Zacharie se figea.
Le contremaître l'appela une deuxième fois, se faisant plus insistant.
Le temps sembla ralentir.
Toute activité avait cessé.
Il n'y avait plus aucun bruit dans le conduit de maintenance - mis à part le bruit de la boue qui s'écoulait.Zack se tourna lentement, très lentement, regarda dans la direction du contremaître, les yeux emplis à la fois d'incompréhension, de colère mais surtout de désespoir, puis il sortit tout doucement de l'égout rempli de boue ...
Les deux hommes en noir l'attrapèrent alors violemment chacun par un bras puis le menottèrent. L'un d'eux donna au contremaître un sac fermé, dans lequel on devinait des dizaines de liasses de billets.
Puis ils se tournèrent vers le SAS et ils sortirent de l'usine, encadrant comme deux gardes du corps le récupérateur inculpé.-
Ils traversaient maintenant le district commercial, en direction du Sud de la Ville.
Zacharie bouillonnait d'incompréhension.
Il pensa pour lui-même :"Ça peut pas être quand j'ai crié dans la rue hier ? Je savais que les murs avaient des oreilles mais pas à ce point-là ... Et bordel, comment je fais moi maintenant ? Vite invente un truc, tocard !"
"Heu ... Les gars ? J'ai un besoin pressant on peut s'arrêter deux minutes ?"
Il s'adressait aux deux hommes qui l'emmenait on ne sait où. Mais ils ne répondaient pas. Alors Zacharie cria en mettant des coups de pieds et de genoux dans les jambes de ses "gardes du corps" :
"Eh ! J'vous parle, là ! Connards !"
En réponse il reçut un coup de poing dans la mâchoire, coup d'une force colossale qui le sonna quelques instants. Il eut un goût métallique sur la langue.
"Il y aura des sanitaires là où on t'emmène." déclara alors l'homme qui lui avait décoché le coup. Zack cracha le sang contenu dans sa bouche par terre et siffla comme un serpent apeuré :
"Ah ouais ? Et vous m'emmenez où ?"
"..."
"Je veux une réponse, connards."
Ils s'arrêtèrent et l'homme a sa gauche leva le bras pour le frapper une deuxième fois. Zack se prépara à recevoir le coup ; il ferma les yeux et serra les dents.
Mais rien ne se passa.
L'autre homme avait arrêté le poing de son collègue et, après un court silence, dit :"Arrête, Dimitri. Il te provoque."
Puis il se tourna vers Zack et retira ses lunettes aux verres rouges opaques, révélant ses yeux bleus. Un bleu turquoise extrêmement brillant, presque surnaturel.
C'était un androïde.
Il fixa Zack et sourit :"On t'emmène là où vont tous les ennemis du régime, prisonnier numéro 12656-042. Tu vas aller croupir quelques temps à la Bastille."
Le récupérateur en eut le souffle coupé et trébucha alors de surprise puis s'étala sur le trottoir métallique. Il fut relevé par le dénommé Dimitri.
La Bastille est une immense prison du Sud de Néo-Yakoutsk, dans laquelle on enferme tous les criminels et les traîtres avant leur jugement.
Par criminels et traîtres on entend bien évidemment "n'importe qui" car à peu prés tous les motifs de crime mènent à un séjour à la Bastille.
À ce jour, très peu de personnes ont pu en sortir légalement et encore moins ont pu s'en évader.
Zacharie pleurait, les yeux écarquillés et les dents serrées comme si on venait de lui planter un couteau dans le ventre.Ils continuèrent leur chemin pendant encore quelques minutes.
Les deux hommes s'arrêtèrent devant l'artère de communication principale de la ville et Dimitri s'éloigna. Il sortit un petit appareil ressemblant à une brique et le porta à son oreille.Le récupérateur s'effondra par terre.
L'androïde s'assit à côté de lui et sortit une cigarette. Il lui présenta le paquet de cigarettes et invita Zack à en prendre une."Tiens gamin, t'y auras plus le droit une fois là-bas."
Zack regardait dans le vague, n'entendant qu'à peine ce que le replicant lui disait.
"Je m'appelle Jakob au fait." lui dit ce dernier. "Mais on m'appelle plutôt N°33 dans le métier."
Il souffla alors un nuage de fumée.
"T'es toujours pas décidé à me parler ? On se connait pourtant."Zack réagit alors à la fin de sa phrase. Il lui demanda faiblement d'où est-ce qu'il pourrait le connaître.
L'androïde - "N°33" - lui répondit alors qu'il était un client fréquent du marché noir, et qu'il achetait souvent des pièces à Zacharie, sous couvert d'une fausse identité."Pourquoi ?" fut tout ce que Zack trouva à répondre.
"Pourquoi quoi ?" fit Jakob en écrasant son mégot. "Pourquoi on t'emmène au Bloc ?"
(Le Bloc est un surnom fréquent donné à la Bastille, dû à sa forme de cube géant)Le récupérateur hocha la tête doucement.
Il pleurait toujours."On suit les ordres. T'es pas le seul à devoir gagner ta vie et à protéger tes proches, figure-toi."
"Qu-"
Zacharie fut coupé par le retour de Dimitri.
"On a un véhicule en route. Dans vingt minutes environ. Je vais passer un coup de fil à ma famille en attendant. Et puis file-moi une clope au passage."
33 s'exécuta et Dimitri s'éloigna une fois de plus, une cigarette à la bouche et son téléphone dans la main.
"Tu vas être interné au département des immigrés, dans une cellule double, y'a plus aucune place autre part." déclara Jakob à Zack, toujours prostré et menotté. Le prisonnier prit alors la parole et posa question sur question sans transition :
"Comment un androïde peut-il avoir une famille ? Comment tu peux ressentir des émotions ? Et comment tu fais pour fumer, les machines ne respirent pas !"
"Je t'en pose, des questions ? Je te trouve bien bavard depuis tout à l'heure." répliqua ledit androïde. Le silence s'installa.
Ce fut Jakob qui le brisa après cinq minutes :
"Tu m'as beaucoup aidé avec tes pièces alors je vais répondre à quelques unes de tes questions, gamin."
"J'ai 21 ans."
"C'est pareil." répondit l'autre en lui tendant le paquet de cigarettes.
Zacharie resta silencieux. Il accepta la cigarette tendue par Jakob pendant que celui-ci en allumait une deuxième.
"Premièrement, je suis pas totalement androïde. Je suis un cyborg.
J'ai été humain à un moment. Mais j'ai été gravement blessé pendant les soulèvements des mineurs de la banlieue extérieure. J'ai pris un éclat de bombe dans les yeux et j'ai perdu mes deux jambes et un bras.
Deuxièmement, la seule famille qu'il me reste est l'infirmière qui m'a sauvé. Je paye ma dette comme je peux, notamment en effectuant le sale boulot du gouvernement.
Ça vaut aussi pour Dimitri.
Ne pense jamais que tu es le seul dans la merde ici gamin."Il écrasa son deuxième mégot.
Dimitri revint, jeta sa cigarette sur la route, et le véhicule tant attendu s'arrêta devant leur trottoir désert.
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Un Autre Monde (EN RÉÉCRITURE COMPLÈTE)
Ficțiune științifico-fantasticăSuivez l'enfer de la vie de Zacharie, aussi surnommé Zack, habitant des bas-fonds de Néo-Yakoutsk, une des cités industrielles de la Néo Union des Républiques Socialistes Soviétiques, et ses diverses pérégrinations quotidiennes de trieur-récupérateu...