Je m'affalai lourdement sur les sièges en cuir blanc de ma Jaguar rouge écarlate. Pour ma part, la plus belle sensation que je connaissai était de rentrer chez moi après une longue journée de travail. Je démarrai ma voiture et augmentai le volume de la musique. Le vrombissement du moteur et le contact de mes mains sur le volant m'apportèrent une grosse bouffée d'adrénaline. Je sortai d'un grand parking pour rejoindre l'autoroute et accélérai comme un fou en abaissant ma vitre. La neige, qui venait me rafraîchir le visage et le puissant son de Kaleo provenant des enceintes me procurèrent comme un effet de bien être. Les bords de routes étaient nappés d'une fine couche blanche de neige et de petits grêlons venaient se briser contre mon pare-brise. Les paysages enneigés étaient magnifiques et s'accordaient parfaitement à l'ambiance magique de Noël.
Arrivé chez moi, je jetai un bref coup d'œil sur ma montre; il était 19h00.
Au seuil de la porte, je fus chaleureusement accueilli par Sultan, mon spitz-loup. Il ressemblait à une grosse peluche aux couleurs cendre et noir corbeau, il possédait un grand museau et un long et soyeux pelage. J'enlevai mes chaussures en cuir marron sur un grand tapis puis me dirigeai nonchalamment vers ma chambre. J'otai mon uniforme de travail pour me revêtir d'une tenue beaucoup plus détendue. J'avais mis un col roulé en laine blanc avec un pantalon noir. Je descendis ensuite tranquillement dans ma luxueuse cuisine. Il y avait, au milieu de la pièce, un imposant et large plan de travail en porcelaine blanc, avec autour des tabourets vintages qui venaient y ajouter un brin de couleur. Une légère odeur de lavande apportait une certaine douceur à ce chaleureux endroit, et une baie-vitrée laissait quelques rayons de soleil s'infiltrer et illuminer ce paisible lieu. Mais ces temps ci, la salle était sombre à cause des gros nuages gris qui venaient étouffer le ciel.
Je décidai de mettre au four un plat de légumes pour que mon repas cuise durant la sortie de Sultan.
Je vivai seul avec ce chien dans une magnifique villa parisienne, je préférai rester célibataire car je détestai devoir appartenir à quelqu'un. Et de toute façon, je n'avais jamais été vraiment amoureux, mes relations n'étaient que de simples coups d'un soir. À vrai dire, les seules femmes qui me plaisaient réellement étaient là juste pour mon argent; pathétique... Mais cette vie me plaisait bien, et pour combler ce vide je sortais fréquemment avec mes amis.
Je me dirigeai rapidement dans le hall d'entrée pour mettre ma longue veste de cachemire beige, puis m'engouffrai dans le froid.
Je ne comptai pas rester dehors très longtemps, car le temps était mauvais et ma journée avait été épuisante. Sultan me traînait dans les magnifiques ruelles de Paris, et par chance, il n'y avait personne pour nous déranger; tout les parisiens s'étaient réfugiés manger chez eux pour laisser la ville sous un pesant silence. Les bancs en bois étaient recouverts par une épaisse masse de neige, et les vieux lampadaires apportaient une couleur jaunie aux flocons blanc qui se posaient délicatement sur les allées de pavés. J'aimais beaucoup la nuit, surtout l'hiver, lorsque des confetis de neige se mélangeaient avec les étoiles scintillantes dans ce triste ciel noir. Au bout de 20 minutes de marche, mon ventre cria famine et je décidai donc de rentrer manger et me reposer. À mon retour, j'avais décidé d'aller sur un magnifique pont en pierre, sur lequel j'aimais passer du temps à admirer la Seine s'écouler à travers la ville.
Je regardai d'un pas lent les notifications que j'avais reçu sur mon téléphone lorsque Sultan me tira brutalement vers l'avant ; je ne pus m'empêcher de grogner:
- Oh ! Mais qu'est ce qu'il te prend !Je levai les yeux de mon écran et vis la frêle silhouette d'une petite fille sur le bord du pont. Intrigué, je pressai le pas vers elle, et lorsque je fus à une assez bonne distance pour mieux distinguer la situation, la vision que j'eus me brisa le coeur. La jeune fille se tenait là, débout, les yeux fermés, prête à se laisser tomber dans le vide. À côté d'elle se trouvait une petite veste noire, accrochée sur une des pierres du pont; elle devait mourir de froid. Elle semblait seule, perdue et j'avais surtout l'impression de faire face à la mort, parce que oui, elle avait beau être vivante, je pouvais percevoir que son âme ne l'était malheureusement plus. Prit de panique je lachai brusquement mon chien et accouru rapidement auprès d'elle. Je constatai qu'elle n'était pas très grande, avec de longs cheveux bruns et abîmés, qui tombaient sur ses petites épaules, protégées que par un simple bout de tissu. Elle était très peu habillée et sa peau blanche était facilement comparable à la neige qui se posait avec fénéantise sur mon grand manteau. Je l'interpellai doucement, pour éviter de l'effrayer :
- Quel est ton nom ?La jeune femme se retourna lentement vers moi et ouvrit ses petites paupières pour laisser apparaître de jolis yeux vert. Elle semblait emprisonnée dans une si grande tristesse, et à travers son regard, je ressentis une souffrance tellement puissante, tellement violente, que mon ventre se noua douloureusement. Le son de sa voix cassée se brisa dans le vent, mais je pus entendre :
-Hannah...
-Enchanté Hannah, moi c'est Axel. Tu ne voudrais pas t'éloigner du bord pour que nous puissions discuter un peu ?Un sourire faux se dessina difficilement sur ses fines lèvres, puis une larme vint brouiller la couleur de ses yeux et menaça de ruisseler le long de sa petite joue rougie par le froid hivernal.
-Non, ne pleurs pas, qu'est ce qu'il ne va pas Hannah ?Elle ouvrit difficilement la bouche, puis la referma brusquement. Hannah ferma les yeux et se retourna vers le vide, écartant ses bras tel un ange qui déployait ses ailes pour prendre son envol. Même le vent l'incitait à tomber, il s'infiltrait sous ses vêtements pour lui brûler la peau et lui faisait légèrement perdre l'équilibre au dessus du vide. Je n'avais pas assez de temps pour réfléchir et ma réaction fut instinctive : je me précipitai vers elle, mon cœur battait à une vitesse phénomènale, je savais que je n'avais pas le droit à l'erreur où cette petite fille allait quitter ce monde à jamais... J'encerclai de mes bras son petit corps frêle pour la presser contre mon torse et l'éloigner du vide. Elle était glacée, et je sentis encore dans sa poitrine le combat de son petit cœur qui voulait continuer de vivre... Étonnamment, elle ne se débattit pas et se laissa tomber de fatigue contre moi. Elle était légère comme une jolie plume abîmée, dans un état pitoyable. Elle ressemblait à... À un ange déchu... Voilà, Hannah était la définition parfaite de l'ange abandonné par la vie et recueilli par la mort.
Et je comptais bien la sauver.