1- La Nuit étoilée

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Il est présentement 22h21.

Je suis dans mon lit, prête à accueillir le sommeil. Enfin, c'est faux. Je suis dans mon lit, les yeux grands ouverts, incapable de les fermer. Je voudrais bien les clore, tomber dans un sommeil profond pour ensuite me réveiller le lendemain, de bonne humeur et pleine de vie, mais je sais très bien que ça ne se passera pas comme ça. Je me connais. Je vais probablement passer les trois prochaines heures dans cette même position, les yeux aussi ouverts, peut-être même plus, qui sait? La seule manière d'échapper à cette insomnie, c'est de rêver avant de m'endormir.

Je m'avance vers le bout de mon lit. Je remonte la toile qui cache ma fenêtre. Je suis présentement assise au bout de mon lit, une couverture autour de mes épaules, la tête déposée sur la surface de verre glacée me servant de fenêtre, mais surtout de barrière entre le rêve et la réalité. Je tombe. Je tombe dans cette beauté devant moi. Enfin, en haut de moi. Je regardes les quelques étoiles encore visibles malgré la pollution lumineuse de la ville de Montréal. C'est le rêve. Puis je détache mon regard de cette beauté et pose mes yeux sur l'intérieur de ma chambre. Petite, chaleureuse, mais peu originale. C'est la réalité. Éternelle rêveuse, je décide donc de ramener mon regard vers ce que ma fenêtre m'empêche de toucher. Je lève ma main frêle et la dépose sur la vitre glaciale. L'hiver du Québec se fait sentir, laissant ses traces. Je frisonne, pourtant chaudement emmitouflée dans ma couverture. Je retire ma main de la fenêtre, mais je garde mon front sur celle-ci, souhaitant tout de même sentir quelque chose.

Tu sais, ce moment où tu as l'impression d'être hors de la réalité, ce moment où tu es seul dans tes pensées, et que tu as besoin d'un petit quelque chose pour te ramener sur terre? D'un petit quelque chose pour te rappeler que tu es bel et bien dans ta chambre, et non dans les étoiles? C'est pour cette raison que je garde mon front sur cette surface glacée. Le froid de l'hiver qui traverse cette fine couche de vitre et qui atteint le haut de ma tête me dit tout bas, me chuchotant à l'oreille : «Rêve. Continue de rêver. N'ait pas peur, tu peux tomber dans cette beauté autant que tu le veux, je serai toujours là pour te ramener à la réalité lorsque le temps viendra».

Je recule ma tête de quelques centimètres pour réussir à voir la réflexion plutôt vague de mon visage dans la vitre. On peut à peine voir les cernes gigantesques sous mes yeux. J'ai presque l'air belle. Je rigole légèrement, engloutie par cette rêverie improbable. Je suis à point de mon adolescence où je me fou si les autres me trouvent belle. Tu me trouves laide? Je m'en fou. Les gens ont toujours quelque chose de mal à dire sur toi. Quoi que tu fasses, quoi que tu ressembles. Toujours. Pourquoi pas profiter pleinement de ma vie et me faire juger, plutôt que constamment me préoccuper de ce que les autres pensent de moi, et tout de même me faire juger.

Je soupire, dépose à nouveau mon front sur le froid agréable de la fenêtre et souris, regardant ces quelques points lumineux qui flottent au dessus de la ville. Ils sont magnifiques, si magnifiques. Je ne peux pourtant en voir qu'une si petite quantité. Je sens soudain le rêve m'engloutir. Pas le type de rêves que nous voyons passer devant nos yeux lorsque nous dormons à point fermé, les rêves stupides, je les appelle. Oh non, pas du tout ce type-là. Je parle du genre que nous voyons les yeux grands ouverts. Le genre de rêves que nous vivons dans notre imaginaire, mais que nous vivons pourtant bel et bien.

Je sens cette chaleur réconfortante m'envahir, m'avertissant la venue de ce rêve, sentant pourtant toujours le froid sur mon front, me protégeant. J'ai les yeux rivés vers les étoiles. Mon cœur bat la chamade, n'étant plus capable d'attendre ce moment. Je ferme les yeux et prend une grande inspiration, puis je les ouvre pour admirer le fruit de mon imagination.

Devant mon regard étincelant, je vois une jeune fille grimper une étoile non loin de moi. La fille dépose les pieds sur le haut de l'étoile et tourne son visage satisfait vers moi, vers mon imagination. C'est moi! Je suis sur cette étoile! La tête toujours sur la surface de la fenêtre, je souris à pleine dents, profitant de cette liberté. Je rêve! Je rêve, mais je vis! Me regardant me promener sur cette étoile, me regardant marcher en haut du monde entier, je me vois danser et rire aux éclats sur cette sphère inconnue. Je rêve d'être là-haut. Je rêve d'ouvrir ma fenêtre, de grimper dans son cadre, de m'accroupir et de me propulser vers le ciel aux milliers de vies, aux milliers d'étoiles. Je rêve de traverser les nuages, de sentir le frais de cette nuit hivernale souffler dans mes cheveux et fouetter mon visage. Je rêve d'atteindre cette étoile.

Je rêve d'atteindre cette sérénité.

Mais le froid de l'hiver sur le haut de ma tête me rappelle tout bas que si je tente ce vol, je ne ferai que tomber sur le sol et me blesser. Je ferme les yeux et me force à écouter la voix de la réalité. Je rouvre les yeux, mais je ne me vois plus sur l'étoile. Je ne rêve plus. Je soupire d'exaspération, décolle mon front de la fenêtre et m'allonge dans mon lit, maintenant prête à accueillir le sommeil, prête à me contenter de rêves stupides.

Il est présentement 22h23.



Flo

a moment of silenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant