Le nom

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-  Tu n'es pas dans ma tête. 

- Non, tu as raison. Nous  sommes dans ta tête. 

-  C'est impossible. 

-  Bien sûr que si c'est possible. 

-  Tu mens ! 

-  C'est toi la menteuse. 

Je n'en crois pas mes oreilles. Dans ma tête ? Je crois devenir folle. A moins que je ne le sois déjà. Cet endroit, si calme, si blanc, ne peut pas m'appartenir. Tout en moi n'est que vacarme et destruction. Un tumulte infernal où tout se mêle, où tout se perd. Une symphonie martelée par les battement endiablés de mon cœur trop petit. 

Je m'assoie. Je ne comprends plus rien, je ne comprends  plus ce qui m'arrive. Mon esprit tourne comme une girouette, prise, emprise de ces vents contraires qui l'assaille. Je perds la tête. 

Je dois me reprendre. Retrouver mon assurance et mes repères. Je plonge mon regard halluciné dans l'immaculé de ce monde. Il faut que je recommence à zéro, que je rebrousse ce chemin de rien. Retrouver le début et les règles de ce jeu absurde. Mais il n'y a pas de plan, pas de carte pour m'indiquer, pour trouver mon chemin. Je suis dans le flou, immergée dans l'irréel, je tend les bras pour crever la surface. Et je ne vois qu'une seule solution. Ma solution. 

Lui. 

Je dois lui donner un nom. Juste un nom pour enfin avoir quelque chose qui me retienne, qui me sauve de cette folie. Je me concentre un instant. 

-  Que dirais-tu de ... 

-  De quoi ? 

-  Attends. Je réfléchis. 

-  Tu réfléchis à quoi ? 

-  A ton nom. 

Il y a une silence. Je lui tourne le dos, mais je sens qu'il s'est raidit. Je n'ai pas besoin de le voir pour savoir qu'il a les traits crispés et une moue contrariée accrochée au visage. Il marche d'un pas vif, nerveux et vient se placer devant moi. Je l'ignore parfaitement, plongée dans ma réflexion. 

-  Pourquoi tu veux me donner un nom ? 

Il est en colère. Moi qui pensait qu'il ne ressentait rien,  voilà qui est étrange. Je le regarde d'un air las, nonchalant. Je vois son agacement  redoubler et j'ai soudain envie de sourire. 

-  Je ne veux pas d'un nom ! 

-  Pourquoi ? 

-  Parce que ça sert à rien. 

-  Et comment je vais faire pour t'appeler ? 

-  Ne m'appelle pas ! 

Je hausse les épaules et m'immerge de nouveau dans mes pensées. Je veux l'appeler. Si nous sommes réellement dans ma tête, alors il n'existe pas vraiment. Il m'appartient. J'ai un petit sourire. Je voudrai faire de Lui, l'ami, celui qui me manque tant. Quelqu'un qui serait toujours là, pour moi, qui me tiendrai compagnie. Je voudrai qu'il m'écoute, mais qu'il me parle aussi. Qu'il comble le vide qui m'inonde, me transperce de part en part et fait de moi, ce que je suis. 

Pour le moment, je n'ai pas de ... Si. Je sais comme je vais l'appeler, lui qui écoute mon cœur. Cela s'impose à moi comme une évidence. 

-  Sennar. 

Je ne sais plus vraiment où est-ce que j'avais entendu ce prénom. Etait-ce dans un film quelconque, dans le journal, ou mon livre préféré. Je souris. Je sens que quelque chose naît en moi, comme une fleur qui éclot à l'intérieur de mon être. La solitude de mon âme s'évapore comme un mirage si vivement que je peux entendre mon cœur s'emballer. 

-  Sennar ! 

Je le répéte, comme si j'avais peur de ne pas m'en souvenir. Je me lève précipitamment et lui prend les mains. Je sens la joie me foudroyer et la terre qui recommence doucement à tourner. La vie qui revient à moi, en une valse enivrante. Je ne suis plus seule. 

Il me regarde perplexe. J'ai peur qu'il me pousse, qu'il se mette en colère. Mais il reste là, juste devant moi, ses mains emprisonnées par mes paumes moites. Ses yeux se colorent d'un bleu bien plus vif, et ses cheveux se teintent complètement d'un roux terne, mais chaleureux. Sa peau se raffermie, prend un teint rosé qui fait ressortir de petites tâches de rousseur invisibles. C'est comme s'il devenait plus vrai, plus réel alors que tout son être semble se colorer, tâchant de son éclat le blanc de ce monde. Il est vivant. Pour moi. 

Je le regarde.

Il me regarde.

Je lui souris. 

Il me fait une grimace.

Je ris. 

Et je sens une joie immense me traverser, bousculant en moi tous mes doutes et toutes mes peurs. Je ne vois rien d'autre que cette couleur qui inonde soudain mon absence. Je suis comme apaisée par cette certitude, cette évidence qui me serre le cœur, le libère de ses chaînes de solitude : Je ne suis plus seule. 

Plus jamais. 

Une paix grandiose s'installe en moi. Mon esprit toujours torturé par mes silences se trouble et se détend. Je retrouve enfin la joie pétillante qui n'est ni le vacarme de la vie, ni le calme du vide. Là où il n'y a ni moteur, ni absence. Le bonheur, simple et chantant. Le bonheur et c'est tout. 


La MenteuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant