Marqués

38.

Je n'étais déjà pas hyper à l'aise de savoir que quelqu'un était capable d'effacer la mémoire des autres de sang froid, seulement là, mon malaise monte d'un cran en observant le portrait en face de moi. Cheveux ternes bruns, yeux marrons, presque noirs, lèvres fines. Son regard enjoué et innocent me fait détourner les yeux, et je lis son nom : Alice Pan. Septique, en essayant de rester lucide, je redresse la tête.

- Tu es sûr que c'est elle ? Je veux dire, elle ne ressemble pas à quelqu'un qui veut du mal des gens.

Évidemment, je passe sur le fait que cette fille est connue pour faire enfreindre aux autres le règlement en les faisant planer avec sa capacité. Pourquoi j'omets de lui préciser ce détail ? Parce que Matt est mon ami, du moins quelque chose qui s'en rapproche, et qu'il lui parlait ce matin. Il faut que j'éclaircisse tout ça de mon côté et que j'en parle aux Al's.

Adrien regarde à son tour son ordinateur avant de poser ses yeux sur moi.

- Il y a de grandes chances que ce soit elle oui. Le professeur qui la suit me narre ses immenses progrès dès que je le croise - il lève les yeux au ciel et reprend son sérieux. Apparemment, elle saurait dérouter le plus doué des élèves de maths, au point qu'il ne sache même plus faire une addition, voire même compter.

Mes yeux s'agrandissent comme des soucoupes et un frisson me parcours. Dit comme ça ce n'est pas hyper effrayant, mais replacé dans le contexte qu'est le mien... Quoiqu'il en soit, je ne veux pas passer pour une poule mouillée devant Adrien - surtout qu'après il va penser que j'ai besoin de protection, donc je me reprends vite et fais comme si tout cela était tout à fait normal.

- Soit. Et maintenant que l'on sait qu'elle aide Enzo, qu'est ce qu'on va faire ? Tu ne penses quand même pas qu'elle est avec Victor aussi ?

Ses yeux noirs me cillent sur place.

- Et qu'est ce que ça veut dire pour toi exactement "être avec Victor" ? Même si l'on est souvent en désaccord, mon frère n'est pas un monstre Mae !

Je sursaute sous l'effet de la surprise. Il n'a pas le droit de hausser le ton et de vider son sac sur moi.

- Je sais qu'il est assez taré pour avoir commandité un meurtre ! je m'écrie. C'est toi même qui me l'a dit, je continue en baissant la voix.

Un sanglot de rage, d'exaspération, de fatigue me secoue et je détourne la tête. J'ai beau essayer de garder les yeux ouverts et de me calmer, les larmes brouillent ma vue. Toute cette situation me dépasse totalement.

La respiration saccadée d'Adrien me rappelle que je ne suis pas encore seule, que je ne peux pas encore m'effondrer et m'apitoyer sur mon sort. Cependant, elle me rappelle surtout que je n'ai pas à le faire. Étant fille unique, les relations entre frères et soeurs sont inconnues pour moi. Toutefois, je suis sûre que je serais anéantie si la personne avec laquelle j'avais vécue toute mon enfance était capable de m'ôter un être cher à mes yeux. Mon jumeau qui plus est.

- Je suis désolée Adrien. Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Je pense juste qu'il faut agir en conséquence. Je sais que je ne connais rien sur vos relations, que j'ignore l'origine de vos problèmes, mais ça ne peut pas être si anodin que ça au point d'ôter la vie de quelqu'un.

Les yeux noirs de mon tuteur, entourés de ses cils épais, me scrutent sans vraiment me voir. Il semble perdu dans ses pensées. Son expression passe de désemparée à illuminée. Il redresse ses lunettes et j'assiste à sa reconstruction en direct. Le voir de nouveau maître de ses émotions me fait un bien fou, et malgré le contexte, je souris avec lui.

- Tu as raison Mae. Nous allons agir en conséquence ! déclare t-il de plus en plus sûr de lui.

Je donnerais tout pour qu'il soit toujours dans cet état. Je joue des sourcils.