Mon cher,Il y a des moments qui restent gravés, des moments que même plusieurs années après on peut revivre rien qu'en fermant les yeux, se rappelant du moindre détail, du moindre geste, et du moindre sourire faux.
Je me rappelle de sa voiture grise, qui m'a emmené chez lui, dans sa maison.
Je me rappelle de la porte, en verre avec ses barres de fer qui la barraient, celle qu il a fallu ouvrir.
Je me rappelle que je suis entrée, pour la première fois, dans cette demeure qui allait devenir ma seconde maison.
Je me souviens de tout ça, de toutes les images, de toutes les odeurs, mais pas de ce que je ressentais.
c'était le vide en moi, encore et toujours. Encore une fois, je me contentais d'exister.
Je me suis avancée jusque devant ce grand miroir, qui allait voir défiler pendant longtemps ma vie et me voir grandir.
A ce moment j'ai entendu du bruit derrière moi, alors je me suis retournée, et je l'ai vu. Elle. L'autre.
Elle utilisait un déambulateur, marchait tordue, et son visage semblait crispée en un sourire. Un sourire faux. Comme si elle ne savait pas comment réagir, elle qui avait été institutrice, devant une enfant. Une enfant normale, mais qui représentait la destruction de sa vie et l'infidélité de son mari.
Je me souviens que la différence entre ses yeux m'avait frappée. Il n'y en avait qu'un d'expressif, et j'appris par la suite que l'autre était un faux. Elle était aveugle.
Elle avait une vie déjà ravagée par la maladie, celle qui soude les os dans la douleur, qui empêche de marcher et de bouger, qui vous terre dans un fauteuil, et qui laisse votre corps tordu et instable.
Alors à elle, à qui j'avais rajouté un autre poid à la vie. A elle, qui en me regardant penserait toujours à une infidélité douloureuse. A elle, qui était campée devant moi, légèrement tremblante sur ses jambes. A elle, je lui ai dit bonjour.
Ça a été ma première entrevue avec Francine. Ma première entrevu avec celle qui serait dans mes cauchemars comme dans mes rêves, celle qui en plus d'une douleur physique cachait maintenant un amour brisé, elle qui avait peu être à jamais cessé d'aimer celui qui avait partagé sa vie.
Et son regard à ce moment à été le premier qui a marqué ma vie, à jamais.
Je ne sais pas comment elle aurait réagi si tu n'avais pas été là. Je ne sais pas si elle m'aurait traitée de la même façon. Je ne sais pas si elle aurait aussi bien caché ce qu'elle éprouvait à mon égard.
Alors je te remercie. Je te remercie car, grâce à tes paroles, tu m'a laissé le temps de me faire connaître. Tu as sûrement étouffé certaines paroles haineuses, certains regards noirs.
Merci pour tout ce que tu as fait pour moi.
Bien à toi,
Jo.
*cette maladie est la polyarthrite
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Bien à toi, Jo.
RandomMon cher, Trop de choses gardées ne peuvent que nous enfoncer, car les secrets agglutinés pèsent de plus en plus lourd, jusqu'à nous enterrer. J'ai été obligée de grandir précipitamment pour supporter le poids de tous ces regards, de tous ces doigts...