« La Route vers l'Est »

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Les plaines verdoyantes des Hautes-Terres ne connaissaient d'autre agitation que le sifflement du vent. La steppe herbeuse s'étendait à perte de vue, et la vision d'un tel désert n'était coupé que par les fermes - nombreuses mais espacées et moindres comparées à l'étendue de vide qu'offrait le pays - et les allées et venues de raptors en chasse que nous évitions sans problème.
La "Terre-Mère". Un spectacle époustouflant, et bien que je connaissais ces landes, cette vision me laissait toujours le souffle coupé. Nous avancions lentement mais sûrement, et prenions soin de nous arrêter bien avant la nuit afin de jouir d'un campement bien confortable. La route fut longue mais paisible et peu contraignante, ce qui me faisait presque oublier le sombre épisode que j'avais vécu après la traversée du lac. Trois lunes étaient passées, Stromgarde s'était effacé de l'horizon lorsque nous arrivions à distinguer une épaisse fumée brune s'élever au loin. Mais elle ne provenait pas de la cité : elle venait du Nord-Est, notre direction.
"-Sir, vous voyez ce que je vois ? demandait Rodrick, alors qu'il menait la marche.
-Impossible de passer outre...
-Qu'allons-nous faire ?
-Nous continuons. Le domaine de ma famille n'est plus très loin, une demi-journée de route tout au plus, je doute qu'il y soit arrivé quoi que ce soit.
-J'entends bien, mais... cette fumée coïncide grandement avec ce que vous dites.
-Nous continuons."
Ainsi, nous poursuivions notre route sans croiser aucune âme vivante jusqu'à arriver, en fin de journée, au domaine dont je faisais mention. Une indescriptible horreur s'inscrivait sur mon visage lorsque je devais finalement me rendre à l'évidence : la fumée venait de là. Les champs étaient immolés, les arbres fruitiers brûlés jusqu'à la racine, la maison et l'étable dévastées, et... un charnier. L'odeur... l'odeur qui en sortait, portée par le vent jusqu'à nos narines, était nauséabonde. Jamais je n'aurais pu imaginer qu'il était possible de trouver autant de cadavres entâssés en un même endroit. Hommes, femmes et enfants, serfs, valets et paysans, tous au service de ma famille. Aucun survivant. Rodrick restait silencieux et se contentait de me suivre tandis que je marchais à travers cette désolation, laissant mon regard errer sans but. Un hénissement parvint à mes oreilles et me fit tourner la tête vers l'écurie qui semblait être partiellement épargnée de la dévastation. Je marchais en toute hâte vers celle-ci et découvrais un étalon à la robe noire et au crin aussi sombre que son regard. Le cheval de mon père, Ébène, enchaîné aux pattes et au cou, que je me dépêchais de libérer et de consoler, trouvant en cette bête une étrange sympathie, comme une compréhension mutuelle, une sorte de lien spirituel. "Nous ferons route ensemble, désormais, fier Ébène, coursier au sombre destin. Il sera de mon devoir de te protéger contre tous les dangers que porte cette terre, il sera du tiens de me porter par monts et par vaux, jusqu'au bout du monde."
Je parvins, avec difficulté, à me frayer un chemin dans la maison délabrée. Elle était méconnaissable. Bien sûr, je ne connaissais que très peu les lieux, puisque j'ai eu seulement deux fois l'occasion de m'y rendre dans ma jeunesse. La grande cheminée qui se trouvait au centre du séjour servait également de support à l'héritage familial : Aranrùth. J'empoignais l'arme par le pommeau et levait sa garde jusqu'à mon nez, inspectant la magnifique épée bâtarde. "Une lame de trente-huit pouces et demi, pas plus de quarante onces, un cœur d'acier plaquée argent, des glyphes et runes courant à la fois sur la lame et la garde, et un tranchant au fil d'arcanite. Un aigle d'argent siége en empereur sur le pommeau, et un autre figure sur le fourreau noir en écailles de raptor. Un trésor inestimable. Quiconque est venu détruire le domaine, il a négligé le meilleur butin dont on puisse jamais rêver." Je décrivais l'arme à voix basse, à la fois fasciné et inquiet d'éveiller une flamme de jalousie dans le cœur de Rodrick. En sortant de la maison, je découvrais bien vite que mes inquiétudes devenaient réalité : le compagnon qui avait autrefois toute ma confiance lorgnait l'arme à ma ceinture du coin de l'œil. Il ne dit mot, et je fis de même. C'est dans un silence morbide que nous avons ensuite repris la route. J'étais pourtant loin d'imaginer que cette arme allait entamer ma funeste destinée.

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