11. La Ferme Des François

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J'ouvre doucement les yeux et bats des paupières afin de recouvrir une vision claire. J'essaie de me redresser mais un léger poids sur mon épaule droite m'en empêche. C'est Alice qui a sûrement dû me confondre avec son oreiller et qui ne s'est pas gênée pour prendre appui sur moi. Au moins je ne suis pas la seule à avoir, fatiguée par un réveil prématuré, fermé les yeux le temps du trajet en voiture jusqu'à la ferme des François. 

J'aperçois du coin de l'œil Noah qui se retient de rire devant la situation - plutôt comique je dois l'avouer - dans laquelle je me retrouve. J'ai moi-même demandé à Sire de ne pas se déplacer dans un trop gros véhicule pour aller à la ferme, ça aurait été un peu ridicule. Mais j' avoue le regretter amèrement en ce moment. S'il avait été plus gros, Alice n'aurait pas eu à s'endormir sur mon épaule et je n'aurait pas été coincée entre la vitre et sa tête. Je décide enfin de réveiller la belle et redécouvre les joies de se tenir droite. 

Nous arrivons à la ferme et le couple se précipite à l'extérieur de la petite bâtisse, l'air excité et émerveillé. Il semble que leur maison - si on peut appeler ça une maison - a été rénovée malgré les faibles dédommagements qu'offrent les assurances. Je dois cependant avouer que cette habitation est des plus modestes et qu'elle pourrait s'envoler au moindre coup de vent. 

Ils s'arrêtent devant nous et se confondent en mille remerciements et en de drôles de révérences aux mouvements quelque peu aléatoires.  Ça me fait un petit pincement au cœur de les voir ainsi. Je me rappelle des jours durant lesquels je devait m'abaisser jusqu'à terre pour saluer la famille Quartz, à quel point je me sentais humiliée de devoir répéter ce geste chaque jour et le sourire satisfait de Mme Quartz qui pensait avoir réussi à dompter mon sale caractère. 

C'est donc tout naturellement que je m'approche de ces pauvres gens et que je les prends chacun leur tour dans mes bras, d'une étreinte chaleureuse et compatissante. Les autres me regardent d'un air étonné et les reporters du Jotidien se précipitent près de moi pour obtenir ces images inédites mais, à vrai dire, je n'en ai rien à faire. Je sais ce que l'on ressent lorsque l'on pense ne jamais pouvoir s'en sortir, lorsque l'on peine à garder la tête hors de l'eau et ce, malgré tous nos efforts. Alors oui, sur ce point là ces personnes sont mes semblables et non, je ne compte pas leur infliger l'air de supériorité qui caractérise si bien les Joyaux habituellement, parce que non, je ne me considère pas comme telle.

Le Saphir, qui sait faire preuve d'un peu d'humanité, ne tarde pas à suivre mon exemple, sous l'insistance de mon regard réprobateur. Noah, lui, eh bien je dirait qu'il ne se soucie pas réellement de savoir à qui il a affaire. Que ce soit une personne âgée, jeune, riche ou miséreuse, il s'adressera à elle comme à son plus proche ami, à sa plus vielle connaissance. C'est une belle qualité mais je ne sais même pas s'il se rends compte que sa façon d'interagir est différente de celle des autres. Peut-être est-ce mieux ainsi, après tout.

Quand à Ashley et Caleb, je ne prends pas la peine d'essayer, je sais pertinemment qu'ils ne seront pas en mesure de les traiter d'égal à égal. Surtout le Quartz qui croit dur comme fer que son sang est plus pur que celui de la "populace" et que sa lignée l'élève à un rang supérieur à celui du commun des mortels. Sa mère l'a décidément très bien éduquée, enfin selon ses valeurs personnelles, bien entendu. Je note cependant un petit effort de leur part lorsque je les vois leur serrer la main, le sourire au lèvres. Je me rappelle alors que Caleb est un hypocrite fini qui sait attendrir ses interlocuteurs. Autrement dit, il sais comment feindre la sympathie auprès des autres. Ce n'est donc pas étonnant que ses lèvres, habituellement crispées en un rictus moqueur, puissent arborer devant eux un sourire rayonnant.

Les remorques contenant les animaux offerts aux François entrent dans l'enceinte et nous nous regroupons tout autour. Je laisse échapper un petit rire lorsque j'aperçois Ashley non loin de moi, elle n'a pas tenu bien longtemps avant de s'essuyer la main sur sa salopette rose. Il faut croire qu'elle ne sait pas faire preuve d'autant d'hypocrisie que Caleb.

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