Le couloir de la Mort

223 35 30
                                    

Je tiens désormais la main de la Mort, avançant dans ce qui semble être une vaste étendue sombre. Je pose les yeux sur ce qui était autrefois mon corps, mais je ne vois rien. Tout a disparu. Je sens pourtant le contact entre mon corps et le Sien. Mais qu'en est-il si je ne suis rien ? Est-ce seulement mon esprit qui s'égare dans les méandres imaginaires ? Est-ce réel ?


Avançant toujours en suivant celle que l'on surnomme "la Faucheuse", j'observe l'environnement dans lequel nous évoluons. Si tout était sombre et brumeux au départ, désormais nous errons dans une terre presque boueuse. Au fil de nos pas, l'aspect marécageux s'amplifie. Je sens mes pieds s'enfoncer dans le sol vaseux. Pourtant je n'aperçois plus aucun membre de mon corps. Mais mes sens ne m'ont pas quitté. La Mort s'arrête alors, au pied d'une bulle immense. Elle tend la main vers cet endroit, je m'efforce alors d'avancer. Je ne la contrarie pas. En la frôlant, un vent glacial a traversé l'entièreté de mon être. Je me suis interrompue quelques secondes malgré moi. Elle s'est éloignée, et je suis entrée dans ce flocon vaseux. Désormais, je ressens presque chaque parcelle de mon être couvert de ce liquide visqueux.


Je me pose alors, attendant un signe qui m'indique ce que je suis censée faire. Quelques minutes s'écoulent. Elles me semblent durer des heures. Je suis seule dans ce lieu répugnant. Je sens les battements de mon coeur s'intensifier. J'essaie de me convaincre que tout est dans mon esprit. Cela ne peut être réel, puisque je suis morte. Mon corps demeure dans cette baignoire. M'ont ils déjà retrouvée ? Suis-je toujours dans cette eau pourpre ?


Soudain, un écho résonne dans ma bulle. J'entends une voix éclater tout autour de moi. Comme un sanglot se brisant contre les parois, j'écoute plus attentivement. Ce ton m'est familier, je tente de l'identifier. Après quelques secondes, je comprends qu'il s'agit de la voix de ma soeur. Camille, que viens-tu faire ici ? Pourquoi tes cris résonnent jusqu'à moi ? Je voulais être en paix, ayez pitié, et laissez moi reposer en paix.

Je ferme alors les yeux, mon esprit se fixe sur la voix de ma sœur. Je perçois un vent glacial, pourtant je n'ai plus de corps. Est-ce le souvenir de la sensation de froid sur mes bras qui me fait ressentir ces frissons ? Mes yeux sont toujours clos, et pourtant j'aperçois ces images disloquées de ma famille, et surtout de Camille. La mort souffle encore dans cette bulle de boue. Je frissonne, je regarde alors par réflexe mon bras, afin d'apercevoir mes poils se dresser, mais il n'en est rien. Je ne suis plus rien qu'un esprit errant. Je sens ce corps qui m'était familier, mais il n'existe plus, je vais devoir m'habiter.

- "Pourquoi est-ce que tu me montres des images de vie alors que je viens de la quitter ?" Criai-je de toute mes forces à la mort.

Un silence pesant fut ma seule réponse. Je n'en attendais pas moins d'elle, pourtant, j'étais morte et je souffrais d'apercevoir cela. Je voulais savoir pourquoi elle me faisait ça ! Elle devait pourtant être heureuse d'accueillir une personne de plus parmi ses rangs. Je criais encore et encore afin qu'elle me réponde ! Peut-être qu'elle se lasserait de m'entendre après lui avoir demandé plusieurs fois et qu'elle me murmurerait quelque chose ?

Lourd silence à nouveau.

Mes sentiments sont partagés, je ferme les yeux depuis tout-à-l'heure afin de ne pas voir tout ce que j'ai quitté. Je suis partie, j'ai tiré un trait sur ma vie, inutile de me montrer ce que j'ai perdu. J'avais bien réfléchi avant de passer à l'acte. Ce n'était pas un coup de tête. Alors pourquoi ?


Après quelques minutes, j'ouvre les yeux. Je vois en premier lieu ma maman. Cette jolie femme de 47 ans aux yeux bleus telle la Méditerranée n'était désormais qu'une petite vieille dame ne tenant plus debout. Effondrée, affligée par la perte de sa fille, ses yeux devenaient presque invisibles tant ils étaient gonflés par les pleurs. Ses cheveux toujours si beaux, châtain foncé arrivant jusqu'au milieu de son dos, étaient aujourd'hui mal attachés, gras et ébouriffés. Elle n'était plus ma maman si joyeuse et pleine de vie. Je ne la reconnaissais pas et je n'avais jamais connu ma mère dans un tel chagrin. Elle lisait ma lettre sans cesse. Elle demandait "pourquoi?". Son "pourquoi" résonnait dans ma tête de la même manière qu'un baffle dans un concert. Les échos étaient perturbants, elle hurlait ce "Pourquoi ?" et cela dévalait dans mon esprit comme une tornade.


Pourquoi est-ce que ce sentiment me parcourt ? Cette tristesse intense, ces images défilent et moi, je suis toujours vivante à l'intérieur. Est-ce ça la Mort ? Se sentir plus vivant que jamais ? Percevoir la douleur des autres, tout en étant prisonnière de cet endroit immonde ?


Ces pensées s'estompent doucement et les images recommencent. J'ai cette impression que quelqu'un me passe le dernier blockbuster en avant-première, si ce n'est que les personnages n'en sont pas.



C'est au tour de mon père de passer à l'écran. Il est un peu plus grand que ma mère, un peu plus vieux aussi. Il ne lui reste que très peu de cheveux ce qui fait de lui un petit papy avant l'heure. Il était presque plus attachant que ma maman. Il à l'air à la fois perdu et horrifié. Il ne sait pas quoi faire, il ne pleure pas, comme si tout n'était qu'un cauchemar. Il ne comprend pas que sa fille est partie à tout jamais. Il dit à ma soeur que ça passera. Comme si c'était une grippe que j'avais attrapée et que dans une semaine tout serait de nouveau comme avant.


Au tour de ma soeur de passer en image devant mon âme. Camille, c'était ma grande soeur. Elle avait 25 ans, on était inséparable. Je lui confiais tout. Sauf depuis que je suis entrée à l'université. Je ne lui livrais presque plus rien même si on se parlait toujours autant. On se voyait les week-ends et on sortait souvent ensemble le samedi. Elle était si belle, d'un merveilleux blond cendré et certains lui disaient qu'elle avait quelques traits semblables à Cara Delevingne, cette jeune actrice très jolie. Elle était brillante, beaucoup plus brillante que moi à l'université. Là où elle réussissait pratiquement sans étudier, je ratais en donnant tout ce que j'avais. Je n'était absolument pas jalouse, j'étais fière d'elle, mais j'aurais tant voulu être aussi douée qu'elle. La voir aujourd'hui me détruisait de l'intérieur. Elle est abattue, comme un arbre un jour de tempête. Je la vois pleurant sur mon lit. Seule. Elle est si seule. En l'observant je ne vois qu'un chaton abandonné.

Elle cherche dans ma chambre quelque chose mais je ne sais pas quoi. Que cherche t'elle comme ça ? Je vois qu'elle ouvre les tiroirs de mon bureau, elle retire tout ce qui se trouve à l'intérieur de ceux-ci et je vois qu'elle s'assied. Que fait-elle ? Elle tient quelque chose en main. Elle pleure de plus belle. Qu'a t'elle trouvé qui lui fait tant de peine ? Elle est assise en tailleur sur la moquette grise de ma chambre. Je veux voir ce que c'est mais impossible je suis trop loin ! Enfin, je m'approche d'elle. J'entrevois quelque peu une forme, on dirait un bouquin. J'avance encore plus près, je commence enfin à mieux distinguer l'objet !


Je sais ce qu'elle a trouvé ! J'aurais dû le bruler. Elle vient de découvrir mon journal.

Ce n'est pas un journal intime comme une ado, mais j'y explique certaines choses de mon quotidien.

Je n'ai rien explicité clairement, rien de ce qui m'a poussé au suicide n'est inscrit dans ce cahier. Mais ma soeur va fouiller, et certains indices peuvent la mener vers la piste de mon suicide.

Plus rien ne l'arrêtera, elle fera tout pour comprendre ce qui m'a poussé à m'ouvrir les veines.

Fragile : Un coeur à bout de souffle Où les histoires vivent. Découvrez maintenant