Chapitre 6

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Nous mangeons en silence. Je ne suis pas très bavarde en général. Martin lui, doit sans doute se retenir de parler, mais il me fixe avec insistance depuis le début du repas. Je n'ai rien contre lui, mais je n'aime pas m'attacher...j'ai trop souffert avec Simon, je ne veux pas que ça recommence. Martin relève la tête une nouvelle fois et ouvre la bouche avant de se résigner et de baisser à nouveau les yeux sur son bol. Le vieux hangar que nous avons déniché à quelques kilomètres de la sortie de la ville n'est pas très grand mais possède au moins un avantage essentiel pour notre survie : ce bâtiment est fermé, aucune ouverture par laquelle l'air toxique puisse s'infiltrer.

Nous rangeons nos affaires, silencieux, sans se regarder. Mais une question essentielle de pose :

«Tu veux que je prenne le premier tour de garde ? demandais-je à Martin.

-Non, c'est gentil... J'arrive pas à dormir en général de toute façon...si tu veux, je te réveilles si je fatigue.

-Comme tu veux, dis-je en attrapant mon sac de couchage.

Je m'installe pour la nuit, à même le sol, sous le regard de Martin, assis sur un vieux tonneau en bois. Je m'allonge dos à lui, et ferme les yeux. J'entends un faible murmure derrière moi :

-Bonne nuit, chuchote Martin, hésitant, comme s'il était convaincu que je ça ne m'intéraissais pas.

Après quelques secondes d'incertitude, je finis par me retourner dans sa direction et lui souris.

-Bonne nuit, lui répondis-je.

-Tiens, tu sais sourire ? dit-il en riant.

-Apparemment, fis-je sans cesser pour autant.

-Dort bien, dit-il avant de détourner les yeux.

«Je vais essayer...»pensais-je. Je fais pas mal d'insomnies depuis que Simon...depuis qu'il n'est plus avec moi. Mais ça va changer bientôt...très bientôt. C'est sur cette pensée positive que j'essaye de trouver le sommeil.

Bon, ça fait deux heures que j'essaye de dormir, sans succès...
Martin est toujours éveillé, il ne dit rien...mais je suis sûre qu'il sait que je ne dors pas. Depuis une dizaine de minutes, je le vois fixer un morceau de papier, je ne sais pas ce que c'est, je suis trop loin pour le distinguer. Je me retourne sur le dos, en contemplant le plafond, tête soutenue sur mes bras.

-Martin, murmurais-je après quelques minutes.

-Oui ? dit-il en se retournant vers moi, toujours assis sur son tonneau.

-Est-ce que ça te gênerais que je vienne à côté de toi... J'arrive pas à dormir.

-J'avais remarqué. Oui bien sûr, viens, répondit-il, sans détacher le regard de son morceau de papier.

Tandis que je me lève, emmitouflée dans ma couverture, et que je rejoins Martin, il semble soudain prendre conscience qu'il tient encore la feuille dans ses mains. Aussitôt, il tente de la mettre dans la poche de sa veste mais le feuillet lui échappe et atterrit à mes pieds. Je me penche pour le ramasser, me relève et m'immobilise, captivée par la photo, car il s'agit bien d'une photo.

Il n'y a que trois personnes sur le cliché, assises sur un banc, dans ce qui ressemble à un parc municipal. La première est sans aucun doutes possibles Martin, avec seulement un an de moins, sans doute. Il est assit sur le dossier du banc, riant, à côté d'une jeune fille. Elle est belle, brune, elle doit avoir un, peut-être deux ans de moins que moi maximum, elle regarde l'objectif en souriant. Et, pour finir, totalement à gauche de la photo, un autre garçon, il devait avoir un an de moins que Martin environ quand le photo a été prise, tout sourire également, plutôt beau, avec des cheveux bruns, cours, un peu plus foncés que ceux de Martin.

Et voilà, super perception...j'ai analysé la photo en trois secondes... Seulement trois secondes.

Martin me regarde dans les yeux, attendant que je lui rende la photo...mais il y a autre chose...on dirait qu'il est... gêné ? Comme si je n'avais pas du voir cette image.

Je lui tends le cliché, il le saisit, comme rassuré et le fourre dans une poche de son sac, posé à ses pieds. Puis il se décale légèrement sur le tonneau afin de me laisser une place à côté de lui. Pendant quelques minutes, nous fixons le sol, sans savoir quoi dire.

-Alors...commençais-je, hésitante, c'était qui ? 

-Quoi ? me dit-il, sans comprendre.

-Les gens...sur la photo, c'était qui ?

-À gauche, dit-il en soupirant, c'est mon frère, Quentin.

Il s'arrête là. Il ne veut sans doute pas en parler...mais la curiosité (qui a toujours été mon pire défaut et ma plus grande qualité) est plus forte et l'emporte.

-C'est ta petite amie ?

-Quoi ? répondit-il, effaré. Non...non pas du tout.

Il s'arrête de nouveau. Bon, apparemment il ne veut vraiment pas en parler. J'arrête donc de le questionner et recommence à fixer le sol.

-C'est ma sœur.

-Quoi ? demandais-je, perdue.

-Sur la photo, c'est ma sœur. Elle a deux ans de moins que moi, et seulement un avec mon frère, on est tous né avec un an d'écart.

-Tu ne m'avais parlé que de ton frère il me semble... dis-je en essayant de me souvenir d'une quelconque allusion. Elle est avec Quentin et mon frère ?

-Non, elle est...morte. Un tueur avait attrapé Quentin, elle...elle s'est sacrifiée pour le sauver...

-Ho... murmurais-je en écarquillant les yeux. Je...je suis désolée...je...je voulais pas te gêner. Tu aurais dû me le dire j'aurais compris que...

-Non, t'inquiètes pas...c'est...c'est pas, sa voix tremble.

Je me retourne discrètement vers lui, c'est bien ce que je pensais...il pleure, mais en silence...quelques larmes dévalent ses joues, sinon on ne le remarquerait pas. Je ne sais pas quoi faire, de peur de le gêner...alors je ne fais rien, comme si je n'avais rien remarqué et j'attends. Après quelques minutes, je demande d'une petite voix :

-Elle s'appelait comment ?

-Alice...elle s'appelait Alice...

Puis nous continuons à discuter, comme si cette conversation n'avait jamais eu lieu. Je finis par m'endormir, ma tête appuyée sur l'épaule de Martin, qui ne me quitte pas des yeux.

Journal d'une survivante Où les histoires vivent. Découvrez maintenant