8. Relation

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Anna espérait interrompre cette discussion : le nom de Drew Page ne lui était pas inconnu. Mais elle souhaitait ne plus jamais l'entendre. Elle avait donc lancé sa « petite bombe », qui n'était à la base qu'une supposition ; la réaction de Rita Park ne put que confirmer cette hypothèse. La jeune secrétaire ramassa sa fourchette que lui avait échappée quand Anna avait ouvert sa bouche. 

- Je ne comprends où vous voulez en venir, assura-t-elle d'un ton serein.

- Ne vous efforcez pas à mentir, vous savez parfaitement que j'ai raison.

- Je ne... enfin, quand même... mon patron...

- Ce ne serai pas la première fois, ajouta Hopper. Avouez-le.

- Je baisse les bras.

La jeune femme tenta de se lever de table, mais le sergent fut plus rapide et la força à se rasseoir. Il la bloqua sur sa chaise en appuyant fortement sur ses deux épaules, mais Anna, de peur qu'il ne la casse en deux, l'avertit du regard. Elle plongea ses yeux dans le regard bleu de Rita. Toute timidité avait quitté ses yeux, la colère, la peine et la honte y avaient pris toute la place.

- Avouez-le, répéta Hopper, d'un ton légèrement plus menaçant.

- Il y a bien eu quelques écarts entre nous deux, confessa tristement Rita.

- Et étiez-vous... euh... payée ?, se risqua à demander Anna.

- Comment osez-vous ?, s'insurgea-t-elle en secouant ses cheveux d'ébène.

- Ce n'était qu'une simple question, je ne faisais aucune estimation.

- Venant de vous, c'est assez culotté de poser ce genre de question, dit Rita, cinglante. A mon tour d'en poser : vous êtes plus cannabis ou cocaïne ?

La jeune inspectrice baissa les yeux dans son assiette ; elle serra les poings, puis releva la tête et défia Rita du regard.

- Et comment connaissiez-vous Drew Page ?, continua-t-elle comme si rien ne s'était passé.

- Je ne le connaissais pas.

- Vous vous perdez dans vos mensonges, ma chère, dit Hopper.

- Bon, lâchez-moi, et je dirai ce qu'il faut !

Le sergent Myers se rassit, mais garda instinctivement une main sur son arme, prête à défendre Anna si un problème surgissait.

- Je suis sortie avec Drew durant quelques semaines, il y a cinq mois, mais pour lui, ce n'était pas sérieux, dit la jeune femme d'un ton amer. C'est un charlatan, un hâbleur, un idiot de première... C'est un monstre.

- Vos propos me paraissent assez déplacés, commenta Hopper, morose. Ce n'est qu'une rupture.

- Ah ! Mais j'oubliais que vous êtes amis !, répliqua-t-elle, les larmes aux yeux. Sur ce, bonne journée !

Elle sortit telle une furie après avoir réglé la note et Hopper la regardait, bouche-bé. Anna, de son côté, continuait à manger lentement, les yeux perdus dans le brouillard. Le sergent sortit de sa transe et dit à la jeune inspectrice :

- Pourquoi elle s'est fâchée comme ça, celle-là ?

- Myers, je suis vraiment désolé, mais tu manques de tact ; de plus, ton sens de l'observation laisse vraiment à désirer.

Elle posa ses couverts et récapitula ses pensées :

- Tu vois, Myers, la vie n'est pas incroyablement belle, et les ruptures sont souvent douloureuses. Cette femme a dû en vivre une avec Page ; de plus, quand une femme dit qu'un homme est un monstre, peut-être que c'est vrai. En s'appuyant sur ce que Park a dit, comme quoi ils étaient sortis ensemble il y a cinq mois, il y aurait une explication sur ces marques qu'elle a aux bras. Oui, j'avais bien vu que tu n'avais rien remarqué, dit-elle devant le regard incrédule du sergent. Elle avait beaucoup de coupures sur les poignets, sûrement de la scarification, car aucune de ces marques ne semble être assez profonde pour mourir. Park cherchait à rabattre les manches de sa veste sur ses poignets, mais elles étaient trop courtes. Si on fait le lien entre tous ces détails, on arrive à une conclusion, qui n'est certes qu'une hypothèse, mais nous avons une base d'enquête.

- Ah, ça doit être pour ça que je l'ai vexé. En tout cas, tu es vraiment douée ! Je n'aurai jamais vu des choses comme ça.

- Ce n'est rien, répondit Anna en rougissant. Ça fait partit du job. Et si on y allait ?

Les deux jeunes gens partirent et marchèrent dans les rues de Londres. Quand ils arrivèrent enfin au poste, Hopper se retourna vers sa collègue et lui demanda :

- Tu connaissais Drew ? Et si on allait voir ce qu'il devient ? Je ne l'ai pas vu depuis au moins sept ans !

- Oui, je le connaissais de nom et de réputation.

- Réputation ?, s'étonna Hopper en attrapant la tasse de café que lui avait préparé une secrétaire. C'est-à-dire ?

- On disait de lui qu'il était un « coureur de jupons » et qu'il... qu'il avait, une fois...

- Qu'il quoi ?, la pressa-t-il, en voyant son ton hésitant.

Anna s'assit sur une chaise et entreprit de trier les dossiers contenant les pistes. Sa migraine empirait, elle se sentait à deux doigts de tourner de l'œil ; le regard d'Hopper étant trop insistant, elle se décida enfin à relever la tête :

- Il aurait violé une fille.

Elle attendait une réaction choquée, surprise, voir dévastée, de la part d'Hopper ; au lieu de cela, celui-ci éclata d'un rire tonitruant qui la fit sursauter. Abasourdie, elle répliqua vivement :

- Et tu trouves ça drôle ?!

- Mais c'est très drôle !, s'exclama-t-il entre deux éclats de rire. Enfin, Smith, c'est totalement faux ! Drew était un bon mec, un peu don juan sur les bords, mais il était cool. Et puis, qui est cette fille qui t'a dit ça ?

- C'était la norvégienne de mon cours de dessin, dit Anna en se mordant légèrement la lèvre inférieure.

- Elle voulait faire parler d'elle, c'est tout. Tu es un peu naïve, Smith.

- Oui, ça doit être ça, marmonna-t-elle, piquée au vif. Je me sens mal, je vais rentrer chez moi.

Elle partit sans demander son reste ; elle entendit Hopper l'appeler, mais dans sa fureur, elle décida de l'ignorer. Sa tête la faisait atrocement souffrir, elle chancelait sur le trottoir de Regent Street. Les passants devaient sûrement penser qu'elle était ivre. Des larmes de douleur brouillèrent sa vision. Elle s'engagea dans l'étroite et sombre ruelle où se trouvait son bureau. Le sol tanguait de plus en plus sous ses chaussures ; elle s'adossa contre un mur délabré et se prit la tête entre les mains. Elle hallucinait, elle entendait des voix ; elle gémit de terreur, se plaquant les mains sur ses oreilles. Elle s'agrippa à une poubelle, mais ses jambes refusèrent de la porter plus longtemps. Anna s'écroula dans une flaque de pluie et resta là, toute tremblante. Elle tenta de bouger, de rester éveillée, mais sa souffrance prit le dessus.

Ses yeux se fermèrent subitement.


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