[28/01 : Réécriture complète du prologue. Suite à certains retours, j'ai déduis que l'histoire démarrait trop brusquement. En voici donc la nouvelle version ;)]
Lorsqu'il ouvrit les yeux, le petit garçon ne vit qu'un ciel tourmenté par des nuages orageux. Sa boîte crânienne le faisait affreusement souffrir. Il tenta de se relever mais ses tissus musculaires semblaient remplacés par du coton. Au prix d'un immense effort, il parvint à se hisser sur ses jambes frêles. Une fois debout, l'enfant abasourdi observa les alentours. Où était-il ?
Face à lui, se tenait une plaque en marbre :
« Trouve la sortie avant que je ne te trouve. »
Les lettres rouge sang au tracé tremblant affolèrent son cœur qui se mit à battre plus vite. Quatre chemins encadraient la place en pierres sur laquelle il se trouvait. Toutes identiques, ces lignes de dalles grises se perdaient dans un brouillard lointain duquel un vent sinistre s'échappait. Son hésitation le clouait sur place. Quelle était la bonne solution ? Que se passerait-il une fois qu'il aurait choisi ? La peur de rester piégé ici à tout jamais l'emporta sur ses appréhensions. Alors, il prit son courage à deux mains et opta pour la voie de l'est.
Sa respiration saccadée se mêlait au martèlement de ses pas. La brume compacte se déroulait avec des langues de fumées blanches dont l'opacité l'empêchait de distinguer quoi que ce soit à plus de dix mètres. Fait d'un amoncellement d'épais grimoires, les murs du labyrinthe se divisaient en d'innombrables croisements, qui s'enfonçaient eux-mêmes dans l'inconnu. Les hautes piles de ces recueils formaient des parois noirâtres. Telles des murailles, elles s'élevaient et le toisaient de leur écrasante suprématie. Un sentiment d'appréhension lui nouait le ventre. Mais il devait continuer. Ne surtout pas s'arrêter. Car c'était ce que son instinct de survie lui dictait.
D'abord flous, ses souvenirs revenaient peu à peu. Enfin, l'implacable vérité s'imposa. Tout était de sa faute.
Quelques instants plus tôt, il arpentait encore les rues de son voisinage. Six heures sonnaient tout juste et la clarté orangée baignait les immeubles d'un halo chaleureux. Tâche sombre dans cet ensemble joyeux, un livre abandonné sur le trottoir accrocha son regard. Dès que son intérêt s'éveilla, une voix dont il ne connaissait l'origine vint lui susurrer des promesses. Elle disait que son vœu le plus cher serait exaucé. Pour cela, il lui suffisait d'ouvrir le recueil.
D'abord réticent, il effleura du doigt la couverture unie et froide comme la mort. Ce contact ne fit qu'attiser sa curiosité. Une vague d'espoir aveugle l'agita. Si c'était vrai, il pourrait ramener sa mère à la vie. La vague devint une tempête qui brouilla ses pensées crédules d'enfant. Le rêve de sa famille réunie était plus fort que la raison. Conquis, le garçon risqua un coup d'œil.
À sa plus grande joie, il la vit. Son sourire bienveillant, ses yeux rieurs, tout était comme autrefois, avant la maladie. Avec des cris de joie, il ouvrit en grand l'ouvrage pour laisser la silhouette lumineuse en émerger. Tous deux s'enlacèrent dans une embrassade euphorique. Puis l'étreinte se resserra en étau. Son pied glissa. Il tenta de résister mais son corps se défila. Vint alors la rupture. Hors de son enveloppe charnelle, il fut aspiré par la blancheur de ces pages maudites.
Ainsi le voilà enfermé dans ce monde étrange où seul le dédale se tordait jusqu'aux confins de l'horizon. Le froissement continu de la brise lugubre qui résonnait entre les corridors acheva de l'horrifier. Des frissons parcoururent son échine. Il était persuadé d'avoir vu un mouvement suspect.
D'abord faible bruissement, le son enfla en un fredonnement distinct. La mélodie dissonante le saisissait, détruisait les minces remparts de sa conscience. Retenant les sanglots qu'il sentait poindre, l'enfant fit volte-face et reprit sa course. C'était la chose qui vivait là. Elle se rapprochait.
Des réminiscences de son foyer chaleureux le hantaient. Il avait promis de rentrer avant la nuit. Sans lui, son père n'aurait plus personne. Cette pensée lui déchira le cœur et raviva sa détermination.
Une ombre jaillit et traversa un croisement, plusieurs mètres devant lui.
« Où es-tu ? » chantonna-t-elle.
Un cri de terreur échappa au captif, qui bifurqua sur la gauche. Derrière lui, les ouvrages se mouvaient d'eux-mêmes. L'écheveaux de grimoires changeait. La propagation d'un ricanement semblable au clapotement d'une eau boueuse parvint à ses oreilles.
« Es-tu allé à droite ou à gauche ? »
Des larmes dévalaient le long de ses joues. Un grognement étouffé gronda derrière lui. D'une brève œillade, il regarda derrière lui. Rien. Avec un soupir soulagé, il reporta son attention sur son chemin. Une masse difforme l'attendait. Juste en face. Avec un glapissement, il dérapa et partit en sens inverse dans un élan désespéré. Ses inquiétudes devenaient une certitude. Si la chose l'attrapait, il mourrait.
Un point de côté lui coupait le souffle. Il l'ignora. S'il interrompait sa course effrénée, ce serait la fin.
« Peut-être par ici ? »
Cette fois-ci, les gargouillements éraillés s'étaient rapprochés de lui. Le garçon décela une corniche dans le pan d'un mur. Là, il s'y terra. À l'aide de ses mains, il couvrit sa bouche et retint sa respiration.
Au bout de quelques instants, il entendit un bruit sourd qui martelait le sol de façon régulière. Submergé par l'effroi, il ferma les yeux. Le raclement des griffes sur la pierre écorcha ses tympans. Des relents putrides de charogne envahirent ses narines. Puis l'aura malfaisante s'éloigna. La première bouffée d'air vicié qu'il aspira lui arracha des larmes. Ses membres tremblaient, ses dents claquaient, la vie ne lui avait jamais paru aussi fragile. Il attendit encore un moment, afin d'être certain que le monstre était bien parti. De la même façon qu'un lapin traqué par un renard, il sentait que son prédateur s'amusait, repoussait le moment fatidique. La bête ne tarderait pas à revenir. Alors, il se glissa hors de sa cachette et décampa dans la direction opposée.
Cédant à la panique, il avançait au hasard. Une serre aiguisée transperça la façade de manuscrits et le manqua de peu.
« Je sens que je me rapproche... »
L'enfant hurla et fit machine arrière avant que le bras démoniaque ne le fauche.
Des rayons aveuglants jaillirent d'un interstice. Des larmes, de soulagement cette fois-ci, mouillèrent ses yeux éblouis. La sortie était droit devant. Un souffle d'espoir, mêlé à l'adrénaline le transportait. Le garçon allait survivre. Il pourrait rejoindre l'unique parent qui lui restait et, jamais plus, il ne l'abandonnerait.
Un craquement funeste retentit. La lumière disparut.
Le dédale s'était encore modifié. Désormais, les ténèbres d'un mur de grimoires barraient sa route. Dans son dos, le crissement aigu de lames affutées sur l'acier lui glaça le sang. Avec lenteur, il se tourna.
Le monstre était là. Comme une sentence, le râle guttural se répercuta jusqu'à l'enfant pétrifié.
« Trouvé ! »

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Lilium
FantasyEntre surnaturel et rationnel se trouve l'infime frontière de l'incertitude. De ses hautes tours d'acier jusqu'à son plus profond souterrain, Seoul renferme un univers étrange, fait de rêves et de réalités. À la fois enchanteur et cruel, il y règne...