Le collier

46 9 0
                                    

En 1935, dans une petite maison anglaise au nord de Londres, quatre dames âgées discutaient tranquillement autour d'un thé de leur lointaine jeunesse, quand l'une d'entre elles s'adressa à l'hôte de maison :

« -Et vous, ma chère Eléonore, pourquoi ne dites-vous rien ? Racontez-nous ! »

Celle qui répondait à ce nom poussa un long et profond soupir, avant de commencer son récit d'une voix faible :

« -Ma jeunesse fut au début joyeuse : j'avais une famille qui m'aimait, une amie que j'adorais, et je vivais dans l'un des plus beaux quartiers de la capitale française. J'étais insouciante, je passais le plus clair de mon temps dans des fêtes somptueuses et divines en compagnie de la plus haute société de la ville.

Un soir, alors que je rentrais d'une de ces soirées extravagantes, je vis sur le pas de ma porte, un homme vêtu de noir qui arborait une triste mine. Il était muni d'une boîte, elle-même accompagnée d'une lettre. Je lui demandai la raison de sa présence, et il m'expliqua d'un ton grave et posé que ma tante de Vladimir était décédée il y avait peu et qu'elle me léguait son seul et unique bien : un ravissant collier d'une valeur inestimable. Sous mes yeux se trouvait une chaîne en or blanc, à laquelle pendait un magnifique rubis rougeoyant. L'homme me tendit l'enveloppe que j'ouvris en toute hâte. Le mot qui y était inscrit était le suivant :

« Ma chère nièce, voici le collier que j'ai tant aimé ; étant très fragile, je te pris de l'enlever la nuit et d'en prendre le plus grand soin. »

Je remerciai en mon for intérieur cette tante que j'avais si peu connue. Mais je ne savais pas encore que c'était ce bijou si précieux qui allait entraîner ma perte, ainsi que celle de mon entourage.

Plusieurs semaines durant, je respectai la volonté de ma défunte tante, jusqu'à une de ces soirées où je ne pus m'arrêter de boire. Je rentrai alors ivre et en oubliai mon collier. Ce fut cette nuit dramatique que je fis pour la première fois un de ces cauchemars qui vous poursuivent pendant toute une vie. Ce fut d'abord trouble, puis je pus distinguer une rue sombre, du sang, un visage terrorisé, ma chambre... Le lendemain, je me réveillai en sursaut avec l'étrange impression que quelque chose de grave s'était passé. Lorsque j'ouvris les yeux, je me rendis compte que mon oreiller était tâché de sang, ainsi que le bout de mes doigts. Je supposai avoir simplement saigné du nez et n'y prêtai plus attention. Je devais me préparer car j'avais un rendez-vous urgent avec le comptable, un homme respecté et aimé de tous.

Arrivée chez lui, je fus étonnée par la foule qui s'y trouvait, et qu'elle fut ma surprise lorsque l'on m'annonça que le comptable avait été assassiné cette nuit. Par qui et pourquoi, nul ne le savait.

Paniquée, je fis demi-tour et dans ma hâte bousculai l'épicière qui tomba et se rattrape de justesse à mon collier, qui se décrocha de mon coup. Elle se confondit en mille excuses et me remit mon pendentif. Nous parlâmes brièvement de celui-ci avant que je ne lui explique la raison de tout ce remue-ménage. Finalement, nous nous séparâmes et je repartis chez moi, tout en tentant de repenser à la dernière discussion que j'avais eue avec ce cher homme, la veille au soir. Malheureusement, je ne m'en souvenais guère.

Le reste de la journée passa, le moment de me coucher arriva. Je repensai aux étranges évènements de la journée et j'en oubliai, encore une fois, mon collier. Je rêvais pour la seconde fois, plus nettement, de cette curieuse rue, d'un visage terrifié, des yeux écarquillés de peur, d'une chevelure semblable à la mienne, et enfin, du sang.

Quand mes paupières se levèrent, je crus être aux Enfers en découvrant des tâches de sang sur ma chemise de nuit et mes mains. J'eus la chair de poule. Horrifiée, tremblante et le cœur au bord des lèvres, je me levai d'un bond. Quand mes pieds touchèrent le sol, je m'apaisai. Je n'eus pas le temps de m'appesantir d'avantage sur le problème car soudainement, j'ouïs un cri strident en provenance du bout de la rue. Je me dépêchai de me préparer puis me précipitai à l'extérieur. Arrivée sur les lieux, je découvris avec effroi le cadavre de l'épicière.

Les jours qui suivirent, les meurtres s'ensuivirent, ainsi que mes cauchemars, de plus en plus réels et troublants. Chaque matin, je me réveillais couverte de sang. J'avais l'impression de devenir folle. Je n'en parlai cependant à personne, par peur de ce que l'on pourrait me faire. La fin de la semaine arriva, la ville était plongée dans une terreur glaçante. Pour me remonter le moral, je décidai d'inviter ma meilleure amie à souper. Hortense accepta avec joie !

Nous ne discutâmes pas de cette tragique semaine, nous avions besoin d'une échappatoire. Je me sentis beaucoup mieux et le vide installé en moi fut vite comblé par son unique présence. Le couvre-feu instauré depuis peu étant tombé, je lui proposai de passer la nuit chez moi, la pensant en sécurité.

Pourtant cette nuit fut la plus abominable de toutes : je fis le pire cauchemar de toute mon existence. Je me voyais, moi, en train de tuer ma meilleure amie. Ce rêve me bouleversa tant que je me réveillai en sursaut, engloutie par les ténèbres. C'est alors que je vis dans ma main un couteau, sur le point de transpercer son cœur. En relevant la tête, j'aperçus dans le miroir le visage démonique d'une femme me ressemblant étrangement, qui n'était pourtant pas le mien. Je jetai un coup vers Hortense afin de vérifier qu'elle allait bien - ce qui était heureusement le cas - puis d'un mouvement vers la tête vers la glace, je constatai que mon apparence était... tout à fait normale. Des gouttes de sueurs perlaient sur mon front et un nœud enserrait ma gorge.

Prise de panique, je décidai de fuir le pays, ne prenant que quelques affaires chères à mes yeux et courus jusqu'à la gare la plus proche. Je pris le train à destination de Calais. Arrivée au port, j'embarquai pour l'Angleterre.

Lors de la traversée, je songeai tristement à ce pays que j'aimais tant et que j'étais en train de fuir, et je décidai de regarder l'album de famille une dernière fois, avant de le ranger à tout jamais. En le feuilletant, je tombai sur un visage qui me parut familier : celui que j'avais vu un bref instant dans le miroir. C'était en fait celui de ma tante de Vladimir, portant le pendentif. Je pris alors l'initiative de jeter ce collier maléfique par-dessus bord en espérant oublier tous ces effroyables souvenirs.

Je réfléchis longuement à tout ce qui était arrivé, il ne me restait que très peu de conclusions. Tout cela était arrivé quand j'avais commencé à porter mon maudit collier la nuit, et chaque personne qui avait été tuée m'avait parlé de ce bijou démoniaque. Etait-ce un pur hasard ? Avais-je tué tous ces gens ? Pourquoi ? L'esprit de ma tante m'avait-il possédée ? Je ne le savais pas... et ne le sais toujours pas. »

Un silence de mort s'empara de la pièce. Plus personne n'osait esquisser le moindre geste. Eléonore reprit la parole :

« -Et le plus étrange dans cette histoire -c'est pourquoi je suis si bizarre aujourd'hui - c'est que je viens d'apprendre que la première victime, à savoir le comptable, ne serait mort... qu'hier. »


Salut ! Tout d'abord, je tiens à préciser que je n'ai pas écrit cette nouvelle toute seule, mais avec Lou Delannoy, il y a deux ans ! Bref j'espère que cela vous a plu, à la prochaine !

Bazar d'histoiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant