L'appartement à symétrie formidable Partie 1

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Hannibal Gans est un être humain bien saugrenu, il est pourvu de nombreuses marottes toutes plus extravagantes les unes que les autres. Par exemple, il est un lecteur des plus voraces, il parcours tous les textes qui atterrissent sous ses yeux, du Germinal de Zola aux valeurs nutritionnelles inscrites sur le profil de sa boite de céréales en passant par les journaux affichés au kiosque de sa rue. Et, non seulement il lit tout cela, mais, de surcroît, il le retient, l'analyse et le comprend, ce qui fait de lui un gargantuesque puits de savoir. Il n'en est pas moins un rédacteur aussi prolifique que son temps libre le lui permet, étant en khâgne, il trouve malgré tout le moyen de consacrer quelques heures par semaine à la mise sur papier de ses pensées, des plus frivoles au plus honteuses. Enfin, on ne pourra les qualifier de honteuses que quand Hannibal saisira le concept de honte. Car, malgré une intelligence digne des plus grands génies de notre histoire, il est certains que ce garçon ne comprend nullement ses semblables. Pour en revenir à sa passion quasi obsessionnelle pour l'écriture, il ne peut le faire, une fois de plus, qu'au prix de forts étranges rituels. Tout d'abord, il n'écrit que sur des feuilles bristol totalement blanches avec un crayon de papier taillé au couteau. Ensuite, il doit avoir le ventre plein, s'être gavé de friandises chinoises ou bien s'être empoisonné en son âme et conscience dans un des nombreux McDonald's que la Ville jadis Lumière met à notre disposition. Pour finir, il a un parcours bien définit : il s'installe pendant précisément une heure et demi dans une des salles de lecture de Shakespeare & Company, la plus vieille librairie anglaise de Paris, puis emprunte, depuis Saint-Julien le Pauvre, la rue Galande où se trouve le cinéma éponyme, il y aide occasionnellement le projectionniste, en fin de semaine, pour le Rocky Horror Picture Show, subséquemment, on lui donne accès aux locaux pour continuer le développement de ses réflexions, ceci pendant une heure cette fois. Au sortir du bâtiment, il redescend la rue de Dante, franchit furtivement le Boulevard Saint Germain pour directement bifurquer sur la rue Saint Jaques et marche jusque à la rue de l'école de médecine. Ses tribulations le menant en définitif au musée Dupuytren où il pénètre par le concours d'un professeur d'anatomie que l'on pourrait considérer comme étant son ami, et ce, malgré la récente fermeture définitive de ce cabinet de curiosités. C'est au milieu de ces corps difformes suspendues dans le formole et de ces squelettes atrophiés qu'il finit ses opuscules hebdomadaires avant de retourner dans ses pénates en passant par le jardin du Luxembourg et en admirant la façade de l'Ecole Normal Supérieur, rue d'Ulm, qu'il devrait intégrer l'année prochaine. Cette semaine cependant, il semble troublé, voyons ce qu'il ce qu'il nous écrit pour y voir plus claire:

4 avril 2016 :

Une fois de plus, je me réveille en nage et me précipite dans ma salle de bain crasseuse aussi rapidement que l'obscurité me le permet. Je saisis la clenche rouillée par l'humidité ambiante, ouvre la porte, allume la lumière, et, dans un soupir de soulagement, constate que mon visage est intacte.

Ce stupide et affreux cauchemar hante depuis peu mes courtes périodes de sommeil : dans une froide après midi d'hiver, sur un grand boulevard désert de la capitale, un homme à la posture banal, pour ne pas dire médiocre, apparaissait et insistait pour m'inviter à prendre un verre. Il était toujours vêtu d'un pull à col roulé en laine grise et d'une veste de velours marron, avait des lunettes en fond de bouteille cerclées d'écailles trônant sur un nez aquilin d'où ressortaient de longs poils qui se perdaient dans une moustache d'un blanc jauni par le mégot qui pendait constamment à ses lèvres. Malgré mes nombreux refus, son obstination finissait par avoir raison de moi et je consentais à le suivre. Nous nous retrouvions rapidement dans une rue plus petite, compressés entre deux grandes barres d'immeubles, pénétrions dans celui de droite par ce qui semblait être une porte de service. Nous débouchions sur un petit entre-deux qui donnait accès à une veille cage d'ascenseur grillagé de métal que nous empruntions. Suite à cela, nous débouchions sur un long couloir quelque peu angoissant au bout duquel se trouvait une simple porte en bois. C'est à ce moment que tout s'accélère, la main de l'homme presse entre mes omoplates et la porte se rapproche à une vitesse vertigineuse, elle s'arrête net devant moi, une fraction de seconde, s'ouvre à la volée et l'homme me pousse à l'intérieure, le temps de constaté qu'il s'agit de mon appartement et je me retourne pour lui faire face : il se tien droit comme une pique, les bras le long du corps, le visage figée dans une expression d'horreur. Soudain son crane explose, mais pas la moindre goutte de sang, une fumée d'un noir d'encre, qui, rapidement, se dissipe pour laisser place à des sortes de tentacules « blêmeatre » ressortant de son cou. Les appendices se séparent, et, en leur milieu, se distingue une mâchoire verticale pourvue de dents acérées d'entre lesquelles dégouline un épais liquide écarlate. Je me recule tant bien que mal mais la monstruosité me saisit la nuque de ses tentacules, elles me brûlent, je hurle mais aucun son ne sort de ma bouche, d'un à-coup sec et brutale, elles matirent vers la gueule ouverte et je me réveille.


Toujours cette sensation de brûlure ardente. Je vais me rasseoir, et, une fois la pression retombée, je me rend dans ma salle de bains, pièce la plus insalubres de mon misérable appartement, passe de l'eau sur mon visage et retourne sur mon lit. Mon radio-réveil indique six heures cinquante-cinq. J'ouvre mon velux et dépose un bol de lait sur le rebord de la fenêtre, Cheshire et Schrödinger ne devrait plus tarder à pointer le bout de leur moustaches à présent. Je me prépare à partir en cours, je m'habille avec ce qui me passe sous la main : chaussettes dépareillés (les mêmes depuis le début de la semaine), chemise parsemée d'encre dans le dos, le fait de mes condisciples sans doute. Je ne sais pas pourquoi mais ils semblent ne pas m'apprécier, peut être est-ce par ce que toute leurs moyennes réunies n'atteignent pas la moitié de la mienne, mais c'est sans importance. Le temps que j'aille me faire un chignon à la vas vite devant le miroir, un bain de bouche et les chats on déjà finit leur bol et viennent me réclamer d'autres bêtises à grignoter en se frottant langoureusement à mes mollets. Je les exauces, me saisit de ma veste et quitte l'appartement. Alors que je descends les huit étages d'escalier ma propriétaire m'interpelle, me réclamant le loyer du mois, je l'ignore et sort par le grand huis de chênes sur la rue des Gobelins. Bifurque sur l'avenue éponyme que je remonte vers le Square Saint-Médard, de là je prends la rue Mouffetard (chère à Pierre Gripari) jusque à l'angle de la rue Clovis. Me voilà arriver à Henry IV. J'ai une trentaine de minutes d'avance. J'en profite pour déambuler dans les couloirs centenaires, songeant aux grands esprits qui on foulé ce sol mais me remémorant par la même la désuétude dans laquelle l'intellect est aujourd'hui vautré.

L'appartement à symétrie formidableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant