Épilogue - Le temps qu'il reste

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Quelques mois plus tard.


Le soir, je fixe parfois mon plafond avec insistance sans cligner des yeux, comme attendant d'y voir apparaître des choses surnaturelles et mystérieuses, comme attendant d'y trouver une échappatoire à ce monde de fou, un monde merveilleux. J'imagine, je rêve, le temps d'un battement de cils pouvoir m'envoler au loin, libre, vivre l'aventure de milles vies en une respiration, de guérir tous les maux rien qu'en le voulant très fort.

Je fixe mon plafond à en crever.

Je crève et pense à m'évader.

Avec lui. Lui et son infinie et déroutant regard vert émeraude qui me fond chavirer le cœur. Un monde où ça serait possible.

Mon téléphone se met à sonner, me tirant de force de ma rêverie tristement mélancolique. Je regarde l'écran : trois heures du matin ?!

- Allô, lancé-je sèchement, agacée qu'on m'appelle aussi tard.

- Code Lune, me dit une voix rocailleuse, presque éraillée, brisée.

Mon agacement s'évapore instantanément.

- Où es-tu ? le pressé-je.

- Chez moi.

Puis après un effort :

- Seul.

Je me lève d'un bond, si vite que j'en ai le vertige. Je reste immobile une seconde pour me reprendre et me rue vers l'extérieur de ma chambre, en pyjama, chaussettes, sans prendre le temps de me rendre présentable, ni même d'enfiler des chaussures. Pas le temps. J'accours. Sous la neige, dans le froid, sans même grelotter tant l'affolement et l'adrénaline me brûlent les veines. Je vole à son secours, ou au mien, je ne sais plus trop.

- J'arrive, j'arrive, dis-je dans un souffle. Tiens bon.

J'accours pour lui. Chaque seconde compte, chaque seconde de trop qui pourrait lui être fatale. Mon cœur se serre mais je l'ignore. Je me rue dans ma voiture et démarre en trombe sans raccrocher. Je l'entends respirer difficilement, trop difficilement, tousser, il m'entend paniquer et conduire et l'entendre me rassure un petit peu : il est conscient. Je passe la quatrième et accélère encore. Je me force à ne pas brûler un feu rouge, en enfonçant le frein d'un coup à m'en projeter à travers le pare-brise : pas de risques inutiles, si je me crashe, plus personne ne pourra lui venir en aide - ou du moins pas assez rapidement. Le feu à peine passé au vert, je redémarre en faisant crisser les pneus. S'il lui arrive malheur, je ne m'en relèverai pas. Je me gare en vrac devant chez lui en plein milieu de la route, sors de l'habitacle tandis que ma respiration se bloque dans ma gorge d'angoisse alors que je l'entends respirer plus fort, le sifflement qui me fait si peur ponctuant ses inspirations, et fonce vers la porte bien décidée à retourner la maison pour le trouver coûte que coûte.

- Dans le jardin, dit-il d'une voix étouffée pour répondre à ma question muette.

Je fais demi-tour et fais le tour du bâtiment en dérapant, obligeant mon imagination détraquée et affolée à tenir loin tous les pires scénarios. La mucoviscidose. C'est comme ça que son mal s'appelle. Cet ennemi sans pitié qui lui prend souffle et vie, liberté et volonté. C'est pour ça que chaque respiration et moment à couper le souffle est d'autant plus important auprès de lui, d'autant plus poignant. Je me sens vivre auprès de lui. Et j'espère continuer encore longtemps...

Je débouche sur l'arrière de la maison et, à bout de souffle, me stoppe dans mon élan. Figée sur place, je regarde la scène qui se déroule devant moi avec effarement. Il me fait face, magnifique, un sourire ironique au coin des lèvres.

A bout de souffle 💜 [𝕋𝕖𝕣𝕞𝕚𝕟𝕖́]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant