L'autre rivage

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Je marche. 

Je cours. 

Je vis. 


Je suis une menteuse. 


Je marche. 

Je cours. 

Je vole.


Je ne suis rien.


Je marche. 

Je tourne en rond. 

Je m'arrête. 


Je veux être libre de ne pas être. 


Là-bas, il y a les autres. Il y a le monde, le temps et ma vie. Cette vie que je ne veux pas. Cette vie qui n'est pas à moi.

Ce mensonge. 

Je les regarde vivre. Je ne veux pas être comme eux. Je les regarde mourir. Je ne veux pas être comme eux. Et pourtant, il n'y a aucune différence. Même corps, même esprit, même cœur. Je suis le pâle reflet de ceux que je méprise. Je suis leur ombre, celle qui se glisse derrière eux, qui les suis, inlassablement, qui les imite. Toujours.

Je suis les autres. 

Mais il y a un autre "là-bas", un autre rivage où ils ne sont pas. Un endroit où rien existe, où tout est vide, blanc. Un endroit où on n'est pas. 

Alors je marche, je m'éloigne de ces pantins aux traits effacés, je m'approche du rebord. Le rebord du monde. Un pont, fragile et bancal s'étale sur un océan de similitudes. Je le regarde, il tangue. Je ne veux pas tomber. Et pourtant... J'entends les autres m'appeler. J'ai peur. J'ai peur d'être comme eux. Je regarde le vide et l'eau, si noire, de la conformité. Je ferme les yeux et je m'élance. 

Alors je cours, à perdre haleine, je fuis ce monde de ressemblances. Mes chaussures glissent sur le bois mouillé, le pont s'agite. Je dois continuer. La peur me serre le ventre, les autres ne m'ont pas suivie. Je me concentre, je n'entend plus que le vent qui souffle à mes oreilles. Je dois traverser ce pont, je dois atteindre l'autre rive. J'avance, je laisse l'erreur me devancer. Et alors que je crois enfin me sauver, une vague renverse le pont. Je ferme les yeux et je tombe. 

Alors je vole, je prend le large au milieu des nuages de fumée. Je ne les laisserai pas faire, je ne dois pas abandonner. Des ailes de rébellion me portent vers le rivage et me posent doucement sur ma terre promise. Je suis fatiguée, j'ai peur, mais je suis sauvée. Recroquevillée sur moi-même, contre la terre, j'écoute la paix chanter. Cette paix que j'avais tant espéré, loin du tumulte des machines et de l'absurdité. Je lève les yeux et je vois "là-bas", cette vie de misère qui continue sans moi. Mon cœur, lacéré par l'ennui, panse enfin ses plaies. Je respire le calme et la magie de ces terres solitaires. 

Alors je ferme les yeux et je vis




La MenteuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant