Chapitre 1

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LEE

La première chose qui me frappe, lorsque je descends du bus, c'est cette chaleur étouffante. J'en ai le souffle coupé. J'observe tout autour de moi, à la recherche d'un signe quelconque. Est-ce enfin le bon endroit ? Vais-je pouvoir aller mieux ici ?

J'ai passé deux mois à errer de ville en ville, empruntant les lignes de bus au hasard du timing des départs. Chaque lieu où j'ai posé les pieds m'a apporté mon lot de désespoir et de désillusion. Les gens, leur méchanceté, leur méfiance à l'égard des « étrangers », des personnes « différentes ». Ma place est bien quelque part dans ce monde, non ?

Everness. Le nom de cette nouvelle destination m'avait paru prometteur. J'avais regardé sur la carte, affichée dans le hall de la gare, pour la situer. Une petite ville en bord de mer, OK. Ça m'avait semblé tentant. Je me voyais déjà, assise sur la plage, me laissant bercer par le bruit des vagues telle une douce mélodie, et j'avais souri. Ça ne m'arrivait pas souvent, alors j'ai vu ça comme un signe que je faisais le bon choix. J'ai payé mon billet, et je suis monté dans le bus sans un regret. Avec l'unique espoir que, cette fois-ci, je pourrais respirer. Exister.

— Avez-vous des bagages à récupérer, Mademoiselle ?

Je sursaute. J'étais tellement plongée dans mes pensées emmêlées que je n'ai pas entendu le chauffeur approcher. J'inspire calmement et lui souris. Je vois bien qu'il me dévisage, s'interroge. Il me juge, j'en suis sûre. Qu'importe. J'affiche un sourire de façade et lui réponds d'une voix calme et assurée.

— Non, je vous remercie monsieur. Je n'ai que mon sac à dos.

— Très bien. Je vous souhaite un bon séjour, me répond-il, le regard intrigué, embarrassé.

Je fais toujours cet effet-là au premier abord. Je n'ai pas la prétention d'être si jolie qu'on ne peut détacher ses yeux de mon visage. Je suis juste... différente. Et mon corps, orné de tatouages, ne m'aide pas à passer inaperçue. Mais j'apprends à assumer ma différence. Même si cela ne me rend pas toujours la vie facile.

J'observe le bus s'éloigner un long moment, laissant mon regard fixer l'endroit où il a disparu. Je commence à ressentir l'angoisse, m'étreindre la poitrine. Je n'ai jamais aimé le changement, l'inconnu. Pourtant, la décision de tout quitter m'oblige à me surpasser. Je dois affronter mes craintes et tenter de m'intégrer. Je prends quelques petites inspirations.

Inspire

Un

Deux

Expire

Un

Deux

Je me mets en route, suivant la direction du centre-ville, histoire de découvrir mon nouveau chez-moi. Les rues sont jolies. Le soleil se faufile partout, jusque dans les moindres recoins des ruelles. J'ai vraiment chaud, mais j'hésite à ôter ma veste. Montrer plus de tatouages qu'on n'en voit déjà, ce serait prendre le risque de me créer des ennuis. C'est souvent comme ça que ça commence. J'attire les regards et la suspicion. Une fille sortie de nulle part, qui débarque d'on ne sait où, on s'en méfie un peu. Mais si cette même fille arbore le style « anticonformiste », on la juge. On la met dans la catégorie « personne à fuir ». Ou pire, « personne à bannir ». Je n'ai jamais compris pourquoi, mais j'ai fini par m'y habituer. À vrai dire, c'était déjà comme ça dans ma propre famille. Ils n'ont jamais compris mon goût pour les tatouages. Ils m'ont jugée sur mon style vestimentaire, ma façon de parler, de penser. Ma façon d'exister.

Je repère rapidement un petit Diner qui me semble accueillant. Ça tombe bien, je n'ai rien mangé depuis plus d'une journée. Mes économies s'épuisent et j'ai peur de me retrouver à court d'argent avant d'avoir pu trouver un emploi, et un logement par la même occasion. Je pousse la porte du petit restaurant et me prépare à subir le regard méfiant des clients. Étonnement, rien ne se passe. Pas de coups d'œil furtif ni suspicieux. Personne ne semble s'intéresser à moi. Ça me parait tellement perturbant que je reste un moment prostrée sur place. Incapable d'avancer.

A(b)ime-moi - Sortie numérique cet été chez Editions Addictives !!Où les histoires vivent. Découvrez maintenant