandes stars, comme si nous en étions. Cette douleur est insupportable, je ne veux plus me souvenir. Maman me prend la main, elle est si froide, je relève la tête et plonge mes yeux dans les siens. Son regard est si terne, si tu la voyais, tu comprendrais la douleur que tu as laissée derrière toi. Nous restons main dans la main, maman me dit que la chanson suivante était faite pour toi. J'écoute les premières notes, je la reconnais de suite. Michael Jackson : You are not alone. Louise, pourquoi ? J'écoute ces paroles, mes jambes, mes mains, mon corps entier n'est plus qu'un tremblement. Je frissonne, le mascara qui ornait mes cils ce matin, a désormais coulé le long de mes joues et reflète les heures sombres que je vis. Lorsque j'étais ta grande sœur, je tentais de rester forte pour toi Louise, aujourd'hui je n'ai plus personne à qui montrer l'exemple, plus personne à protéger. La solitude m'envahit, désormais il n'y aura plus que moi et ton absence. Je suis toujours ta grande sœur, mais aujourd'hui je suis la sœur du vide, du rien, de l'absence, du silence.


Les phrases de la chanson défilent dans ma tête, elles résonnent encore et encore :

"Another day has gone

I'm still all alone

How could this be

You're not here with me

You never said goodbye

Someone tell me why

Did you have to go

And leave my world so cold"


Ces mots font vibrer ma poitrine et trembler mes mains. Ils résonnent, brisent mon cœur encore et encore, injectent un venin en moi et me paralysent. Excepté mes larmes, qui ruissellent toujours le long de mon visage.


Nous sortons de l'église, je donne la main à maman. J'oublie de m'arrêter, maman me retient et me murmure quelque chose à l'oreille, je ne comprends pas, mais j'attends à ses côtés. Les personnes qui étaient venues pour toi, pour nous, viennent nous présenter leur condoléances. Il y en a tant, je n'en vois pas la fin. Je vois passer tous ces visages, et je me demande Louise, pourquoi es-tu partie ? Regarde tout ce monde présent pour toi ! Regarde-les, tous ici, pour toi petite sœur. Ma bouche effectue un étrange mouvement, je souris, en pensant à ta réaction si tu avais vu tout ce monde ici pour toi. Tu aurais été terrifiée j'en suis certaine, tant d'êtres humains en un endroit, pour toi ! J'aurais aimé que tu vois cela..Les condoléances terminées, nous montons dans la voiture, papa au volant. Tu effectues désormais ton dernier trajet. Ce sont nos dernières minutes ensemble. Il n'y aura plus de rires, plus de disputes, plus de tristesse, plus de réconfort, plus de choix de film le soir juste ensemble. Nous ne connaîtrons pas le futur de nos vies, nous n'aurons pas de neveux ou de nièces, nous n'irons pas en voyage ensemble, nous ne fêterons plus Noël en famille, nous ne fêterons plus nos anniversaires. Nous ne sortirons plus ensemble, nous ne nous mettrons plus de vernis, nous ne ferons plus de shopping ensemble, nous ne dînerons plus en tête à tête quand les parents sont absents, nous ne ferons plus jamais rien ensemble Louise, parce que tu m'as abandonnée dans cette vie, me laissant à jamais seule.

J'aperçois le cimetière, papa se gare près de l'entrée. Nous sortons de la voiture, certaines personnes nous accompagnent ici aussi, mais je ne les vois pas. Nous sommes devant ce trou, dans lequel tu devras rester à jamais. Mes os se brisent, mon estomac se tord, mon cœur s'emballe, tandis que mon cerveau tente de coordonner le tout afin de ne pas totalement craquer. Je passe désormais mes dernières secondes auprès de toi, à tout jamais. Je pose une fleur de jasmin sur le bois qui te sert désormais de maison. Cette fleur est d'un blanc si pur, il te représente bien Louise. Je pose une ultime fois ma main sur ton cercueil, il n'y a plus de retour en arrière.

Cette fois, je rentrerai seule, sans toi, dans cette maison emplie de ton souvenir petite sœur. Je me retourne et j'aperçois encore l'ombre de ton cercueil qu'ils descendent au fond de ce trou. Pour l'éternité...

Ma sœur, n'oublie pas à quel point je t'ai aimé.

Fragile : Un coeur à bout de souffle Où les histoires vivent. Découvrez maintenant