Si André n'était pas venu me chercher, j'aurais été sans doute encore médusée, les pieds bien ancrés dans la route pavée, à observer la lointaine silhouette de l'intendant.
Maintenant que je l'avais vu de mes propres yeux, je ne me sentais plus le courage d'obéir à mon frère, de défier un Dragon, et encore moins de sa petite fille acariâtre qui, je n'en doutais pas, serait prête à m'attaquer dès lors que ses griffes se montreraient.
Je n'avais jamais autant douté qu'en ce moment.
Sois-je transgressais les ordres de mon propre frère, et je ne serais plus que souillonne, reniée de toute famille -une fille de personne-, sois-je prenais le risque de me faire mutiler par un chérubin.
- Que faisais-tu là-bas ? rouspéta soudainement André
Je faillis lui répondre que j'adorais aller boire un thé avec des chats, prêts à sortir leurs griffes au moindre faux pas. Mais l'heure n'était pas à la plaisanterie.
- Je m'étais perdue, lui répondis-je le plus sincèrement possible.
- Ce n'était pas une raison pour essayer de fuir notre arrangement -j'aurais bien aimé le croire- ! J'ai vu également que tu as rencontré le Dragon ... les présentations sont donc faites, s'empressa-t-il de rajouter avec une pointe d'ironie.
- Justement puisque tu en parles ...
Les mots me brûlaient le bout des lèvres, me démangeaient la langue, mais aucuns sons n'en sortirent. La parole m'abandonnait lâchement. Je regardais donc désespérément mon frère, avec l'espoir qu'il comprenne ce qu'il clochait.
Au bout de quelques secondes interminables, je réussis à attirer son attention.
- Je suis désolé de te l'avouer, sœurette, me répondit-il faussement désolé, mais un marché est un marché. Tu ne peux pas revenir sur notre accord !
En cet instant, j'avais réellement envie de lui briser un vase sur la tête, et de retourner faire des corvées. Mis à part quelques papiers volants et sacs poubelles qui traînaient, il n'y avait rien d'autre à portée de main. Rien d'autres pour pouvoir me défendre.
Nous traversions d'étroites ruelles, empestant les égouts, et si étroites que nous devions passer un par un. André ne cessait de tourner de droite à gauche d'un pas rapide, je manquai plusieurs fois de le reperdre de vue.
A mon grand soulagement, il finit par s'arrêter devant une immense porte en bois de pins sculptée. Il y frappa quatre fois, quatre coups forts et impatients, exactement comme ceux d'hier lorsque je ne lui avais pas ouvert.
Une dame, les joues et les poches des yeux creusées par le temps, nous accueillit à l'intérieur d'une pièce d'une banale sobriété. L'entrée était sombre, silencieuse, et quelques statuettes d'anges faisaient office de décoration.
Elle nous salua brièvement, puis s'en alla aussi rapidement qu'elle était venue nous ouvrir.
- Dame Maryse, me chuchota André. L'ambassadrice depuis plus d'un demi-siècle, chère sœur.
J'ignorais combien d'hiver avait cette femme -probablement celui qu'aurait dû avoir Grand-Père-, mais elle devait avoir une santé de fer pour continuer de travailler.
André m'emmena dans un couloir, actionna un levier d'appel, puis un passage s'ouvrit du mur vêtu de tapisseries exotiques que l'ambassadrice avait dû ramener de d'autres arches. Nous entrions dans l'ascenseur -où traînait un charmant chariot empli de gourmandises-, quand une étrange créature ridée comme un pruneau en livret nous demanda où nous voulions monter.
- Aux appartements de Farouk, répondit mon frère d'une voix hautaine.
- C'est qu'il ne veut être dérangé sous aucun prétexte, sans vous offenser monsieur, ajouta faiblement le groom.
- Vous n'avez pas à contester mes ordres, immonde vermine !
La réaction de mon frère était si disproportionnée qu'elle m'embarrassait terriblement. Je m'éloignais alors le plus possible de la véritable vermine, lui.
Le vieil homme actionna un second levier d'appel puis se recroquevilla sur lui-même. Je le vis se griffer et s'injurier lui-même d'immonde vermine. J'avais un haut le cœur en assistant à cette scène dramatique. André n'avait donc vraiment pas de cœur pour ce pauvre groom. Il me semblait même que la propreté de ses chaussures lui semblait beaucoup plus intéressante à ses yeux.
Lorsque que le groom annonça notre étage, André prit un petit four -qu'il enfourna dans sa bouche-, puis m'empoigna et me hâta encore plus que lorsque nous marchions dans les ruelles.
Dès lors que les portes de l'ascenseur se refermèrent, je me mis sur la pointe des pieds, et le pinçai dans le cou.
- Qu'est-ce qu'il te prend ? me chuchota-t-il plaintivement, la bouche pleine.
Je lui répondis par un regard noir, désignant l'ancienne présence de l'ascenseur. Il se contenta de hausser les épaules.
Quelques minutes plus tard, nous nous arrêtions devant une porte dorée et sculptée de chaque marque des différentes branches du Pôle. Je reconnus la spirale de ma famille sur la poignée d'émeraude.
- Ainsi nos routes se séparent ici ! Derrière cette porte se trouve l'appartement le plus privé de notre seigneur, me dit-il. Et j'ai la forte intuition qu'il t'y attend !
Mes deux mains cramponnées l'une dans l'autre, je tentais de calmer les secousses de mes doigts, tuméfiés par l'angoisse. André se tenait toujours dans mon dos, prêt à me forcer à y entrer comme on force un enfant.
Quelques courts instants d'hésitation plus tard, je toquai enfin à la porte, puis m'engouffrai dans un nouveau monde, telle une clandestine.
VOUS LISEZ
𝕸é𝖒𝖔𝖎𝖗𝖊𝖘 𝕯'𝖚𝖓𝖊 𝕮𝖍𝖗𝖔𝖓𝖎𝖖𝖚𝖊𝖚𝖘𝖊
FanfictionCover by the QUEEN : Vicky Isis Qui se souvenait de Natacha ? Celle dont chacun redoutait son ascension. De cette femme, sans regret, qui assouvissait son influence auprès du seigneur Farouk; et qui jouait avec l'amour d'un homme dans l'espoir d'u...