Chapitre 4

22 2 0
                                    


Playlist du roman :

https://www.youtube.com/watch?v=NGFSNE18Ywc&list=PLHnjOSolX_De-bj93b8nuAtaGAt5lxoT7


LEE

J'en étais sûre. Je savais que c'était une très mauvaise idée de forcer le local du poste de secours. J'ai été idiote. Je me suis laissée happée par la découverte de la ville hier soir. J'écoutais chaque bruit, respirais chaque odeur. L'océan, au loin, était comme le battement de cœur de la ville. Les vagues donnaient le tempo. Et j'écoutais cette musique enivrante. Quand la nuit est tombée et que la température a chuté, je me suis rendu compte que la plupart des motels étaient fermés. Les seuls que j'ai trouvés encore ouverts affichaient des prix hallucinants. Je ne peux pas me permettre de dépenser autant d'argent pour passer la nuit à l'abri. En deux mois d'errance, j'ai dépensé plus de la moitié de mes économies. À ce train-là, je ne vais pas tenir longtemps avant de me retrouver SDF. Et il en est hors de question. Alors, quand j'ai aperçu le bâtiment en longeant la plage, je n'ai pas hésité. Il n'y avait plus personne dehors. J'avais froid et j'étais exténuée. Je voulais juste me trouver un abri pour dormir quelques heures. Je ne comprends pas pourquoi je ne l'ai pas entendu arriver. J'ai pourtant un sommeil léger. J'ai appris à dormir tout en restant à l'affut de tout ce qui m'entoure.

Je ralentis le rythme lorsque j'estime être à bonne distance, et certaine qu'il ne peut pas me rattraper. Je suis tiraillée entre deux émotions. La peur et l'incompréhension. Je me suis retrouvée seule, face à un homme qui aurait pu me maitriser sans mal. J'ai pris des risques inconsidérés et je m'en veux. Pourtant, même s'il a bien essayé de m'intimider, il n'a pas cherché à me faire de mal. Juste me faire peur. Mais ce qui me met le plus mal à l'aise, c'est le regard qu'il a posé sur moi. Il m'a... analysée. C'était étrange. Dérangeant et à la fois attirant de se sentir ainsi observée. J'ai vu les mille et une questions dans son regard lorsqu'il plongeait dans le mien. Je sais que mes yeux ne passent pas inaperçus. Hétérochromie centrale, ou plutôt, « yeux de dragon ». Mon regard intrigue. Il plait ou déplait. À une époque, il faisait des ravages. Mais c'était avant. Avant que la cicatrice qui enlaidit mon visage ne prenne la vedette. Que les gens m'observent avec dégoût, pitié, révulsion, rejet. Mais ce n'est pas ce que j'ai vu dans ses yeux. J'y ai vu de la colère, de la tendresse. Quelque chose entre les deux que je n'arrive pas à nommer. Et c'est ce qui me fait perdre pied. Je n'aime pas ça. Je n'aime pas me sentir perdue. Je déteste le nœud qui se forme au creux de mon ventre quand je repense à son regard. Je hais les frissons qui parcourent mon échine au souvenir de sa main sur ma peau. Je refuse de ressentir tout ça. Je ne peux pas. Je ne le mérite pas. J'ai le cœur brisé et l'âme en lambeaux. Je suis morte à l'intérieur et je refuse d'entrainer qui que ce soit dans mon enfer. J'ai appris à affronter seule mes démons. Et même à vivre avec. Si tant est que l'on puisse appeler ça « vivre ». À bien y réfléchir, je crois que je survis. J'ai l'impression que ma vie défile devant moi sans que je n'y prenne part.

À mesure que je ressasse la scène, encore et encore, une migraine insoutenable me martèle le crâne, enserrant ma tête dans un étau qui rend impossibles toutes pensées rationnelles. Il faut que je boive un café, que je mange quelque chose. En toute logique, je devrais me diriger vers le Diner de Jo, où j'ai été si bien accueillie hier. Cependant, le doute s'installe lorsque je me remémore que c'est à ce moment-là que j'ai croisé sa route pour la première fois. Nul doute qu'ils se connaissent. Je me demande s'il irait jusqu'à s'y rendre pour me retrouver. Je deviens complètement parano. À tel point que je pense un instant à l'éventualité de reprendre le bus et de m'en aller loin d'ici. Mais jusqu'où devrais-je m'enfuir pour échapper à ma douleur, aux ombres qui obscurcissent ma vie ? Jusqu'où faut-il que je fuie pour guérir, pour éloigner mes peurs, mes cauchemars ? J'ai peur de vivre, voilà mon problème.

A(b)ime-moi - Sortie numérique cet été chez Editions Addictives !!Où les histoires vivent. Découvrez maintenant