Bubble

15. Perfection

Le contraste était tellement frappant que certains invités se retournaient pour regarder les deux jeunes femmes ; certains murmuraient entre eux, et se demandaient pourquoi cette femme, trop grande et trop maigre, aux cheveux filasses parlait avec la déesse vivante qu'était Lula Raquin.

De son côté, Anna n'en menait pas large. Être face à son idole n'était pas un chose simple, surtout si c'était pour lui soutirer des informations. Elle se trouvait si ridicule ! Une enfant devant une incroyable femme.

Cette dernière fixait Anna, des émotions indescriptibles lui voilant les yeux.

- Oh, s'exclama-t-elle finalement. Vous êtes l'inspectrice, n'est-ce-pas ?

- Exactement. Je souhaiterai vous poser quelques questions, par rapport au...

Mrs. Raquin explosa dans un rire cristallin, dans lequel Anna perçut de l'impatience et une certaine moquerie.

- Ne vous embêtez pas avec ce genre de protocole, répliqua-t-elle. Profitez du gala et régalez-vous. D'ailleurs, continua-t-elle, je vous conseille les gougères aux truffes : elles sont fameuses !

Elle s'apprêtait à partir vers un vieil homme ventripotent aux cheveux poivre et sel, mais Anna lui empoigna vivement le bras. Du haut de son mètre cinquante-sept, Mrs. Raquin se redressa subitement et lui dit, d'une voix menaçante :

- Lâchez-moi, ou c'est le tribunal qui ne vous lâchera pas.

- Répondez à mes questions, ou je vous fais coffrer pour non-divulgation d'informations judiciaires.

Les deux femmes se fixaient dans le blanc de yeux, le bleu glacial dans le doux vert.

Afin de se montrer plus persuasive, Anna continua :

- Il y a un agent en civil dans cette salle, et des policiers sont partout autour du bâtiment. Vous êtes obligée, Mrs Raquin.

Ce mensonge parut achever la confiance de la splendide brune. Il n'y avait aucun homme armé dehors, à part les gorilles chargés de la protection rapprochée des Raquin.

La femme poussa un long soupir et afficha un rictus sarcastique.

- Bien, céda-t-elle. Que voulez-vous savoir ?

- Que faisiez-vous le jour où votre frère est mort ? demanda Anna.

Jubilante, mais prudente, elle préférait ne pas montrer son impatience. Elle voulait partir d'ici. Les grandes fêtes, les nombreux invités, ces derniers habillés à la dernière mode... Ce n'était pas son univers. Et elle n'aimait pas les mariages ; depuis les noces de sa tante Capucine, sa vie avait basculée dans le néant. Le chaos avait envahi ses dernières ressources d'espoir.

Mrs. Raquin attrapa un petit four sur le plateau d'une jeune fille en robe bleu ciel. Elle picora dedans comme un oiseau affamé.

A ce moment précis, Anna se rendit véritablement compte de la maigreur de la femme. Elle pouvait presque voir ses côtes à travers le fin tissu de sa robe. Avec ses cent dix-neuf pounds, Anna se trouvait elle-même très mince, mais la silhouette chétive de la diva était très inquiétante.

- Je suis suspectée, n'est-ce-pas ? demanda gravement Mrs. Raquin.

- En effet. Et pour m'aider à prouver le contraire, répondez à mes questions.

- Bien. Pour tout vous dire, je dinais avec mon agent de production, répondit-elle enfin avec un petit sourire.

Tout en notant les informations dans un coin de sa tête, Anna continua à la questionner :