Chapitre 2

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AÏDEN

J'ai perdu le fil de la conversation et à vrai dire je m'en fous. J'entends la voix de Jo, mais je n'y prête pas vraiment attention. Mon regard est figé sur la porte par laquelle elle vient de sortir. J'ai mille questions, qui me trottent dans la tête, et à la fois, aucune. Cette silhouette frêle, c'est tout ce que j'ai vu d'elle. Et cette voix éraillée lorsqu'elle a remercié Jo. C'est peu et ça m'a suffi pour en vouloir davantage. Je veux savoir qui elle est. D'ordinaire, cette ville est si petite que tout le monde se connait. Il y a les touristes et les gens de passage, bien entendu. Mais ceux-là, je ne m'y intéresse pas. Alors pourquoi c'est différent ? Pourquoi suis-je irrépressiblement intrigué par cette fille ? Elle avait l'air effrayée, pressée de partir, sans même un regard en arrière. Je n'ai même pas vu son visage. J'essaie de faire le vide. Je ferme les yeux et revois ses contours, comme un modèle que je pourrais dessiner. Elle a de longs cheveux blonds légèrement ondulés. Elle est petite et toute fine. Une brindille. Pas le genre qui m'attire. Pourtant, j'ai presque envie de sortir d'ici et de lui courir après. Putain, mais c'est quoi mon problème ! Je ne vais quand même pas me prendre la tête pour une petite blonde à la voix cassée.

... et tu devrais penser à faire un tour chez le coiffeur.

Quoi ?

Je rouvre les yeux et dévisage Jo, ma tante, tandis qu'elle continue son monologue. Elle sait pertinemment que je ne l'écoute pas. Pourtant, elle s'évertue à me faire la conversation chaque fois que je viens. J'aime ma tante. C'est elle et son mari qui m'ont élevé à la mort de mes parents. Henri et elle sont ma seule famille depuis que j'ai l'âge de cinq ans. Et je sais que je ne leur rends pas la vie facile. Encore moins depuis... depuis deux ans. Mais j'ai besoin d'eux. Sans eux, il y a longtemps que j'aurais fait une connerie. J'aurais tout balancé et je me serais barré loin d'ici. Ou je me serais foutu en l'air.

... et Connor est passé ce matin. Il dit qu'il ne te voit pas beaucoup ces temps-ci.

Je sais, marmonné-je, prenant enfin part à la conversation.

Tu sais, Aïden, les amis sont importants. Tu as de la chance d'en avoir, alors essaie d'être un peu plus disponible pour eux.

Qu'est-ce que tu veux dire ?

Et bien, je pense que Connor a besoin de parler à un ami. C'est sûrement une histoire d'amour qui...

Connor n'a pas d'histoire d'amour, Jo. Il baise et change de copine, comme moi je change de caleçon.

Aïden !

OK, soupiré-je. J'irais le voir dans la journée. Autre chose ?

Jo m'observe, les sourcils levés. Elle me met au défi de la rembarrer. J'essaie de ne pas rire devant son air faussement autoritaire, mais c'est peine perdue. Mes lèvres s'étirent malgré moi et Jo en fait autant. Je me lève et l'embrasse sur le front.

À plus tard, Jo.

À plus tard, Aïden. Et... coupe-toi les cheveux, rit-elle.

Je ne prends pas la peine de répondre à sa dernière remarque. Et pour la provoquer, je glisse mes mains dans mes cheveux en bataille et souris. La cloche tinte lorsque j'ouvre la porte. Je m'écarte pour laisser entrer un client et je file sans me retourner. Je n'ai rien de prévu aujourd'hui. Je pourrais passer voir Connor, et discuter de ses... "Histoires d'amour", mais je ne me sens pas d'humeur à écouter ses problèmes. Je me suis réveillé de mauvais poil ce matin. Je ne serais pas de bonne compagnie. Ni pour lui ni pour personne. Certains jours sont plus faciles que d'autres. Il faut croire qu'aujourd'hui sera une journée merdique. Je décide de prendre ma moto et d'aller faire un tour. Les jours comme celui-ci, le plus difficile est de parvenir à ne pas se laisser envahir par la douleur. Je n'ai personne à qui en parler. Mon âme est lourde de remords et de culpabilité. Mais personne ne comprend ce que je ressens. J'aimerais être capable de faire comme tout le monde. D'accepter ce qui s'est passé et aller de l'avant. Mais j'en suis incapable et ça me pourrit la vie. Plus rien n'a de sens. Plus rien ne vaut la peine. Depuis deux ans, j'ai accumulé tellement de nuits en garde à vue que je me demande s'il ne serait pas plus simple d'élire domicile en cellule de dégrisement. Et si je ne suis pas plus inquiété que ça par la justice, c'est parce que Jeff, l'un de mes meilleurs amis, travaille au commissariat d'Everness. Sans ses combines, je serais certainement déjà passé devant le juge. Je sais que par ma faute, il se met dans la merde. Mais je n'y peux rien. Certains jours, j'ai la tête à l'envers. Je fais ce qu'il faut pour anesthésier ma douleur et ça passe par tous les excès possibles.

A(b)ime-moi - Sortie numérique cet été chez Editions Addictives !!Où les histoires vivent. Découvrez maintenant