J'ai su dès mon réveil que cette journée s'annonçait glaciale. Mes bottes font un étrange son à chaque fois qu'elles s'enfoncent dans la neige profonde du trottoir. Un pas, deux pas, trois pas. J'avance en sentant l'air entrer dans mes narines et faire son doux chemin jusqu'à mes poumons tant ce que je respire est froid. Je suis calme. Sereine. Je me sens comme sur un nuage.
Mais je sais très bien que les nuages ne font qu'annoncer la tempête.
Plus j'avance sur ce trottoir enneigé, plus le vent se fait violant. Je sens celui-ci, qui ne faisait autrefois que me caresser la peau et me chuchoter à l'oreille des mots doux, venir me fouetter les joues si fort que j'en sort de mes rêveries. J'ai mal, mais je prends une grande respiration et continue d'avancer. Après tout, il ne faudrait pas que les gens autour de moi réalise ma fragilité. Ils n'ont pas le droit. Alors je continue. Un pas, deux pas, trois pas. J'avance.
Tout à coup, le vent me fouette une seconde fois, me faisant cette fois-ci chavirer. Je suis au sol, face contre la neige, cœur touchant le sol de béton. J'ai mal, j'ai très mal, mais je prends une grande respiration, je sèche rapidement les quelques larmes qui se sont accumulées dans le coin de mes yeux et je me relève. Je prétends ne jamais être tombée. Je prétends ne jamais m'être blessée. Je regarde autour de moi et découvre des regards désolés, se voulant compatissants. J'en ai horreur. «Je vais bien, je vais bien» je leur dis en ricanant, puis je continue en boitant légèrement. Un pas, deux pas, trois pas. J'avance de mon mieux.
Mais bon, toi et moi connaissons parfaitement la suite.
Cette fois-ci, mon agresseur habituel vient à ma rencontre avec encore plus de violence. Un seul coup dans mon dos et je vois le sang me jaillir de la bouche telle une fontaine, puis atterrir à un mètre de moi. Je me tiens encore debout, maintenant la bouche fermée, mais les yeux ouverts grand. C'est fini, je n'en peux plus. Mes genoux cèdent finalement sous mon poids et je tombe, la face dans ce liquide rouge maudit. Mes yeux sont toujours ouverts, puis les larmes s'échappent enfin, suivies de mes cris. J'ai mal, j'ai mal, j'ai mal, j'ai tellement mal. Mon cœur pompe mon sang a une vitesse folle, faisant rebondir mon sternum dans tous les sens. «Il va sortir, il n'en peut plus de toi! Il n'est plus capable de t'endurer! Il va sortir! Il va sortir! C'est fini pour toi!» me hurle une voix dans ma tête. Mon cœur continue sa danse arrangée, menaçant de me percer le torse. Ma gorge me brûle à force de hurler. Mes yeux me prient de les fermer, sentant le sang doucement les infiltrer de façon douloureuse. Mon corps est secoué de spasme incontrôlables, complètement abandonné dans cette douleur constante. Je hurle, je hurle à n'en plus finir. Les gens autour de moi courent, s'enfuient face à l'horreur qu'ils ont sous les yeux. Un pas, deux pas, trois pas. Ils se bousculent, se poussent, en me jetant quelques regards horrifiés. Ils hurlent, eux aussi. La peur nous a tous obstruée les iris.
Puis, je me retrouve seule.
Mon corps est maintenant immobile, pesant, et le rythme de mon cœur a doucement commencé à s'alourdir. Mon visage est toujours plongé dans mon lac de sang et finalement, ma bouche est toujours ouverte pour crier, mais plus aucun son n'osent désormais quitter mes lèvres. Je ne vois plus rien, aveuglée par le sang qui a maintenant peinturer l'entièreté de mes globes oculaires. Je ne respire plus, je ne bouge plus, mais surtout, je n'avance plus. Mon cœur se fait lourd. Un battement, deux battements, trois battement, puis rien. Silence. Le vent froid fait vibrer quelques mèches de mes cheveux.
J'ai su dès mon réveil que cette journée s'annonçait glaciale.
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5 décembre 2018